ahmed bencherif écrivain et poète

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Archive pour mai, 2013


Perle d’Icosium; extrait les Odes de l’Amour; ahmed bencherif

28 mai, 2013
Poésie | Pas de réponses »

Perle d’Icosium

 

Elégants palmiers élancés dans le ciel,

De stipe ramifié facile aux ascensions,

A palmes vert vif et drupe au goût de miel,

Témoins silencieux de pieuses processions,

Du saint patron du bourg, émule d’Abraham,

Qui de vision révélée, songea sacrifier

Ses disciples comme le fut l’enfant Ismail,

Les gracia en dernier ressort la paix dans l’âme,

Sanctifia les sept égorgés dont Abou Dakhil.

 

Sidi Ahmed Ben Youcef, leur maître adoré,

Leur confia donc les secrets de la voie mystique,

Et l’art d’inculquer dans de lointaines contrées,

Le savoir, la foi aux collèges confrériques.

 

Son autre prosélyte, Sifiya, la sainte,

Fille de famille maraboutique antique,

Vouée à Dieu souffrant le martyre sans plainte,

Etait la perle de l’oasis mirifique.

 

Verts palmiers, soyez témoins de l’évènement,

Conclu ce vendredi par Canal Algérie,

Promoteur de vos trésors combien charmants,

Par la voie d’artistes au cours du safari,

Munis de caméras, projecteurs et câbles,

D’accessoires primées, déployés sur le site,

Merveilleux rivage, de tout temps admirable,

Encensé par de grands voyageurs avec rite.

La Perle d’Icosium, une fleur épanouie,

Un poème à la vie, la reine des reines,

Une douce cirée que son charme éblouit,

Œuvre dans son art, magistrale et sereine.

D’inspiration artistique originale,

Acquise dans ses splendides fresques d’antan,

Elle élit la scène dans les gorges pales

Du djebel Aissa, au crépuscule chantant.

 

Le soleil se couchait, mais elle, astre du jour,

Véritable, apparaissait dans ses éclats,

Mystiquement voilé et sans de vains atours,

Dessinait l’aquarelle et greffait de lilas

Mes Marguerite froissées par le temps de l’oubli,

Supplantées dans leur pays d’une œuvre fabulée,

Importée hardiment par des cercles amis

Influents qui sans la lire l’ont pourtant adulée.

extrait les odes de l’amour à paraitre prochainement

le martyr del’oued; Odyssée ahmed bencherif

14 mai, 2013
Poésie | Pas de réponses »

Le martyr de l’oued

 

 

Encore octobre et ses rendez-vous tragiques :

L’oued menace de nouveau la ville,

Rappelle ses dangers, ses crues fatidiques,

Sa force impressionnante, son éternel cycle.

 

Il vient de très loin, du moyen Atlas

Et grossit d’affluents le long de son chemin,

Traverse la steppe, sur des roches ne se casse,

Passe entre des gorges, balaie des jardins,

Court plus vite que le vent,  profond et très large,

Charrie des quantités énormes de glaise,

Tourbillonne en folie, déborde ses berges,

Se brise contre les roches qu’il creuse.

Il descend en furie, arrache les arbres,

Emporte les bestiaux surpris dans les herbes,

Chameaux, bœufs et brebis en très grand nombre,

Dévaste les oasis et creuse des tombes.

 

Ses vagues énormes, folles et terrifiantes

Roulent les unes sur les autres sans répit,

Ne se brisent jamais, courent toujours en pente,

Foncent dans le désert assoiffé d’eau, de vie.

Elles montent très haut, gênées d’obstacles,

Poursuivent leur lancée, tombent avec fracas,

Puis se déchirent dans un bruit terrible,

Prennent leurs victimes dans leurs tristes appâts.

 

 

Il gronde dans la vallée comme un tonnerre,

Furieux et enragé de façon continue.

Ses échos demeurent suspendus dans les airs

Arrêtés par les monts resserrés, hélas nus.

 

Les habitants l’attendent, mais il les surprend.

Bienfaiteur ou monstre ? Il laisse cependant

De tristes souvenirs. Il ramène de l’eau,

Fait la félicité des plaines et des vaux.

Il vint de nuit, en l’an deux mille moins onze,

La veille du marché hebdomadaire en plein air,

Au bosquet de tamarix déjà en grains roses

Où marchands forains font de bonnes affaires.

