ahmed bencherif écrivain et poète

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28
fév 2013
les légumes ne poussent pas en hiver; extrait hé hé hé c’est moi qui l’ai tué; ahmed bencherif
Posté dans hé hé hé c'est moi qui l'ai tué par bencherif à 9:08 | Pas de réponses »

Mohamed éconduisit son âne dans le dépôt de bois dont il alluma un plafonnier électrique dont le voltage était si faible que l’on ne voyait presque rien. Il rangea les bûches dans un coin et s’écorcha un doigt qui saigna aussitôt. Il le suça instinctivement et le sang coagula. Il regagna la cuisine et sermonna fortement sa femme, puis il la saisit par les cheveux et la secoua vigoureusement et dit : « Maintenant, je vais t’apprendre à être prompte pour m’ouvrir la porte. ». Elle eut peur un peu, mais ne trembla pas, ne cria pas. Et dit : « Ne me frappe pas ; je t’ai préparé à manger et l’eau est chauffée pour que tu fasses tes ablutions. » Il la tenait toujours par les cheveux sans exercer de violence pourtant, alors qu’il était très nerveux. Quant à elle, elle restait humblement soumise et sûr d’elle-même. Elle n’essaya même pas de se dégager de l’étreinte de son mari qui dit : « Je vais t’apprendre à savoir qui suis-je. » Fatma restait imperturbable, malgré sa fragilité. Elle connaissait tout de son homme, sa violence, sa modération, ses limites. Aussi, elle n’en fut pas trop émue et dit : « Je sais qui tu es ; tu es  mon lion qui rugit et fait fuir les braves. » Elle fit mouche et, à chaque fois que Mohamed entendait les mêmes propos, il se désarçonnait et jamais il ne put déceler la boutade du compliment. Pour s’authentifier comme tel, il rugit comme d’habitude, prit une amphore qu’il remplit d’eau tiède et regagna le dépôt de bois qui faisait office de salle de toilettes.

La salle de toilettes était aménagée dans un réduit. Comme le réseau d’assainissement public n’existait pas, elle disposait d’une fosse sceptique qui recevait les déchets et que Mohammed curait, quand elle se comblait et ces mêmes déchets allaient nourrir son champ de culture, une fois séchés au soleil. Oui, toute cette cité en était privée, la commune mixte n’avait pas assez de sous pour réaliser ces travaux nécessaires à la salubrité publique. L’eau courante n’existait pas non plus et chaque maison disposait de son propre puits. A vrai dire la volonté politique des pouvoirs publics était absente, au motif que les conditions de faisabilité n’étaient pas aussi appropriées, comme au village, édifié sur une surface plane et non rocheuse, lequel était majoritairement habité par des Français, mieux représentés politiquement que les Musulmans Français, les uns et les autres ayant chacun son propre collège électoral.

Mohamed éprouvait une grande difficulté pour se  soulager. Il mangeait presque chaque soir du gros couscous par défaut, aliment qui lui incommodait le colon paresseux. A chaque fois, il était obligé de faire une grande pression de son abdomen pour évacuer. Toutes les tisanes, qu’il ingurgitait, ne lui facilitaient pas le transit. Cette fois-ci encore, il passait un mauvais moment, drôle en soi : il poussait, poussait à se couper la respiration ; il geignait, geignait à s’étrangler la voix. Au prix de maints efforts, il parvint à dégager autant que peu et se purifia les parties intimes, puis alla vers un autre endroit et fit ses ablutions.

Il retourna ensuite à la cuisine et s’assit sur une peau de brebis, au coin de la cheminée dont le feu flambait, ce qui offrait une bonne opportunité pour se dispenser de l’éclairage électrique. En bonne lionne, sa femme lui donna du café et toute une galette fourrée à l’oignon et aux graisses, bien chaude dont il découpa un gros morceau qu’il mit dans la bouche et sentit aussitôt une brûlure au palais. Il voulut cracher l’aliment, mais Fatma le regardait avec niaiserie. Alors, il l’avala et se brûla encore l’estomac. Il ne dit rien, coupa un autre morceau et le souffla plusieurs fois avant de le manger. Il se restaura de bon appétit et se ramassa, en s’appuyant sur la paume de sa main droite. Il sortit et laissa la porte entre ouverte et s’en alla faire sa prière en assemblée, comme le recommande sa religion. Il laissa le portail à sa gauche, continua son chemin, tourna à droite, marcha encore, s’engouffra à l’angle de la ruelle, sombre même en plein jour du fait d’un plafond qui la couvrait, fit quelques pas, tourna à droite et arriva à la mosquée. Il fit sa prière avec les autres croyants et sortit aussitôt, sans s’attarder outre mesure.

De retour chez soi, il sortit quatre brebis et une chèvre qu’il éconduisit à la barbe de la dune où le berger rassemblait le troupeau de la cité pour aller le faire paître, sur les contreforts de la montagne bleue. Il fit une grimace et dit : « hum la barbe ? » Hé oui, bien génial : la barbe, c’est toute cette partie broussailleuse à la base de la dune, qui ressemble effectivement à une longue barbe elliptique. Par souci d’environnement, elle était interdite au pacage. Il faisait encore sombre, quand il revint chez lui. Sa femme lui donna le casse-croûte du jour : une petite marmite pleine de gros couscous. Il fit une grimace en guise de désapprobation. Elle en comprit l’allusion et dit : « Je n’ai pas beaucoup de choix pour faire la cuisine et nourrir toute la marmaille que tu m’as faite ; nous sommes pauvres. » Cette réflexion lui déplut et comme il fallait comme toujours avoir le dernier mot, il fit une remarque judicieuse : « Le caïd mange aussi du Taâm (couscous) et les légumes ne poussent pas en hiver. » Il mit l’ustensile  dans son sac en fibres d’alfa qu’il n’abandonnait jamais, scella et monta son petit âne, puis il partit en direction de son jardin, à une lieue au bord de l’oued.

Il ne faisait pas encore jour et la pénombre était encore épaisse. La cité reprenait pourtant son activité : les femmes aux métiers à tisser, les hommes aux jardins et quelques uns aux commerces au village, au fond de la vallée. En chemin, Mohamed disait bonjour à tel ou tel. Il traversa l’antique cimetière abandonné, depuis le vingt deux octobre mille neuf cents quatre, date où le général Lyautey choisit un autre site à sidi Boujemaâ où fut ensevelie la première dépouille, celle d’Isabelle Eberhardt, noyée dans l’oued, une journée plus tôt et dont il assista aux funérailles, célébrées selon le rite musulman. Il contourna ensuite la carrière d’argile et s’engagea dans un sentier étroit et accidenté, avant de déboucher directement dans la zone agricole, une frange peu large mais longue sur le long de l’oued, qui fait environ une vingtaine d’hectares, balisée par d’innombrables chemins clôturés en pisé d’une hauteur de deux mètres. La gelée tombée de nuit fondait et de ce fait le froid faisait de sévères morsures que sentait Mohammed aux mains, au visage, au dos, partout sur son corps que le lainage ne pouvait protéger efficacement.


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