ahmed bencherif écrivain et poète

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Archive pour février, 2013


Pensées libres; ahmed bencherif

28 février, 2013
culture | Pas de réponses »

- il vente dans les feuillages, comme il vente un air frais dans mon coeur, loin de cet amour, loin de cette espérance, droit sacré ici-bas pour toute âme. les rosées printanières tombent, arrosent d’eau pure les fleurs épanouies, mais dans on coeur il tombe, de ma douleur essorée, des rosées qui en refroidissent les ardeurs et les passions, comme dans un éternel hiver aux frimas qui ne fondent au timide soleil; elle est ce soleil timide et chaque jour elle apparait lointaine, en retrait de la nature et des belles âmes, comme si elle en éprouvait de la phobie. Puisse-t-il tenir ma main et ensemble nous lirons la magie des mains avant la magie des coeurs; quand échoue l’art ne faut-il croire un peu à la magie ne serait-ce que par vaine consolation..

- nuit plus noire que l’ébène et j’aime en ces instants de désarroi en fouiller les espaces pour les arroser des pleurs de mon coeur. Ciel aux feux éteints plus gris que mon âme battue au duel, j’aimerais en ces instants marquer de mon sceau vos espaces avec l’encre de mon âme qui suit un mirage qui ne veut jamais s’estomper.ainsi ma veillées sera des haltes successives à tous ces espaces pour me rappeler que ce mirage finira par s’évaporer.

- la source libérée coule en cascade, coeur affranchi de ses peurs explose d’amour.

-t’aimer comme un fou, t’aimer comme un sage, ce sera l’amour de mes saisons.

-t’aimer c’est oublier le temps et entrer dans l’éternité

Gétuliya, nouvelle pour enfants ; ahmed bencherif

28 février, 2013
Gétuliya et le voyage de la mort volontaire | 3 réponses »

 

Il y a des milliers d’années, la région d’Ain-Sefra recevait abondamment de pluie et partout les herbes hautes poussaient dans l’immensité des plaines sablonneuses qui s’étendaient jusqu’aux portes de l’oasis de Taghit. Tous les jours, le ciel était chargé de gros nuages, tous les jours il y tombait de grosses pluies qui trempaient le sol. Les crues étaient impressionnantes par leur grandeur qui atteignait cinq mètres de hauteur et leur vitesse était vertigineuse. Les oueds coulaient régulièrement et rugissaient comme des lions. Ils allaient arroser l’immensité désertique pour finir dans les palmeraies du Touat, à Kerzaz, à Adrar et aussi loin que le permettait le courant des eaux tumultueuses

Ses  montagnes forment ce que les géographes ont appelé : le mont des Ksour en hommage au chapelet des ksars construits à leurs bases, depuis moins de deux mille ans, comme c’est le cas d’Ain-sefra, Sfissifa, Moghrar, Boussemghoun, Chellala. Elles sont imposantes, abruptes, difficiles à escalader et atteignent généralement mille huit cents mètres d’altitude. Dans le passé préhistorique, elles étaient densément boisées de chênes verts, de pins, de caroubiers, de genévriers et de diverses espèces. Elles abritaient des forêts profondes et inextricables. Leurs sommets étaient habillés de blanc presque toute l’année, une généreuse couche épaisse de neige qui fondait quand le soleil d’été commençait à chauffer et à émettre ses ardeurs. Ces eaux fondues s’infiltraient dans les couches géologiques profondes et ressurgissaient comme des sources généreuses qui donnaient à leur tour de grandes marres où venaient se désaltérer les animaux et les hommes.