 

 

 

L’oued les surprit dans leur sommeil profond,

Sous la franche lune, de chaleur étouffante,

Près de leurs voitures et leurs petits camions

Chargés de produits ménagers en vente.

 

Ils sont réveillés brusquement par l’eau froide

Et tout défile dans une vitesse rare :

Le grand émoi, l’émotion, pire débandade,

Des cris, des voix brisées, plus de phare.

Chlef ou la vallée de la mort, Marguerite t/1 ahmed bencherif

14 mai, 2013
Marguerite t/1; t/2 | Pas de réponses »

Djillali se démenait comme un forçat pour récolter du blé sur les piedmonts rocailleux, dépensait vainement ses énergies pour dépierrer et débroussailler, mais le semis ne connut pas d’éclosion. Le colonisateur lui confisqua ses terres fertiles, ses points d’eau et lui dit avec moquerie méprisante : « Indigène, la pierre produit du blé et de l’orge ; elle fera ta prospérité. » Il le chassa à la baïonnette et le pourchassa au canon, le refoula vers les terres incultes, toujours plus loin, là où la végétation vivace et la roche dure usent les efforts, dont le sol est plus stérile que du béton. Djillali peinait l’an entier dans la vallée du Chélif, mais la pierre ne produisait pas de blé, d’orge. Ce n’était qu’un mensonge parmi d’autres qu’inventait son agresseur. La sécheresse l’éprouvait et persistait, il s’obstinait à rendre cette pierre clémente. Alors, la terre se gerça, dégagea des pellicules poudreuses que balayait le sirocco brûlant. Les plants ne repoussaient plus, l’herbe se faisait rare, son petit troupeau fut décimé. La vallée du Chélif faisait désormais peur, les Matmoura (solos) ne contenaient plus de grains et les réserves pour les années de disette furent épuisées.

Le désastre était violent à la veille du vingtième siècle, à l’heure de l’évolution positive de la pensée humaine. Djillali connut un sort tragique, sa tribu et d’autres, innombrables, n’y échappèrent pas. Les celliers se vidèrent et chacun luttait pour sa propre survie, comma au jour de la résurrection, la solidarité du groupe ne se manifestait pas, parce qu’il n’ y avait rien à partager ; l’aumône avait perdu sa raison d’être, parce qu’il n’ y avait plus rien à donner. La vallée du Chélif fut déshumanisée, ravagée de fond en comble par la famine. Des hommes, des femmes et des enfants faméliques abandonnaient leurs logis, marchaient le long des routes et des sentiers, à la recherche d’un bout de pain ; ils se nourrissaient d’herbes et de baies, ne terminaient pas leur voyage, ils succombaient aux affres de la faim et mouraient, leurs dépouilles, exposées aux charognards. Les malheureux perdirent même leur droit sacré aux funérailles et des milliers de cadavres isolés ou groupés jonchaient la nature, la mère de tous les hommes.

Dans la région du Chélif, les maires du gouvernement civil, télégraphiaient au gouverneur général et lui signifiaient les mesures d’urgence prises : ils n’ouvraient pas de soupes populaires, interdisaient l’accès aux villes et villages aux légions d’affamés qui circulaient comme des ombres, afin de préserver la beauté des places et des jardins publics. L’Algérie entière entendait les lamentations des infortunés et le peuple, considéré barbare par le conquérant, découvrait, dans l’effroi, la vraie nature de ses geôliers, prétendus émancipateurs. Le gouverneur général, quant à lui, ne trouva pas mieux que d’allouer des crédits de semence, alors que des gens mouraient et ne verraient jamais la prochaine récolte. Ah ! Quelle tragique ironie ! Nos prétendus bienfaiteurs, venus nous délivrer du joug des Turcs, ne prirent point de mesures pour apaiser les affamés. Ils cherchaient au contraire à nous exterminer et la famine leur rendait ce précieux concours, qu’ils espéraient durer, durer le plus longtemps possible.

- C’est toi, Djillali Bou Kaddir, dit le juge, avec affabilité et énormément de compassion.

- Oui. Mr le juge.

- D’où viens-tu ?

- Je viens de la vallée de la mort.

- Où se trouve la vallée de la mort.

- C’est la vallée du Chélif, transformée en un immense désert par une sécheresse depuis cinq ans. Les nuages ne roulent plus dans le ciel, la terre s’est gercée, les oueds ont tari, le blé ne pousse plus, les plantes vivaces sont déracinées et emportées par les vents, le lièvre et le rat des champs ont disparu. Les gens se nourrissent de détritus et d’herbes sauvages, meurent affamés par milliers, c’est l’hécatombe, les cadavres gisent dans les vallons et les collines et font le gala de l’hyène et du chacal, les hommes annihilés n’ont plus la force de creuser des tombes, les râles d’épouvante assiègent le sommeil nocturne.

