ahmed bencherif écrivain et poète

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29
jan 2013
A la sortie de l’école; extrait hé hé hé c’est moi qui l’ai tué; sous presse; Ahmed Bencherif
Posté dans hé hé hé c'est moi qui l'ai tué par bencherif à 10:15 | Pas de réponses »

Mohamed parla de la sorte, par esprit tribal et rien d’autre. Il se croyait tenu au nom des valeurs ancestrales pour faire ses achats auprès du fils de la même tribu qui lui était apathique d’ailleurs. Cependant le commerçant ne se sentait pas concerné par la solidarité agnatique depuis qu’il habitait au village et donc il se croyait affranchi de ses devoirs envers les fils de sa cité qui à leur tour le négligeaient et ne comptaient pas sur lui aux divers travaux collectifs.  La cité chérifienne s’attachait à la rigueur dans ses rapports avec les tiers. Elle-même laborieuse, elle condamnait la paresse jusqu’à la limite du chacun pour soi. Elle faisait aussi des aumônes, mais là où il fallait et au moment où il fallait. Cette culture était payante pour chacun de ses éléments, qui devait ainsi se prendre en charge vaille que vaille. Ainsi, un foyer subvenait toujours à ses besoins primaires ; car il comptait naturellement sur quelqu’un de valide, si ce n’est pas le père, c’est le fils ou l’oncle.

- Ah ! Les bourgeois sont toujours médiocres socialement, dit Mohamed. Tu ne veux pas que je m’inquiète de tes nouvelles, c’est bon. Donne-moi un demi litre d’huile, un kilo de sucre, cent grammes de thé vert, un paquet de café. Dis-toi bien que mon achat est déterminé par égard à ton appartenance tribale.

- Bon ça va, dit l’épicier. Hé Slimane, sers en vitesse notre cousin qui semble se mettre en colère pour rien.

« Pour rien, marmonna Mohamed ? ». Il fit bon cœur contre mauvaise fortune et arbora un grand sourire qui ne cachait guère sa niaiserie. Le vendeur le servit. Mohamed paya sa note et repartit de pas traînard, crispé par l’accueil que lui avait réservé le cousin, ce qui le ramenait à son grade bas dans la hiérarchie sociale. « Quelle humiliation, se dit-il ! » Il la  ressentait au plus profond de son être. Il en souffrait physiquement : une pincée au cœur ou au foie, une bouffée de chaleur, une rougeur alternée au teint jaune. Il ne s’en accommodait guère et souhaitait que cela changerait un jour. Mais comment ? Une chose était sure pour lui : sa condition de fellah ne lui donnerait jamais le prestige et la distinction qu’il souhait du plus profond de son âme, ni même sa condition de quêteur de pain infatigable. Il n’avait pas été à l’école et ne possédait pas cette opportunité de travailler dans une administration publique pour se donner les grands airs de ses agents. Il prit la direction de l’oued où son fidèle âne était attaché à un tamarix. Oui, la bête lui était fidèle : elle était vigoureuse, bosseuse, docile, accrocheuse, hardie. Il y tenait comme la prunelle de ses yeux, l’entretenait, la soignait, lui vouait un fort attachement, à la limite du culte. Jamais, il n’envisagea de la vendre, renvoyait illico presto ceux qui voulaient l’acquérir, ne la prêtait jamais à individu ; il fit même un pacte avec lui-même : ou il l’emmènerait au cimetière des animaux ou c’est elle qui l’emmènerait au cimetière des humains.

Il enfourcha sa monture en prenant bien soin de la tapoter au flanc et partit cahin-caha, en direction du ksar perché sur les contreforts du mont Mekhter. Il traversa le lit de l’oued dont des filets d’eau ruisselaient sur le sable fin et jaune doré les grains de sel scintillaient au soleil. Certains échouaient dans des marres enfoncées dans la falaise, d’autres suivaient leur progression lente pour s arrêter, affaiblis plus loin en ava. Des crapauds, qui sortirent d’une touffe de roseaux ; une fauvette siffla allégrement, battit nerveusement des ailes et se posa boire.

Il déboucha, à l’est de la petite passerelle piétonnière, sur l’unique chemin qui desservait les bâtiments de la gendarmerie et longeait une façade latérale de la grande caserne. Au point médian, le monument à la gloire du maréchal Lyautey, se dressait majestueusement. C’était un splendide édifice, de couleur rouge brique, endossé de part et d’autre sur une colonne en maçonnerie, desservi juste au milieu de plusieurs gradins qui menaient, au sommet, à la statue commémorative avec effigie du preux soldat. Là, un légionnaire était de faction et faisait les cents pas à la cadence militaire. Il ne semblait ni ennuyé, ni las. La Grande Muette devait bien ça à ses héros par lesquels elle continuait de vivre toujours ses mégalomanies. Au-delà de cet esplanade, les bâtiments s’élevaient ; certains grimpaient au ciel jusqu’au quatrième ou cinquième étage, tandis que d’autres s’alignaient au rez-de-chaussée, en forme de baraquements en dur et de toiture en tuiles rouges. Un accès secondaire y menai,   raccourci appréciable qu’empruntaient les militaires pour se rendre au village, ainsi que les élèves, résidents au centre et au quartier nègre, qui fréquentaient l’école publique primaire, implantée dans ces casernements.

