Et soudain, à travers la grise immensité,
Je me vis dans un lieu funèbre transporté.
J’errais avec lenteur de tombe en tombe, l’âme
Tremblante encore du triste adieu de cette femme.
C’était un soir brumeux de Toussaint. J’arrivai
Au sépulcre où le nom de ma race est gravé,
Et, pressant d’un fiévreux baiser la pierre verte,
Ivre d’une douleur âcre, je criai « Certes,
Ô morts ! il ne faut pas envier ce vivant
Qui gémit comme un pin rebroussé par le vent.
Alors que vous goûtez dans votre nuit profonde
Le souverain oubli de vous-même et du monde,
Cet homme, cet enfant qui se jette à genoux
Pour être, ô bienheureux défunts ! plus près de vous,
Ce rêveur âprement s’enracine à la terre.
L’insatiable feu des voluptés l’altère.
Il ouvre son cœur vide à la gloire ; il attend
Comme une église où va tonner l’orgue éclatant ;
Il espère, il a soif d’aimer, il aime, il doute,
Et, buttant de fatigue, il traîne sur sa route
Son orgueil, son espoir et son ombre en marchant
Vers les monts envahis par la paix du couchant.
Vous qu’il a vus, les doigts crispés, la chair jaunie,
Supporter des saisons entières d’agonie,
Vous encore qu’il revoit, hélas ! joyeux et forts
Et rayonnants d’amour et de jeunesse, ô morts !
Ô morts, partagez-lui les fleurs et les prières
Que les passants pieux répandent sur vos pierres,
Pour que ce voyageur reprenne son chemin
Avec la foi dans l’âme et des lys à la main !
J’ouvris les yeux. Le ciel versait un jour avare.
Des troupes d’albatros volaient autour du phare.
Les voiles des pêcheurs se glissaient hors du port.
Le flot sur les récifs brisait d’un sourd effort,
Et sur la vaste mer au loin blanche d’écume,
L’aube grise traînait son suaire de brume
Qu’une pluie aux longs fils pressés tramait d’argent.
Et moi je demeurai, plein de larmes, songeant
Aux fins d’amour, aux nuits de départ où l’on pleure,
Aux serments révoqués par la fuite de l’heure,
Aux sanglots étouffés dans la gorge, aux baisers
Trempés de sel, aux cris, aux silences brisés,
A ces amants dont l’œil sourit au suicide
Et qui s’en vont, muets et hagards, l’esprit vide,
Emportant sous le ciel douteux du petit jour
Le froid intérieur d’un adieu sans retour.
Ô jeunesse qui fus la mienne, ô douloureuse !
Je te laisse clouée à ta croix amoureuse
Avec un poids mortel de roses sur le front.
Les femmes qui t’ont fait souffrir te pleureront.
Pour moi je redescends la colline gravie,
D’un pas viril, les yeux plus larges, vers la vie.
Forger, lutter, brandir l’épée ou le marteau,
Partager aux errants des routes son manteau,
Être bon, être pur, être grand, être un homme
Que le seul bruit du bien qu’il a semé renomme,
Entrer comme un rayon d’azur dans les taudis,
Remplir d’amour le cœur âpre et sec des maudits,
Visiter les chevets et les âmes sans joie,
Dire « Croyez en Dieu, car c’est lui qui m’envoie, »
Se sentir chaque soir plus paisible et meilleur,
Ce rêve d’une fin de nuit d’avril, Seigneur,
Ne sera-ce qu’un rêve encore après tant d’autres ?
Ou compterai-je un jour au nombre des apôtres
Qui, satisfaits d’avoir accompli leur destin,
Meurent les yeux ouverts sur l’éternel matin ?
ancienne église ELKOL
Ahmed Bencherif
Ecrivain poète,
A
Monseigneur John Mac William,
Evêque de Laghouat-Ghardaia
Monseigneur,
C’est tout à mon honneur cette opportunité de lire votre lettre, celle d’un pontife, en charge d’un diocèse immense, soucieux de l’harmonie de ses églises, humaniste, ouvert au dialogue, énergique. Vos visites ne me surprennent pas tant, car vous êtes sur le pas de Monseigneur Mercier, mort si jeune, qui parcourait vingt mille km par an. Il faut dire aussi que de son temps, le diocèse s’étendait au Mali, le Niger, le Soudan Français.
Vous saurez, Monseigneur, que je ne suis pas écrivain en chambre. En, effet je suis aussi actif dans le domaine culturel. J’anime aussi des conférences sur la mémoire de ma ville, Ainsefra. Aussi, j’ai été sollicité par des intellectuels pour donner une conférence sur l’odyssée d’une religieuse de Zaid Boufeldja. Leur argument de connaitre l’histoire de notre petit pays vint à out de mes hésitations.
J’avais lu cet ouvrage, dès les premiers temps de sa parution, en temps que lecteur, bien sûr. Maintenant je l’étudie pour le dessein suscité. Croyez-moi, Monseigneur, j’en suis déconcerté. L’auteur du livre ne me parait pas tellement innocent dans ce drame, comme dans le texte. il reproduit des lettres qui normalement doivent figurer en annexe. Alors on se pose la question sur leur authenticité. Il raconte des faits qui ne me paraissent pas plausibles. Pour lui, l’histoire s’arrête en 1949, soit à son enlèvement et à sa déportation au Congo, dans une léproserie, comme il l’écrit. Sœur Catherine me semble être vraiment une victime. C’était une Religieuse, monsieur Zaid lui devait estime et respect et non cultiver une ‘ amitié ‘ assidument.
J’ai été décontenancé en recevant de la mairie de Bolbec Havre l’extrait de naissance avec mention de son décès en décembre 1989 de Sœur Catherine, alors que le livre laisse penser qu’elle mourut en 1949 ou 1950. Qui survivrait dans une léproserie ! Cet élément biographique me donna une toute autre vision : rendre hommage à Sœur Catherine plus que de relater la saga dans la conférence ; pousser mes recherches et mes investigations pour établir la vérité.
Voilà, Monseigneur, ce dont je voulais vous entretenir et je vous prie de m’excuser pour exhumer cette affaire, quoiqu’elle le fût avant moi par messieurs Bruckberger et Zaid. Je solliciterai de votre éminence d’authentifier la lettre jointe, comme émanant de la congrégation des Sœurs Blanches de Birmandreis ALGER.