- Pourquoi as-tu quitté ton douar, sans permis de voyage ?

- Les maires ne veulent pas délivrer de permis de circuler, ils ne veulent pas que nous entrions dans les villes et les villages. Ils nous laissent mourir en pleine nature.

- Le défaut de permis de circuler est un délit grave, passible de prison

- La prison prive de liberté ceux qui sont libres. Quant à moi, je ne suis pas libre et chaque jour je fais un pas vers l’échafaud, car en sortant des entrailles de ma mère, j’étais déjà mort. Mais, Dieu prolonge mes jours. Est-ce pour subir indéfiniment les épreuves ? Il est le seul à en connaître le secret.

- Tu as volé des pommes de terre et des carottes dans la ferme de Mates. Le maraudage est immoral et requiert jusqu’à huit années de prison ou plus.

Sans le vouloir, Gustave se comporta en qualité de procureur et requit la sentence, édictée par son subconscient. Il se rendit compte qu’il n’avait pas agi en conformité avec sa conscience et se tint rigueur. Ce fut l’un des problèmes auxquels il se confrontait dans sa magistrature de siège. C’était un bon juge, assurément légaliste, épris d’humanisme. Cet innocent réquisitoire donna une indicible jouissance aux colons et une profonde émotion aux indigènes. le maraudage n’était pas considéré comme un délit innocent, que peut commettre dans bien des cas une quelconque personne par insouciance. Il était qualifié de crime et le tribunal de Constantine avait puni l’auteur d’un maraudage de raisins de huit années de réclusion. Claude ne perdit pas patience et laissa couler ce flux de tristesses pour frapper les imaginations qui cherchaient à couper haut et court Djllali qui était déjà dans un état second.

- Pourquoi as-tu volé ?

- J’étais affamé et dans la vallée de la mort, nous ne mangions que des herbes, ma femme, mes trois petits enfants et moi-même, pendant plus de quatre mois. Mes gosses me faisaient terriblement souffrir ; ils bêlaient et marchaient à quatre pattes comme de petits agneaux. Faisaient-ils cela pour jouer ou avaient-ils mu en mammifères ? Ils moururent, mes pauvres petits, et j’ai déployé un effort surhumain pour les enterrer. La religion, la morale même, ordonne d’inhumer nos morts. J’ai fui l’hécatombe et le destin m’a amené dans vos plaines fertiles. Ai-je volé ? Non. Mon ventre sentit la nourriture dans le champ, vit les pommes de terre et les carottes ; la faim m’a ordonné d’en manger et d’emporter un sac de provisions pour ma femme, restée dans une petite grotte. Elle était belle, ma femme, enviée par les belles. La misère l’avait défigurée et déformée, la sénilité précoce la frappa. Ah ! Ma femme ! Une nouvelle épouse n’atteindra jamais ta grâce fanée dans laquelle je vis toujours.

Djillali exprima ce qu’il avait dans le cœur par une rare spontanéité et une tempérance de langage exceptionnelle pour un campagnard. Mais il fut étudiant dans sa jeunesse au séminaire de Mostaganem où il avait appris la rhétorique et Brahim n’eut aucune peine à traduire. Claude était bouleversé par la vision apocalyptique dont il suivait le déroulement dans son imagination.  Noblesse d’âme ! Il condamnait, au fond de lui-même, cette tyrannie que ses concitoyens perpétraient sans vergogne. Il essaya de raisonner et de trouver, sans résultat, une logique à la colonisation qui provoquait le désordre social catastrophique et ne respectait pas les droits de l’homme. Il en avait honte et ressentait une grande indignation. Sa conscience fut confrontée à un conflit entre la raison et le cœur, entre l’application de la peine et le pardon. Jugeait-il un voleur ou un affamé ? Le Droit français ne répondait pas à cette question épineuse, ce qui le désolait et le mettait dans une situation impossible. Il tenait tant à amnistier Djillali. Qui comprendrait sa décision ? Qui partagerait ses nobles sentiments ? La partie civile exigeait de rendre justice, l’administrateur en ferait une affaire d’Etat et saisirait le procureur général. Claude était mal parti et la presse coloniale ne manquerait pas de le fustiger. Les anales judiciaires de l’Algérie rapportaient la sévérité des peines appliquées par les tribunaux aux divers maraudages et qui se chiffraient en années. Il appliquerait la peine selon son intime conviction, sans tenir compte de l’hostilité de l’environnement. Aussi, il condamna douloureusement Djillali Bou Kaddir, à trente jours de prison, puis renvoya l’audience à huitaine.