Les géographes nous disent encore que la région d’Ain-sefra formait, dans ces temps les plus reculés de la préhistoire, un immense marécage qui s’étendait jusqu’à l’oasis de Taghit, à quatre vingt kilomètres au sud de Bechar. Elle avait donc sa végétation spécifique : des onces, des roseaux et des herbes très hautes et tendres. Au printemps, il y poussait aussi une multitude de fleurs variées, très belles et odorantes que butinaient les abeilles et les papillons. Mais cette région avait sa faune particulière, aujourd’hui hélas disparue et dont on retrouve la trace de sujets animaux sur les parois rocheuses qu’avaient taillés les premiers habitants. Elle ressemblait à la savane africaine et abritait le lion, le zèbre, l’éléphant, la girafe, le crocodile, le buffle, l’hyène, le serval, le guépard. Cet homme préhistorique nous a donc laissé sa mémoire par des gravures rupestres dont on retrouve des centaines de stations à ciel ouvert, éparpillées à travers l’atlas saharien et dont les plus belles se trouvent à Tiyout, vielles de cinq huit mille ans. Ces immensités fourragères suffisaient à entretenir ces troupeaux herbivores. Mais la sécheresse les appauvrissait d’année en année et le sol très humide s’asséchait de plus en plus. Plus loin dans le temps, soit soixante cinq millions d’années, il y vivait chez nous des dinosaures herbivores et les géologues en ont retrouvé un squelette, conservé aujourd’hui pour les besoins de la recherche scientifique, au musée de la Sonatrach à Alger.

Dans la région d’Ain-sefra, d’époque lointaine, il y a cinq mille ans, il y vivait un groupement humain, appelé Gétules, redoutables guerriers qui combattaient aux cotés des armées de la Numidie, de Carthage et d’Egypte. Ce peuplement était nombreux et se caractérisait par le grand nomadisme qu’il pratiquait. Ces mêmes individus peuplaient les hauts plateaux de l’est de notre pays, entre Constantine et Sétif. D’autres groupements moins importants en nombre habitaient au sud du Maroc, dans le territoire de Tafilalet. D’autres encore peuplaient le territoire entre Ouargla et Tabelsa, dont le mausolée remonte à deux mille cinq cents ans.

à paraitre prochainement en Algérie;

Zoubeida, extrait l’Odyssée; ahmed bencherif

28 février, 2013
Poésie | Pas de réponses »

 

Zoubeida

 

 

Et par ce forum, je te sais avoir été :

Tu péris accablée de mal avancé

Sur ton lit d’hôpital, antre de charité

Et de soins, égal pour des humains menacés.

 

Ton repas du jour était la douleur atroce

Qui ruinait tes forces, perturbait ton esprit.

La nuit longue et noire t’éprouvait d’angoisse

Et te gardait dans les affres de l’insomnie.

 

C’était dans la blanche Alger perchée sur la mer,

Ta lutte s’avouait vaine contre le mal,

Ton chant de clémence montait dans les éthers

Dans un décor insolite de blancheur en salle.

 

En ultime espoir de prolonger tes jours,

Tu pris les airs en brancard pour la France,

De savoir clinique avisé, dans le bourg,

Le meilleur, par des mains de grande compétence.

 

Mais ton mal s’insinuait gravement dans ton corps,

Entamait ton envie de vivre longuement,

Troublait ton psychique, précipitait ton sort,

Te poussait à faire ton humble testament.

En piété, tu mis ton pied dans l’au-delà ?

Loin de ta Nadia, ton amie de toujours

Et de tes proches que ta perte accabla

De douleur muette, d’un profond deuil sourd.

 

Tu partis, Zoubeida ! Tu partis, Zoubeida,

Seule en voile blanc et de tout dépouillée,

Ni velours, ni bijoux, seule dans ton trépas,

Munie de ton bilan d’actes sains ou souillés.

publié à Paris  par Edilivre

les légumes ne poussent pas en hiver; extrait hé hé hé c’est moi qui l’ai tué; ahmed bencherif

28 février, 2013
hé hé hé c'est moi qui l'ai tué | Pas de réponses »