Onze heures avaient sonné et une gentille petite foule d’écoliers sortait de façon désordonnée en criant de joie, enfin libérés de cette ambiance studieuse et de la collante surveillance des instituteurs dont la sévérité était notoirement connue de tous : des coups de règle aux mains ou sur les doigts, des baffes ou des coups de pied, des transcriptions de textes à l’infini. Certains étaient bien habillés. Ils étaient Français de souche et leurs papas travaillaient et donc disposaient d’un revenu appréciable pour subvenir à tous leurs besoins et leurs loisirs. Ils avaient beaucoup d’embonpoint, un peu craintifs, car minoritaires par rapport à leurs camarades musulmans. Ceux-là bien sûr bougeaient trop, traînant derrière eux une misère viscérale, faisant aussi des jeux dangereux, telle la guerre de clans qui opposait ceux du ksar, à ceux du village, à ceux du village nègre. Les premiers faisaient, comme ils les appelaient, des descentes dans les quartiers de leurs camarades pour leur donner une bastonnade, au moyen de bâtons de branches de tamarix et de dattes de chine qui poussaient à l’oued. Ces conflits d’enfants, adolescents même, se justifiaient par l’ambition de soi à surpasser les autres. Les dérapages venaient souvent à la suite d’une partie de football, d’affronts qu’ils qualifiaient de majeurs, exprimés en la manière de mots obscènes.

Le brave Mohamed entendit soudain d’assourdissantes vociférations et vit un petit regroupement compact. C’était la bagarre. Un Français avait été rossé. Son ami, Ahmed, le défendit. Il était pris avec quatre ou cinq garçons. Il était furieux et frappait ses protagonistes de coups de pieds, de coups de poing. Il esquivait un punch, en recevait un autre. L’un d’eux s’accrocha à lui et essaya de le faire tomber à terre. Mais Ahmed lui résista férocement, le maintint solidement de telle façon qu’il en fit une protection dont il parait les coups. Ils étaient tous de petits hommes ; ils ne pleuraient pas, quoiqu’ils eussent mal. Cependant, ils protégeaient leurs visages qui ne témoignaient d’aucune boursouflure. Mohammed comprit qu’il ne s’agissait pas seulement d’une petite querelle d’enfants et que c’était beaucoup plus grave. Aussi réagit-il vite. Il gronda comme un tonnerre et descendit de sa monture, arriva au ring de fortune et s’enfonça dans la petite foule, alors que les coups de poing sifflaient toujours. Il engueula tous les querelleurs, happa celui-ci puissamment d’un bras, éjecta celui-là. Ils en eurent peur et s’arrêtèrent de se disputer. Alors chacun se plaignit et accusa son camarade. Le responsable fut immédiatement connu Il se justifia aussitôt en disant : « le Français n’a pas voulu me donner le pain ».

La rixe fut close, la quiétude régna ; les garçons  devinrent doux comme des agneaux, ne proférèrent point de menaces. C’était fini ; ils se retrouveraient infailliblement de nouveau dans la classe et se feraient devoir et devise de cohabiter ensemble, d’apprendre ensemble à devenir homme, acteur social agissant. Ils s’arrangèrent la tenue, s’essuyèrent les habits seulement froissés, prirent leurs cartables et continuèrent leur chemin. L’intervention de Mohammed n’était nullement miraculeuse ; lui-même n’avait pas eu à sanctionner qui que ce fût. C’était tout simplement l’époque où le respect du aux grandes personnes était trop grand et atteignait les limites religieuses, presque adulatoires.

Mohamed monta à califourchon sur son âne et continua sa route, sur la rive sud de l’oued, celle-là qui longeait toute la partie nord de la Redoute. C’était un chemin de terre, rarement pratiqué par les véhicules de l’armée, sauf les jeeps de la gendarmerie. Il était songeur ; la querelle interpellait sa matière grise, son mobile même l’abasourdissait, la phrase innocente de l’agresseur trottait dans son esprit : le Français n’a pas voulu me donner du pain. Pour ce manque de générosité, le Français a été frappé ; c’était de l’avidité. Le garçon arabe avait faim ; il traînait la diète, à son visage desséché, cuivré même, comme un plateau en cuivre oxydé. Mais avait-il le droit de s’approprier un pain qui ne lui appartenait pas ? Mohammed essayait de se faire une idée, de comprendre cette violence enfantine. Il connaissait la famille du petit arabe, qui vivait dans un état de dégradation sociale lamentable, à vrai dire une désintégration sociale. Il en connaissait le père, un homme qui se complaisait dans sa flemmardise, pourtant vigoureux comme un roc, capable d’abattre le travail de dix bûcherons en foret. Malheureux individu ! Le travail ne courait pas les rues. Deux ou trois mois de plein emploi dans les chantiers de la commune ne suffisaient pas à garantir le pain à ces légions de chômeurs, condamnés comme tels par la Providence divine.


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