 

 

 

 

 

Hamza à l’école révolutionnaire; Marguerite tome 2; ahmed bencherif

14 mai, 2013
Marguerite t/1; t/2 | Pas de réponses »

Haidar vit alors un cavalier à une centaine de pas. Il le visionna  longuement, reconnut le visiteur et s’exclama joyeusement : « Oh ! Le petit Hamza qui a grandi ! ». Il alla à sa rencontre, en boitant légèrement et en se crispant parfois, aiguillonné par la douleur à la jambe. Hamza abandonna sa monture et vint vers le héros de l’insurrection de 1871. Les deux personnes s’embrassèrent chaleureusement et se donnèrent de fortes accolades. Ils ne s’étaient pas revus, depuis trois ans et leurs retrouvailles furent émouvantes. Ils étaient amis, malgré la différence d’age et de classe sociale. L’amour de la révolution les avait rapprochés. « Viens, dit Haidar, nous causerons un moment au soleil ». Ses frères arrivèrent et réservèrent le même accueil au visiteur. Par miracle, ces paysans n’avaient pas changé et se conservaient solidement. Ils refusaient de s’incliner à la fatalité et ignoraient leur misère qui n’avait pas entamé leurs capacités de résistance. Ils avaient des rides aux visages moins affirmés, mais c’était l’œuvre du vieillissement. Le besoin de survie leur avait appris à se nourrir sans se formaliser des caprices du goût.

Ils burent du lait bouilli mangèrent de la galette de couleur marron dont l’arrière goût excellent rappelait du chocolat. Hamza dit que ce n’était pas des glands et Haidar lui répondit que la semoule dérivait des caroubes, très riches en glucides, que ses frères  cueillaient dans la forêt en automne, que séchaient et pulvérisaient ensuite les femmes. Il regarda autour de lui et s’aperçut que dada Aicha n’était pas au dragonnier. Il gardait un vivant souvenir de la vieille dont la poésie l’avait profondément marqué et qu’il voulait entendre de nouveau, pour panser ses douleurs, raviver la flamme révolutionnaire qui l’animait. Il demanda si elle n’allait pas venir à l’exploitation pierreuse et ses descendants observèrent un lourd silence avant de lui répondre qu’elle mourut, l’année passée, à cent  dix ans. Surpris, il ne formula aucun mot et eut une mine de chagrin. Il l’avait aimée, comme il aimait la Douja et pensa qu’une autre mémoire s’éteignit, riche d’enseignements et de valeurs ancestrales.

- Que Dieu vous compense, dit Hamza. Qu’elle repose en paix dans les jardins d’Eden ! Avait-elle été malade ?

- Elle se conservait encore et vécut fragilement ses derniers jours, mais sans souffrir, répondit Haidar. Et toi ? Que deviens-tu ?

- Rien n’a vraiment changé pour moi depuis trois ans, sauf que la medersa a consolidé ma foi pour combattre nos colonisateurs et les chasser de notre pays.

- Ce n’est pas une mince affaire. Il faut une révolution et elle tarde à venir.

Haidar, qui fut un Djicheur, utilisait naturellement un vocabulaire révolutionnaire par besoin de glorification et pour pérenniser l’insurrection de sa génération dans la mémoire collective. Il se sentait majoré par rapport aux individus qui n’avaient pas fait la guerre. Il était manifestement modeste et ne cherchait pas à donner des leçons aux autres sur le devoir patriotique. Par inadvertance, il avait touché une question sensible et Hamza perdit aussitôt sa volubilité. Celui-ci gardait son secret par raison impérieuse ; il était persuadé qu’en le livrant à autrui, il n’en serait plus garant. Il espérait pourtant tirer des enseignements de l’expérience de Haidar, mais il ne voulait débattre de son projet à aucun prix. La causerie prit une tournure qu’il n’aimait pas et il en fut assez préoccupé, il ne montra cependant aucune irritation.  Il en mit fin et dit qu’il devait reprendre la route, c’était la meilleure chose à faire, pensa-t-il. Il leur souhaita bonne journée, monta à cheval  et repartit.