Mohamed éconduisit son âne dans le dépôt de bois dont il alluma un plafonnier électrique dont le voltage était si faible que l’on ne voyait presque rien. Il rangea les bûches dans un coin et s’écorcha un doigt qui saigna aussitôt. Il le suça instinctivement et le sang coagula. Il regagna la cuisine et sermonna fortement sa femme, puis il la saisit par les cheveux et la secoua vigoureusement et dit : « Maintenant, je vais t’apprendre à être prompte pour m’ouvrir la porte. ». Elle eut peur un peu, mais ne trembla pas, ne cria pas. Et dit : « Ne me frappe pas ; je t’ai préparé à manger et l’eau est chauffée pour que tu fasses tes ablutions. » Il la tenait toujours par les cheveux sans exercer de violence pourtant, alors qu’il était très nerveux. Quant à elle, elle restait humblement soumise et sûr d’elle-même. Elle n’essaya même pas de se dégager de l’étreinte de son mari qui dit : « Je vais t’apprendre à savoir qui suis-je. » Fatma restait imperturbable, malgré sa fragilité. Elle connaissait tout de son homme, sa violence, sa modération, ses limites. Aussi, elle n’en fut pas trop émue et dit : « Je sais qui tu es ; tu es  mon lion qui rugit et fait fuir les braves. » Elle fit mouche et, à chaque fois que Mohamed entendait les mêmes propos, il se désarçonnait et jamais il ne put déceler la boutade du compliment. Pour s’authentifier comme tel, il rugit comme d’habitude, prit une amphore qu’il remplit d’eau tiède et regagna le dépôt de bois qui faisait office de salle de toilettes.

La salle de toilettes était aménagée dans un réduit. Comme le réseau d’assainissement public n’existait pas, elle disposait d’une fosse sceptique qui recevait les déchets et que Mohammed curait, quand elle se comblait et ces mêmes déchets allaient nourrir son champ de culture, une fois séchés au soleil. Oui, toute cette cité en était privée, la commune mixte n’avait pas assez de sous pour réaliser ces travaux nécessaires à la salubrité publique. L’eau courante n’existait pas non plus et chaque maison disposait de son propre puits. A vrai dire la volonté politique des pouvoirs publics était absente, au motif que les conditions de faisabilité n’étaient pas aussi appropriées, comme au village, édifié sur une surface plane et non rocheuse, lequel était majoritairement habité par des Français, mieux représentés politiquement que les Musulmans Français, les uns et les autres ayant chacun son propre collège électoral.

Mohamed éprouvait une grande difficulté pour se  soulager. Il mangeait presque chaque soir du gros couscous par défaut, aliment qui lui incommodait le colon paresseux. A chaque fois, il était obligé de faire une grande pression de son abdomen pour évacuer. Toutes les tisanes, qu’il ingurgitait, ne lui facilitaient pas le transit. Cette fois-ci encore, il passait un mauvais moment, drôle en soi : il poussait, poussait à se couper la respiration ; il geignait, geignait à s’étrangler la voix. Au prix de maints efforts, il parvint à dégager autant que peu et se purifia les parties intimes, puis alla vers un autre endroit et fit ses ablutions.

Il retourna ensuite à la cuisine et s’assit sur une peau de brebis, au coin de la cheminée dont le feu flambait, ce qui offrait une bonne opportunité pour se dispenser de l’éclairage électrique. En bonne lionne, sa femme lui donna du café et toute une galette fourrée à l’oignon et aux graisses, bien chaude dont il découpa un gros morceau qu’il mit dans la bouche et sentit aussitôt une brûlure au palais. Il voulut cracher l’aliment, mais Fatma le regardait avec niaiserie. Alors, il l’avala et se brûla encore l’estomac. Il ne dit rien, coupa un autre morceau et le souffla plusieurs fois avant de le manger. Il se restaura de bon appétit et se ramassa, en s’appuyant sur la paume de sa main droite. Il sortit et laissa la porte entre ouverte et s’en alla faire sa prière en assemblée, comme le recommande sa religion. Il laissa le portail à sa gauche, continua son chemin, tourna à droite, marcha encore, s’engouffra à l’angle de la ruelle, sombre même en plein jour du fait d’un plafond qui la couvrait, fit quelques pas, tourna à droite et arriva à la mosquée. Il fit sa prière avec les autres croyants et sortit aussitôt, sans s’attarder outre mesure.

