ahmed bencherif écrivain et poète

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23
mai 2010
les moissons-marguerite tome 1-ahmed bencherif
Posté dans Marguerite t/1; t/2 par bencherif à 12:33 | Pas de réponses »

        Dans le terroir du village de Marguerite, situé à neuf lieues de Meliana, la plaine bénie par les dons du ciel s’étendait à perte de vue et se prolongeait sur plusieurs mille d’est en ouest, au flanc du mont Gountas, peuplé d’un riche patrimoine forestier préservé de génération en génération. Elle était fertile et généreuse, travaillée par des bras amoureux qui lui vouaient une affection maternelle. Elle offrait un panorama de couleurs bigarrées et révélatrices d’inspiration pour de talentueux peintres : verte par ses oliveraies et son vignoble, jaune doré par ses immenses champs de blé. Elle subissait les fluctuations atmosphériques, comme elle souffrait les conflits sociaux, dégénérés par la convoitise musclée des uns et la lutte désespérée des autres. Un arpent causait des drames et en appelait un autre pour agrandir sans cesse les domaines qui échoyaient aux colons, auxquels le pouvoir accordait trop de facilités et des crédits conséquents pour se constituer une fortune en un laps de temps très court. Il faisait couler des rivières de sang et laissait des maux douloureux que seule une action vigoureuse pouvait curer.                 

        Dans la voûte céleste bleue, quelques minis cules nuages, tels des plaques fines d’argent, roulaient lentement, se désagrégeaient en mille figures bizarroïdes, allaient s’estomper dans l’environnement de la boule de feu très rouge, qui brûlait comme un gigantesque brasier,   chauffait la terre en ce mois de juin de l’an 1892, diffusait la lumière éblouissante, apportait son lot de gaieté à la vie diurne que chantaient inlassablement les passereaux dans les cimes des arbres.  Le temps était calme, les plantes restaient figées. La nature invitait aux évasions les plus enchanteresses et offrait toutes opportunités au label humain qu’elle aurait aimé réfléchi et harmonieux pour produire ses merveilleux trésors intarissables pour le bien être de tous.  Elle donnait l’espoir aux hommes vertueux dont l’idéal ne périt point par la volonté des méchants.              

       C’étaient les moissons, comme toujours pleines d’ardeur et d’enthousiasme. Elles créaient une intense activité des aurores jusqu’à la fin du jour, prodiguaient la joie aux enfants qui gambadaient parmi les gerbes, garantissaient la sécurité alimentaire des ménagères pour les saisons froides .Sur les terres agricoles de la fraction des Oulad Maamar, des hommes laborieux se donnaient à cœur à la besogne et fournissaient d’incroyables efforts, stimulés par un fantastique sentiment d’émulation, sans observer un moment de répit. Ils étaient habillés de tablier en cuir, chaussaient des godasses ou des sandales, se protégeaient les doigts de la main, à l’exception du pouce, par des chutes de roseaux. Ils avançaient en plusieurs rangées trop étirées et fauchaient le blé à une cadence rapide. Ils se penchaient et se relevaient dans un mouvement ininterrompu comme si leurs muscles étaient élastiques. Ils étaient joyeux et chantaient dans un air tendre des louanges au Seigneur pour l’abondance des grains ou encore un couplet d’amour d’une chanteuse de folklore.  Des bénévoles vinrent des tribus voisines fournir leurs services, par action de solidarité fondamentale, communément connue sous le nom de Touiza, qui régissait les rapports sociaux pour tous les grands travaux. Il y’avait aussi des salariés qui venaient de loin et appartenaient à une armée de moissonneurs, appelés roulants dont l’effectif atteignait dix mille individus, qui parcouraient les plaines à la recherche de quelques journées de travail. Celle-ci était formée d’Arabes et de Kabyles, qui avaient tout perdu et aussi d’Européens, fraîchement débarqués, qui allaient tout gagner. 

         Deux femmes robustes, au visage découvert et d’age moyen, suivaient les laborieux travailleurs, à une distance respectable, et colportaient de l’eau fraîche, dans des outres qu’elles remplissaient autant de fois que cela fut nécessaire. Elles se voulaient utiles et partageaient cette joie champêtre en chantant allègrement, allaient, venaient et donnaient ainsi une timide note de mixité spéciale au monde rural où les relations familiales sont fortement préservées au troisième et au quatrième degré, du coté de la mère ou du père. Elles traînaient, derrière elles, deux petits morveux qui ne les lâchaient pas d’une semelle et les irritaient par une trop forte turbulence. Elles les grondaient, les frappaient, les pinçaient sans trop de résultat. La marche continue, sous l’ardeur du soleil, les avait fatiguées et elles se retirèrent sous l’ombre d’un olivier pour se reposer un moment. L’un des deux petits enfants partit en courant, s’enfonça dans le champ et revint aussitôt, en sanglots : un épis le blessa à la main, fila le long de son bras et arriva au cou où il logea. Sa mère le frappa sans essayer de savoir ce qu’il avait. Sa colère apaisée, elle le questionna enfin, retira l’épis et désinfecta l’égratignure avec son foulard. 