Au poste de vigie qui débouchait sur la plaine, Pierre ne chômait pas et n’avait guère le temps de rôtir un lièvre. En automne, le trafic était continu et les usagers ne se comptaient pas. L’exploitation de la forêt prenait de l’allure et les cargaisons de bois et de charbon défilaient sans cesse pour approvisionner les villageois arabes ou européens. Il avait évolué et se suffisait à vérifier la validité des autorisations qui étaient payantes par volume pour le compte de son administration. Sa mégalomanie mourut et il usait de  modération dans ses rapports avec les passants. Il a été humanisé et ne verbalisait plus le ramassage de bois mort et toutes ses exactions étaient d’un passé révolu. Malgré lui, d’ailleurs. Il trouva depuis quinze jours dans le poste de vigie un grand papier écrit en arabe qui le menaçait de mort, s’il continuait à exercer ses oppressions. Il le montra à son chef qui ne crut pas à la nécessité de renforcer la sécurité du poste de garde. Il prit le message au sérieux et se ratatina sans examen de conscience. Certes, il était un homme audacieux et de défi, toutes fois il aimait trop la vie, il tenait à la vie et le sacrifice était impensable. Il vérifiait gentiment les papiers de quelques montagnards, quand se présenta Hamza. Il le salua avec ferveur, se montra attentionné et le laissa passer. Hamza remarqua le changement du commis sans en percevoir les raisons.

La forêt sans arbres se déclassait et se transformait, par le label des hommes, en véritable plaine riche et généreuse. De vastes étendues étaient cultivées et des arbres fruitiers poussaient : vignes, oliviers, abricotiers où venaient nicher et becqueter une multitude de passereaux qui égayaient l’environnement par leurs chants. Raoul et ses compagnons bossaient d’arrache-pied depuis quatre ans, en vrais forçats souverains. Ils avaient foncé des puits, construit des réseaux d’irrigation émaillés. Ils labouraient, moissonnaient, bêchaient, désherbaient avec une ardeur exceptionnelle au travail. Leurs exploitations étaient joliment travaillées, avec un goût prononcé pour la culture du lin qui tâtonnait à ses débuts. Ils logeaient sur place dans de petites maisons, comme tout paysan,  rivé à la terre. La banque leur avait consenti des prêts d’investissement qu’ils remboursaient aux échéances et leur situation matérielle avait vite changé.

« Ah ! Les bonnes terres qui furent longtemps, classées comme une forêt, recouvrent leur vraie nature de terres de culture, s’écria Hamza d’une voix rageuse ». Il eut mal entre les côtes, en pensant à Haidar qui trimait depuis vingt cinq années, sans parvenir à mettre en valeur un petit carré dans le piedmont.  La douleur l’avait étreint, en pensant à tous ces gens innombrables qui étaient dans la même situation que Haidar et luttaient opiniâtrement pour leur survie. Il souffrait ces iniquités flagrantes qui le révoltaient, jusqu’à la dernière fibre de soi. Ici, le sol était bon et les exploitants n’avaient pas à se tuer à l’effort exténuant. Force était de reconnaître que le gouvernement général agissait avec la plus grande perfidie pour réunir les conditions favorables à l’implantation des colons, quelle que fût leur date d’arrivée. Une politique très généreuse était adoptée à leur égard, élaborée sur des expropriations abusives de quatre millions d’indigènes qu’elle réduisait à la misère la plus honteuse. Le gouvernement des colons est diaboliquement malin, se dit Hamza.

Désormais, les colonisés faisaient la part des choses et ne pouvaient être indéfiniment dupés. Le gouvernement d’Alger, qui était nommé, s’affranchissait davantage de sa tutelle, s’individualisait en une institution propre qui devenait de plus en plus autonome sous la pression du parti colonial. Il ne rendait pas compte au gouvernement de Paris, avec toute la transparence requise, mais il en réformait la politique pour la rendre plus conforme à ses orientations, réformait ou adoptait de nouveaux règlements, triomphait souvent à l’hémicycle par le biais de parlementaires favorables à la colonisation démesurée. Le gouvernement de Paris se taisait, laissait faire, ne s’impliquait plus dans la gouvernance : un gouverneur investi de sa confiance lui tournait vite le dos, par un puéril amour du pouvoir et de ses privilèges. En dotant le pays, d’un gouvernorat civil, il s’était piégé lui-même et ne parvenait plus à imposer ses vues. Il était dépassé par le mouvement qui émergeait : colons et colonisés, toujours inconciliables, rejetaient sa politique en bloc, les premiers ne tempérant pas leurs ambitions, les seconds ne renonçant pas à leur idéal d’indépendance. Il avait sacrifié les principes de

fête,Marguerite t 1; ahmed bencherif

1 mai, 2013
Marguerite t/1; t/2 | Pas de réponses »