De retour chez soi, il sortit quatre brebis et une chèvre qu’il éconduisit à la barbe de la dune où le berger rassemblait le troupeau de la cité pour aller le faire paître, sur les contreforts de la montagne bleue. Il fit une grimace et dit : « hum la barbe ? » Hé oui, bien génial : la barbe, c’est toute cette partie broussailleuse à la base de la dune, qui ressemble effectivement à une longue barbe elliptique. Par souci d’environnement, elle était interdite au pacage. Il faisait encore sombre, quand il revint chez lui. Sa femme lui donna le casse-croûte du jour : une petite marmite pleine de gros couscous. Il fit une grimace en guise de désapprobation. Elle en comprit l’allusion et dit : « Je n’ai pas beaucoup de choix pour faire la cuisine et nourrir toute la marmaille que tu m’as faite ; nous sommes pauvres. » Cette réflexion lui déplut et comme il fallait comme toujours avoir le dernier mot, il fit une remarque judicieuse : « Le caïd mange aussi du Taâm (couscous) et les légumes ne poussent pas en hiver. » Il mit l’ustensile  dans son sac en fibres d’alfa qu’il n’abandonnait jamais, scella et monta son petit âne, puis il partit en direction de son jardin, à une lieue au bord de l’oued.

Il ne faisait pas encore jour et la pénombre était encore épaisse. La cité reprenait pourtant son activité : les femmes aux métiers à tisser, les hommes aux jardins et quelques uns aux commerces au village, au fond de la vallée. En chemin, Mohamed disait bonjour à tel ou tel. Il traversa l’antique cimetière abandonné, depuis le vingt deux octobre mille neuf cents quatre, date où le général Lyautey choisit un autre site à sidi Boujemaâ où fut ensevelie la première dépouille, celle d’Isabelle Eberhardt, noyée dans l’oued, une journée plus tôt et dont il assista aux funérailles, célébrées selon le rite musulman. Il contourna ensuite la carrière d’argile et s’engagea dans un sentier étroit et accidenté, avant de déboucher directement dans la zone agricole, une frange peu large mais longue sur le long de l’oued, qui fait environ une vingtaine d’hectares, balisée par d’innombrables chemins clôturés en pisé d’une hauteur de deux mètres. La gelée tombée de nuit fondait et de ce fait le froid faisait de sévères morsures que sentait Mohammed aux mains, au visage, au dos, partout sur son corps que le lainage ne pouvait protéger efficacement.

Mohamed dans son jardin, extrait hé! c’est moi qui l’ai tué; Ahmed bencherif

19 février, 2013
hé hé hé c'est moi qui l'ai tué | Pas de réponses »

La monture de Mohamed galopait merveilleusement, jetait des pas courts mais rapides et lui, il balançait nonchalamment ses jambes, fredonnait un air, de sa voix grosse, alors que son gosier n’eut jamais à avaler de fumée de cigarette. Il était comme toujours heureux d’aller bêcher, désherber, arroser, labourer, planter, semer, ou récolter. Il aimait son label, adorait sa terre. Alors, il leur ouvrait grand le cœur et leur donner des prévenances à tous les instants. Il arriva à la parcelle qu’il convoitait depuis toujours : elle était belle, généreuse, douce et clémente, aimante comme une femme. Il mit pied à terre, ouvrit la porte basse, éconduisit son âne jusqu’au bouquet de tamarix au bord de  l’oued. Il observa son propre rite matinal de fellah en mal vie, en manque de tout : il prit une poignée de terre, la baisa et la huma langoureusement, puis la racla de sa langue. A chaque fois, il en ressentait l’ivresse et disait : «Quand seras-tu à moi tout seul ? Jamais les autres prétendants ne te prendront à moi ; je serai toujours là pour leur faire barrage et jeter à l’eau leur projet. Eux ne t’aiment pas, moi, je t’aime ; eux profitent de ta générosité, moi, j’écoute tes plaintes et tes gémissements, quand tu subis des violences, quand tu pleures ; alors, je souffre dans le plus profond de mon être. Toi aussi, tu m’aimes et tu n’aimes pas ceux qui profitent de ta générosité. Moi non plus, je ne les aime pas ; mais je n’ai pas de bras pour te défendre. Demain quand mes fils auront grandi, alors ils viendront à ton secours et sois sure que je trouverai ce trésor fabuleux pour t’avoir à moi seul. »