       Les moissons étaient toujours battues précocement, car le mois de juin est climatiquement capricieux : ou les pluies tombent en averse et abîment la récolte ou le sirocco souffle brusquement et persiste pendant plusieurs jours. Les adolescents, qui se mettaient naturellement de la partie, ne ménageaient nullement leurs peines et tenaient à montrer aux adultes qu’ils étaient tout autant besogneux. Ils se lançaient un défi prétentieux et refusaient de se reposer ou de boire un coup et, quand l’un d’eux lâchait, ils s’arrêtaient tous seulement pour rire et se rassasier de taquineries. Ils se leurraient en disant qu’on ne peut pas travailler et rire, chose qui avait tout de même une certaine logique. Leur camarade Hamza, qui continuait à faucher le blé, les sermonna et les traita de flemmards. Complexés par leur faible endurance, Ils rappliquèrent sans rechigner et un salarié de souche kabyle, qui prêtait jusque-là une oreille curieuse, en fut stupéfait. Exténué et assoiffé, Il s’arrêta un moment pour souffler et prit sa gourde attachée à sa ceinture. Il interpella Hamza et lui dit : Amoukrane ! Moukal Ligh Soy (grand regarde je bois) .Un autre moissonneur, qui se disait venir de nulle part, lui clama : Hé petit héros ! Exerce davantage ton endurance, tu en auras besoin.   

       Le jeune garçon fit la sourde oreille aux compliments dont on le combla, haussa les épaules, sourit innocemment, en ressentant, au fond de lui-même, un malin orgueil et poursuivit son labeur pour bien mettre en exergue son endurance. Il était vigoureux et tenait la main. Ses camarades le craignaient et son courage égalait sa combativité, mais il ne cherchait pas à faire d’histoires, en raison de l’autorité spirituelle qu’exerçait son père en qualité de Moqadem (lieutenant du maitre) de zaouïa. Il était beau garçon et de surcroît intelligent, assidu dans les cours à l’école coranique. Il échoua cependant à l’école française et sortit à la quatrième année, pour une attitude négative de son professeur. La nature l’avait si bien servi que sa mère présageait qu’il aurait un avenir illustre. Sa curiosité le poussait à enrichir ses connaissances et il aimait s’instruire sur les batailles, à la manière d’une recrue qui s’apprête à rejoindre le front. Sa colère précédait cependant sa raison et il s’emportait pour peu. Sa vision des choses était grande et dépassait son adolescence.   

       Plusieurs enfants, de dix ans en moyenne, ne manquaient pas au décor et se divertissaient bien plus qu’ils ne travaillaient. Ils ramassaient les gerbes en brassées désordonnées, les disposaient ensuite un peu partout en bottes qui grossissaient quand même. Leurs mains, déjà rugueuses, n’en souffraient pas, habituées aux rudes travaux de la campagne où l’on commence précocement à être utile à la société. Si ce n’est pas la bêche qui donne des ampoules, c’est alors la hache.  Cependant, la nature se réclame de chacun et on y obéit presque servilement aux désirs et les petits besogneux n’échappaient pas à cette loi. Ils abandonnèrent l’ouvrage, firent la course entre eux en se lançant des défis qu’ils relevaient tous. C’était douillet et exaltant : le premier n’arrivait jamais à la ligne d’arrivée ; ils le retenaient, l’immobilisaient, lui faisaient un croche-pied, puis ils recommençaient la course. Ils reprenaient vite leur tâche, quand un adulte les surprenait à faire le rigolo.    

        Cinq vieilles femmes se dégourdissaient les jambes dans le champ, sentaient le poids des ans entamer inexorablement leurs forces. Elles souffraient de courbatures, d’arthrite, de la vue qui baissait, de maux de tête, d’insomnies. Elles étaient si fragiles qu’elles n’écartaient pas l’idée de la mort qui se rapprochait inéluctablement ; elles avaient tout donné et n’espéraient plus rien. Elles furent prolifiques et leur souvenir vivra assez longtemps, ce qui était leur plus douce consolation. Mais leurs forces morales demeuraient assez grandes, nourries interminablement par une foi religieuse profonde. Elles marmonnaient des bénédictions pour la bonne récolte, priaient le Seigneur pour préserver cette prospérité du mauvais œil. Elles exhortaient les travailleurs à plus d’ardeur et leurs voix rauques s’entendaient à une centaine de mètres plus loin.  Elles circulèrent un bon moment, amassèrent quelques gerbes qu’elles déposeraient plus tard, au village, dans la koubba de Sidi Ahmed Ben Youcef, afin de servir de semences pour les prochains labours.        

       Le domaine, qui ne dépassait pas trois mille has, fut happé dans la mouvance des vicissitudes de l’histoire et perdit cinq fois plus de son étendue en l’espace de quarante ans de colonisation.  Après la reddition de l’Emir Abdel Kadder, une grande partie fut expropriée par le fait du prince, versée au domaine public et distribuée aux premiers colons, démobilisés de l’armée. Puis vint la grande opération du séquestre, pratiqué à l’issue de la grande insurrection de 1871, comme mesure punitive pour ceux qui avaient osé lever les fusils contre le conquérant. Elle dévora encore des terres qui nécessitaient une grande fortune pour leur rachat. On appela cette procédure une contribution de guerre qui était en fait une réparation des dommages subis par l’état. Le domaine existait malgré tout, quasiment quadrillé par des fermes de nouveaux colons, venus de toutes parts et en grand nombre. Sa moitié seulement était cultivée et le reste servait au pacage.  Les parts étaient inégales, croissaient ou diminuaient selon des transactions qui s’opéraient, imposées par les nécessités de la vie.                   

 


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