Les jeux avaient commencé. Sur la chaussée, des enfants, qui avaient enfilé des sacs de toile, étaient alignés sur la ligne de départ et attendaient le coup d’envoi de la coure locale.  C’étaient des indigènes qui vinrent malgré eux, sur somation du caïd signifiée à leurs parents, sous peine de récolter une de ses vaches corvées. Leurs habits avaient une nature burlesque, comme s’ils fussent confectionnés par un ingénieux humoriste de cirque : chemise vieillie et bouffante, pantalon usée et rapiécés en maints endroits par des chutes de tissu multicolore. Leur teint était basané plus par l’infortune que par le soleil et leurs visages se ravinaient déjà. Leur âme n’était pas à la fête et ils tremblaient de peur dans cette foire où ils ne virent que de l’épouvante. Au premier coup de feu, ils s’élancèrent dans la course, mais n’allèrent pas loin, les pieds prisonniers dans le sac. Les plus hardis firent quelques pas, puis chutèrent et roulèrent l’un sur l’autre. Ce jeu provoqua l’hilarité de la foule : les fêtards, hommes et femmes, pleuraient de rire et se tortillaient. Des voix s’élevèrent ensuite et réclamèrent d’autres divertissements, en s’écriant : « Course aux bourricots ». D’autres adolescents prirent le relais de leurs frères. Ils étaient mieux portants et habillés décemment. Ils avaient au moins une monture qui avait une valeur fiscale : petites bêtes de somme mues par un curieux hasard en coursiers. Les bourricots se lancèrent au galop, excités par les cavaliers qui les égratignaient aux flancs. Ils couraient comme le vent et soudain une vieille bourrique s’essouffla, ralentit son élan et traîna résolument le pas. Prise de dégoût, elle abandonna la partie et ne soucia guère des autres. Elle pleura effectivement.

Ces compétitions achevées, le comité des fêtes consentit de modiques prix aux lauréats des deux disciplines : les premiers eurent chacun une paire de sandales bon marché et les seconds, une chemise que leur remit d’une main neutre Martin. Impatienté, celui-ci fit remarquer cyniquement au caïd que la troupe indigène des Gnaoua n’était pas encore arrivée et qu’il en tiendrait compte. Le caïd répondit qu’ils n’allaient pas tarder à arriver. Malgré sa confiance sans borne, il doutait quand même et ne cessait de se lever et de prêter l’ouie, en baroudeur qu’il fut. Cependant, ses manières pondérées cachaient ses craintes. Il avait connu tant d’hommes aux différents champs de batailles, qui ne le désarçonnaient pas facilement. Il perçut le son du tambour et s’écria fièrement, en montrant la croix de la légion d’honneur qui auréolait sa poitrine : « Ils arrivent ! » Il sauta de joie, heureux de passer l’occasion à son détracteur Jacques qui faisait tout pour l’évincer, à qui il répétait indéfiniment qu’il avait rendu beaucoup de services à la France, comme ancien Chasseur d’Afrique.

La foule exprima la bienvenue à la petite troupe musicale indigène et scanda de vifs hourra, puis, chanta le refrain : « Assalam Salamna » (Pacificateur donne-nous la paix). On céda joyeusement la place aux artistes qui entrèrent dans la place et choisirent le centre pour évoluer en toute liberté. Ils portaient de longues gandouras blanches qui épousaient leurs corps élancés et vigoureux. Leurs ceintures, à bretelles en cuir marron et surmontées de rivets de cuivre, leur maintenaient solidement la taille. Le chef de la troupe branlait une haute bananière en soie verte, symbole de paix qui tapisse les koubbas blanches. Leurs fusils à poudre, dont les crosses étaient incrustées de plaques d’argent, brillaient de vernis, façonnés en bois de noyer. Ils firent une ronde et la danse commença dans une mélodie euphorique, accompagnée par une première salve de détonations dont l’odeur sulfureuse chatouillait agréablement les narines et que l’on inspirait avec engouement. Les castagnettes de cuivre battaient au rythme régulier : « TAketak, taketak, taketak, taketak », les tambours tonnaient et le hautbois soufflait fortement mais avec une note tendre. Les danseurs évoluaient admirablement par des mouvements harmonieusement lents, l’esprit  absent et les yeux rougis d’enfièvrement. Ils jonglaient des pieds, balançaient le buste et la tête, cherchaient à entrer en transe. Le chœur était dédié, à la mémoire du saint sidi Ahmed Ben Youcef.