C’était son deuxième jour d’arrosage de la semaine. Son jardin était dépourvu de puits et il n’eut jamais l’idée lumineuse d’en foncer, car l’indivision le terrorisait. Pourtant, c’était facile pour lui : foncer à quatre ou cinq mètres sur un rayon d’un mètre au plus, ramener à dos d’âne des galets de l’oued tout proche et de l’argile. Il ne le fit pourtant jamais, non qu’il fût égoïste, mais il ne voulait point travailler gratuitement pour les autres. Tant que l’eau de la djemaa existait, il ne se faisait pas de soucis. Il prit sa bêche et alla en aval de l’oued, traversant plusieurs lopins de terre séparés par de très basses clôtures presque à raz du sol. Il longea la seguia sur quatre à cinq cents mètres, puis il  revint sur ses pas en défonçant trois ou quatre retenues, distantes les unes aux autres, qui retenaient l’eau en amont de son jardin. La seguia ne passait pas entre les cultures, mais défilait en hauteur sur une petite bande inculte, broussailleuse, ce qui la préservait des éboulis de sable. L’eau y coulait par un faible débit, faisait parfois des ondes et moussait, ralentissait son écoulement, débordait sur le côtés. Alors, il curait l’excès de sable et des brindilles charriées qu’il remettait sur les rebords. Ce supplément de travail lui déplaisait, l’irritait et déliait même sa langue : « L’annexe (commune mixte) ne se soucie pas de notre destinée de fellah, ne fait rien pour construire une seguia en dur et une retenue collinaire digne de ce nom. Le Hakem (l’administrateur qui est aussi chef d’annexe) mange les légumes de l’oued et donne des crédits au village pour y faire des travaux de ceci et de cela ».

Mohamed ordonnait bien son jardin : carrés longs et peu larges de carottes, navets, radis, poireaux, courgettes, orge. Il en avait arrosé la moitié de la superficie en deux heures, boucha le dernier carré et repartit en amont fermer l’amenée de l’eau. De retour, il récolta pendant un bon moment des légumes, qu’il lava méticuleusement à la seguia, en coupa le surplus d’herbes, en fit des bouquets  de même volume, sans pesage, juste au coup d’œil, en emplit son sac qu’il affréta sur son âne  sur lequel il monta lui-même et prit la direction du village, en empruntant la voie bourbeuse de l’oued, qui au cours des crues furieuses, avait tracé un curieux lit : il s’élargissait à mesure qu’il descendait sur une basse profondeur, puis il se heurtait de front à une haute falaise au nord et dévorait la terre au sud, puis il défilait en creusant et en se rétrécissant, toujours emprisonné par la même falaise qui va mourir à proximité du pont pour laisser surgir soudain son confluent et ainsi former une menace sérieuse des  inondations violentes et impressionnantes.

La traversée était assez ennuyeuse pour lui : car il contournait un nid de roseaux, un nid de lauriers sauvages, une marre d’eau, d’énormes galets. Pour un promeneur, c’était romantique de patauger un peu dans la boue, sécher ses chaussures sur du sable doré, écouter le gazouillis ininterrompu, voir son visage sur une flaque d’eau limpide, couper un rameau de dattier de chine, contempler les sautillements d’une grenouille, en entendre les coassements, écouter les flagorneries des fellahs sur les deux rives, en croiser quelques uns empressés. Mohammed était surtout un homme tranquille, jamais en course pour quoi que ce soit, jamais passionnément affairé. Il appartenait à cette catégorie d’individus qui donnent le temps au temps. Ses activités restreintes lui engendraient un vide immense qu’il ne savait comment meubler. Cependant, il n’en éprouvait aucun ennui et ne rêvassait jamais.

Il longea enfin la dernière exploitation agricole où mourait la falaise médiane entre l’oued et son confluent : elle était abritée sur les deux rives par de hauts cyprès qui la cachaient, louée par un Français qui faisait l’élevage porcin pour l’approvisionnement en charcuterie du régiment de légionnaires cantonné dans la caserne qui surplombait la rive Nord du cours d’eau, témoin de la conquête du village en 1881. Quelques pas plus loin, il monta et laissa à sa gauche le Parc à fourrages de l’armée et la rue de France, s’engagea dans la voie asphaltée qui menait au souk, dépassa le boulodrome, arriva au bouquet de tamarix qui symbolisait l’aire de vente des fruits et légumes, attacha son bourricot à un arbre, endossa son sac et alla se ranger sur une petite place. Là, il étala des poireaux, des radis, des carottes, des oignons, du persil, puis il dit : « O donateur de bienfaits, sois généreux ! ».