L’engouement domina la marée humaine qui se mouvait en une vague paisible et le subconscient intima des impulsions. Une vingtaine de femmes, qui ne pouvaient se retenir, entrèrent en piste. Elles étaient dans l’ivresse et évoluaient autour des danseurs. Elles avaient des origines espagnoles et s’oubliaient donc à la mélodie des castagnettes, dansaient de bonne grâce, leurs cheveux blonds ou noirs flottants à mesure qu’elles volaient. Elles étaient merveilleuses et donnaient beaucoup d’enthousiasme, orgueilleuses d’être admirées par tous. Les plus belles, d’entre elles, captaient les regards, par leurs formes et leurs attraits : Pauline volait dans sa robe, comme une fée ; la respectable Dolorès évoluait sur place et claquait les talents dans un mouvement soudain ; Christine s’enflammait et entrait en transe ; Graziella, l’italienne, mettait en relief toute sa sensualité.  Aucune d’elles ne suffisait à donner, à elle seule, le charme émouvant au spectacle. Elles se complétaient et formaient une même et unique myriade. Elles étaient les couronnes de la fête et, dans la foule, on se poussait, on montait sur ses talents pour les contempler avec un ravissement infini, toujours plus subtil. La joie est ce qu’il y a de plus cher au monde et l’on ne tient pas à vieillir de soucis, on profite de la gaieté, on fuit l’air trop sérieux, ne serait-ce qu’un temps.

La tribune se vida de ses occupants, la foule se fragmentait, mais la fête continuait. Certaines mamans flânaient sur les trottoirs, s’arrêtaient aux vitrines, contemplaient des souvenirs ; quelques unes en achetaient, pressées par leurs gamins, d’autres passaient et sevraient les leurs. Le bazar donnait une touche exceptionnelle d’exotisme, recevait une clientèle exigeante et avisée, présentait des articles merveilleux qui donnaient de l’engouement : des poufs en cuir beiges et marrons, bien rembourrés de coton ;  des sacs rouge cuivre ;  des produits de dinanderie importés de Syrie. Catherine, la sœur de Martin, faisait un bout de chemin avec le capitaine Paul qui lui montrait les plus belles curiosités du bled. Elle en était ravie et voulait tout acheter et garder un souvenir vivant à Paris, sa ville natale. Juliana, qui n’avait pas le cœur à la fête, désira rentrer chez elle. Elle acheta un ballon et une poupée pour ses enfants, qui la suivirent difficilement. Elle souffrait, la malheureuse, le comportement libertin de son mari qui la trompait, depuis quelque temps. L’idée du bal de ce soir la turlupinait et elle ne parvenait pas à se décider. Elle aimait danser, le faisait merveilleusement. Serait-elle gaie ? Elle n’en savait pas trop. Elle craignait de rencontrer Graziella, la maîtresse de son mari. L’’expérience serait douloureuse. Elle ne la ferait pas, un malheur pourrait se produire. Gaston, son mari, était de nature indélicate. Il n’est pas homme à se soucier de réserve. Il se rue comme un taureau, dès que Graziella l’appelle du petit doigt.

Non loin de là, Hamza et Ali étaient terrés derrière un arbre, dans une rue qui débouchait sur le boulevard Bugeaud et observaient ce qui se passait sur la place publique, sans faire de commentaires. Ils n’avaient pas le cœur à cette fête éclatante, que les Français avaient préparée fébrilement la veille. Ils ne la supportaient pas, ne l’aimaient pas : elle se déroulait sur un sentiment de victoire des colons, qu’il ne parvenait pas à digérer, ni à reconnaître. Ils étaient là par curiosité et espéraient tirer un meilleur enseignement sur leur vainqueur. Les Indigènes l’avaient boycottée comme d’habitude, n’en parlaient pas tellement en bien, incriminaient le Dey de son échec à défendre la place forte d’Alger, dont la puissance maritime restait gravée dans la mémoire collective, par des poésies célèbres de l’époque. La chute d’Alger conservait trop d’amertume, amplifiait les nostalgies, posait la remise en cause constante, incitait aux plus grandes ardeurs. Les Meddahs (poètes) l’avaient si bien immortalisée dans leurs œuvres, qu’elle demeurait la chronique du jour impérissable et relevait le défi, tant le cri du cœur était déchirant. De leur bouche, Hamza en avait appris au souk hebdomadaire ces tristes poésies. Il avait de la mélancolie et récita quelques strophes de poètes anonymes qui furent témoins du désastre.

« Mozghana, qui guérira tes blessures ?    (1)

Certes, à celui-là je consacrerai ma vie !

A celui qui fermera les plaies de mon cœur,

Et chassera les Chrétiens loin de tes murs.

Tes défenseurs t’ont trahie,

Sans doute étaient-ils ivres »

Le poète fustigeait et moquait les défenseurs d’Eljazair Mozghana, coupables de haute trahison qui se produisit très tôt, alors même que le débarquement n’était pas totalement achevé,  à commencer par un Mameluk du nom de Yusuf d’origine italienne et converti à l’Islam, lequel rallia avec sa petite troupe de 120 Turcs les rangs du général De Bourmont. Yusuf se distingua dans la guerre et s’empara le 27 mars de la Casbah de Bône avec d’Armandy et enrôla les Turcs qui défendaient la ville moyennant écus d’or. La capitulation du dey Houcine ne fut pas la conséquence d’un désastre militaire, car, les capacités de résistance étaient encore grandes. Il fut le fait déterminant d’intelligence avec l’ennemi, ou encore une honteuse soumission de beys pour conserver leur pouvoir, comme si cela pouvait être vrai. Les combats furent violents pendant vingt jours, les pertes de l’ennemi, très importantes. Ce fut le temps de la médiocrité, cause de tous les maux du peuple. Les gouvernants étaient très mal choisis, sans aucun critère digne d’être cité, avec fort clientélisme. Ainsi, le marchand de tabacs Hassan avait été intronisé bey d’Oran. Son goût pour le pouvoir l’avait amené à abdiquer, en jetant son patriotisme dans la rue Philipe où il avait son palais.

Jocelyne extr;la grande ode; ahmed bencherif

1 mai, 2013
Poésie | Pas de réponses »

Jocelyne ! Jocelyne ! Où passa ta douceur,

Le mot cher que ta voix fredonnait tendrement ?

Et le mot sinistre te fait-il toujours peur,

Retranché en accord dont on fit le serment.

 

Je ne puis l’écrire et jamais le penser.

Il est cruel et crée en nous l’épouvante.

On le bannit à nos moments les plus froissés,

On le condamne à nos brouilles navrantes.

 

Notre destin nous lie, quoiqu’il arrive,

La mauvaise humeur passe et sans nuire,

La quiétude revient, ouvrière active,

Nos rapports seront chauds plus que par le passé,

C’est la loi de notre nature commune,

Semblable à l’air pur, humé jamais assez,

Pareille aux douces lumières diurnes.

 

Avais-je besoin de tendres confessions ?

Tu m’aimes à tes mots sibyllins arrangés,

A ta voix fluette qui trahit ta passion,

A ton regard câlin, retraite prolongée.

 

Réserve troublante ! De durée, cette fois-ci.

Les méditations sont-elles nécessaires,

A bon escient pour nous, dignes de ramassis

De choses vermeilles, partagées de bon air.

Quand saurai-je leur fruit ? Tu me dois bien cela.

Sagesse ? Je n’en veux, mais d’heureux lendemains,

Aux coteaux des Graves clairsemés de dahlia,

Au bord de l’oued, en contrebas du saint.

 

Je t’ai fait un pari ardu et complexe

Pour t’idéaliser, t’embellir davantage,

Susciter l’envie d’amies par réflexe,

Faire l’œuvre belle, riche en adages.

 

Elle sera à la fois aimée et suspendue

Aux lèvres et aux yeux, sans jamais se faner,

Où le quidam noiera le temps perdu,

L’amoureux trouvera matière pour charmer.

 

Ma verve le tiendra, de label continu

Et qu’elle s’inspire dans la courte fresque

Riche de os moments merveilleux perdus

Tracés de manière souvent féerique.

 

 

Elle aura encore besoin de tes faveurs.

Par le Saint Auguste ! Sors de ta réserve.

Les Jours sont radieux, empreints de tiédeur ;

Les plants croissent, irrigués de sève.

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