Edité à Constantine

Les Tassim et les Jedis, extrait Marguerite tome 2; Ahmed Bencherif

19 février, 2013
Marguerite t/1; t/2 | Pas de réponses »

Les Tassim et les Jediss procréèrent et y fondèrent un royaume à Tassim. Au 5ème siècle, avant Jésus Christ. Oumlok de Tassim en était le roi et gouvernait en tyran. Une femme de Jediss, dite Houzeila,  fille de Mazin et son mari, dénommé Macheq, divorcèrent et firent appel à sa juridiction au sujet de la garde de leur enfant. Le couple en cause comparut et Houzeila dit : « O roi ! C’est celui que j’ai porté jusqu’à neuf mois, mis au monde à la poussée, allaité deux ans, je n’en ai tiré aucune utilité, jusqu’à son épanouissement et l’affirmation de ses performances, il a voulu me l’arracher de force et m’abandonner sans lui à zéro ». Son mari dit : « Elle a eu la dote complète dont je n’ai rien obtenu, sauf cet enfant paresseux ».   A leur grande surprise, Oumlok garda l’enfant pour lui-même, comme serviteur. Houzeila quitta l’audience et dit publiquement son désarroi par un pamphlet qui mettait en exergue l’imbécillité du roi et en dénonçait l’injustice :

 

«On a comparu par devant un frère, Tassim, il a rendu, pour Houzeila, un jugement inique

Par ma vie tu as jugé sans émotion, ni assimilation au gouvernement

J’ai regretté et je ne peux rien changer et mon mari perplexe le regrette »

 

Oumlok en eut connaissance et fut courroucé et, pour punir les gens de Jediss, il exigea d’eux de lui ramener toute nouvelle mariée, pour la violer la nuit de ses noces. Afira connut ce sort tragique et, la nuit de ses noces, elle fut accompagnée par ses deux demoiselles d’honneur qui chantaient : « Commence par Oumlok, lève-toi et rejoints ton mari, il n’y a aucune issue pour vos vierges ». Afira fut déflorée contre son gré par le roi ; elle souffrait une douleur mortelle, revint dans sa cité par un jeudi et chanta une poésie déchirante qui incitait à la révolte :

 

«Est-ce bien pour vos jeunes filles, vous, hommes, aussi nombreux que des sables

Est-ce bien que vos jeunes filles qui se rendent à leurs maris pleines de sang,

Si après cela, vous n’entrez pas en colère, soyez femmes et faites du Kohol

Loin des délices des mariées, car vous avez été crées pour les habits des mariées et la lessive

Maudit soit celui qui ne défend pas, se gonfle et marche parmi nous comme un mâle

Si nous étions hommes, et vous, des femmes, nous n’aurions pas accepté l’humiliation

Mourrez dignes et allumez à votre ennemi une guerre chauffée par un brasier ardent

Ne frémissez pas à une guerre ô gens car, elle se fait par des gens dignes sur pied

Y mourra le lâche et y survivra le digne et preux »

 

Afira parvint à émouvoir les Jediss qui étaient sous l’autorité patriarcale de son frère El Assouad Ben Gheffar. Celui-ci les réunit et leur dit :

« O Jediss, obéissez-moi et exécutez ce dont je vous convie, il y’a de la dignité des temps et la disparition de l’humiliation. Vous savez que les Tassim ne sont pas plus dignes que vous, mais la souveraineté de Oumlok sur les siens et les nôtres exige notre obéissance commune, autrement il n’aurait pas plus de privilèges que nous-mêmes. Si, vous ne m’obéissez pas, j’enfoncerai ici même mon sabre dans mon ventre ».

 

Les Jediss qui étaient moins puissants et moins nombreux que leurs cousins exprimèrent leurs craintes. Mais, leur grand les rassura et dit qu’ils inviteraient les Tassim à une grande zerda et cacheraient leurs épées dans les sables qu’ils sortiraient au moment du repas et les extermineraient ainsi, facilement. Mais, Afira désavoua ce procédé et dit :

 

« ne fais pas cela, la perfidie constitue un affront et un parjure, chargez les gens dans leur cité, vous les neutralisez ou vous mourez ».

 

Son frère lui répondit qu’il s’agissait d’un moyen tactique qui garantirait la victoire et accomplirait la vengeance de manière efficace. Les Jediss mirent leur projet à exécution et les Tassim furent exterminés.

quand l’âne entre dans l’équation; extrait Marguerite tome 1 Ahmed Bencherif

19 février, 2013
Marguerite t/1; t/2 | Pas de réponses »

La nuit tombait et commençait à engloutir la nature dans son manteau noir, qui descendait imperceptiblement et chassait les dernières pénombres. Dans le champ de vision, les choses se distinguaient déjà dans le  flou, comme des silhouettes  informes et indescriptibles, et dans le petit bois de pistachiers, les hommes n’étaient plus que des corps de chair méconnaissables. Guidé par les voix, Hamza se rapprocha d’eux et, en scrutant l’obscurité, put enfin identifier, assis cote à cote et entourés de trois adolescents, Belkacem et le mystérieux homme qui se disait venir de nulle part. Il se fit une place près d’eux et se laissa choir au sol, ressentant soudain la fatigue du jour et une forte envie du sommeil. Mais, les hommes se racontaient leurs misères et il préféra les écouter. L’iniquité dominait leurs histoires et ceux qui les gouvernaient s’en foutaient royalement, les dépouillaient de leurs maigres sous, de leur dignité. Le percepteur les accablait d’impôts injustes, les taxait d’insolvables, les menaçait de saisies, fouillait leurs logis, les obligeait à s’acquitter de redevances imaginaires, les menaçait de prison. Pire encore, un homme qui venait de l’arrondissement de Blida éclata en sanglots et dit que l’huissier se présenta chez lui avec la force publique et, quand il ne trouva rien à saisir, il emmena sa femme en prison qui y passa quinze jours et fut libérée seulement contre une remise de cinquante francs que la tribu avait ramassée. Le caid les surchargeait de corvées dont il tirait personnellement profit : livraison de bois ou de charbon, tonde de troupeau et parfois le lavage de laine. Un individu très naïf dit qu’il en avait marre de fournir l’an entier du bois à dos d’âne au caid. Quelqu’un lui répondit de prendre courage à deux mains et de refuser la corvée. Mais il donna sa réponse classique et rétorqua qu’il s’était fait le serment de cesser de fournir le bois seulement si l’un des trois mourait : le caid, lui-même ou l’âne.

- Tu manques d’audace, lui lança, en rigolant, Belkacem. Tu es indigne de l’indigène, lequel ne craint ni le caid, ni le Hakem (L’administrateur). Je préfère séjourner quelques jours en prison que de subir l’esclavage du caid.

-  Mais le caid me donne l’autorisation pour couper du bois en foret.

-  Voilà qui explique ta lâcheté. Alors vous allez vivre longtemps ainsi. Sais-tu que je refuse catégoriquement de saluer le Hakem et à chaque fois il m’interne pour une huitaine. Ma petite fierté m’a valu jusqu’ici soixante quatre jours de cachot et j’ai juré de ne jamais le saluer. Chaque individu passe neuf mois dans le ventre de sa mère et, lui, n’a pas plus ou moins. C’est dire qu’on est tous égaux.

La parole passait tour à tour, comme dans un congrès où la voix au chapitre était garantie et chacun émouvait les autres par une harangue qui illustrait au mieux l’iniquité qu’il subissait. Mais le congrès ne signifiait aucun commentaire et ne réagissait pas, malgré sa pensée secrète de faire une battue sur le champ dans les exploitations coloniales toutes proches et fomenter une petite rébellion dans l’anonymat. Il était bien houleux et craignait de provoquer la tempête, avant l’heure ; il risquait cependant de récolter une terrible vengeance au lieu de moisson. Mais, la réalité était amère et chacun gardait sa réflexion pour soi, par peur de contagion sociale.

Malgré cette ferveur créée par une forte émulation qui déliait les langues par vantardise légitime, l’homme qui se disait venir de nulle part demeurait aphasique comme les nuits précédentes, non point qu’il fût las ou indifférent, mais timoré de suspicion. Pourtant sa lourde souffrance, qui se prolongeait dans le temps, ne lui accordait aucun répit et il aurait bien aimé accéder à la compassion de ses frères d’infortune. Ses sentiments étaient troubles et confus, comme dans un mélodrame, sa personnalité était controversée : il se confortait dans l’isolement avec une douloureuse envie vers l’intégration sociale, parfois il se comportait comme un lion dans une bagarre et parfois, quel triste rabaissement dans sa condition humaine, seul un chat lui faisait peur. Une phobie épouvantable, lisible dans ses traits en plein jour, siégeait dans son esprit et le rendait affreusement vulnérable. Ses compagnons cherchaient vainement à connaître son origine et les plus curieux d’entre eux buttaient face à son obstination. Il gardait son passé pour lui-même, l’enfermait dans les antres du silence et craignait que la lumière le dévoilât un jour. Son origine qui était pourtant la plus légitime du monde restait, selon lui, tributaire de témoignage qu’il recherchait indéfiniment depuis près de cinquante six ans.

La lune, qui faisait rêver les amoureux, s’était levée ; son disque de platine phosphorescent était ponctué de rousseur et ne diffusait qu’une maigre lueur insignifiante dans cet univers obscur où l’on se mouvait avec beaucoup de peine. Un vent léger berçait les feuillages qui bruissaient comme un taffetas, traîné par une élégante princesse, dans un paradis animé par les chants mélodieux de canaris. La fraîcheur retombait et humidifiait le tapis de verdure où gisaient les hommes qui s’étaient tus, terrassés par la fatigue. Ils geignaient de courbatures diffuses et leurs corps leur faisaient mal à chaque mouvement. Leurs esprits détachés des splendeurs de la vie ne les entraînaient nulle part et ils ne rêvaient à rien. Ils n’en avaient pas le loisir, encore moins les moyens, acculés à courir derrière le pain dans leur environnement dépourvu des belles choses qu’offre pourtant la vie à tous. Ils tournaient, se retournaient en maugréant, déterraient un caillou qui les gênait, maudissaient le jour où ils vinrent au monde. Ils ne savouraient pas leurs bâillements qui étaient entrecoupés. Le destin s’acharnait à les torturer, jusque dans leurs heures de repos. Mais la nature reprend infailliblement ses droits et le sommeil finit par les conquérir. Ce fut le silence, troublé seulement par des ronflements innocents, propres à chaque individu sur terre, la seule chose qu’ils partagèrent avec les humains.

Hamza demeurait éveillé, les yeux rivés sur la voûte céleste immense, constellée d’étoiles en myriades ou solitaires. Il songeait aux centaines d’iniquités qu’il apprit pendant ces moissons. Cette tyrannie était dure à subir, engendrait un affront insupportable, frappait aveuglément et sans discernement, sentait à mille lieux le racisme honteux. Le bois de combustion était rigoureusement réglementé et tombait dans les faits sous l’interdit ; l’impôt redevable pour une chèvre était plus cher que la chèvre ; jeter la femme en prison pour obliger le mari à payer, dépassait les limites de l’entendement ; le Hakem mettait les indigènes en taule sans aucune forme de procès et à sa bonne humeur et si un prévenu rouspétait, il était assommé par une période supplémentaire par simple fantaisie. Ces Roumi, qui dominaient le pays des Arabes, avaient intérêt à les museler, mais, le petit caid n’était pas obligé de martyriser ses frères qu’il devait défendre ou tout au moins leur épargner ses viles corvées. Qui doit alors défendre les indigènes ? Se peut-il qu’ils aient abdiqué pour toujours ? Devra-t-on attendre indéfiniment le Mahdi, ce réformateur de l’état social que semblent attendre les populations ? Toutes ces pensées trottaient dans son cerveau et il en souffrait terriblement. Il en voulait à ces faiseurs de mal qui ne suscitaient ni sa colère ni sa fureur. Il ne les aimait pas, mais ne les haïssait pas. Il découvrait leur réelle nature qui entrait brutalement dans son existence.

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