ahmed bencherif écrivain et poète

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31
jan 2020
le 5 juillet1892 extr Margueritte revisitée ahmed bencherif
Posté dans Marguerite t/1; t/2 par bencherif à 10:16 | Pas de réponses »

 

On était un lundi cinq juillet, une journée chaude qui évoque de paisibles vacances au bord de la mer, quand le soleil hale la peau, l’air s’alourdit, les feuilles des arbres se figent, l’ombre devient précieuse, et que l’on éprouve la forte envie d’une baignade ou d’une plaisance à la voile blanche, sous un ciel d’éther où des mouettes planent au dessus des eaux bleus dormantes, en donnant un concert monotone. Alors, l’homme s’oublie volontairement, s’évade de son spleen coutumier pour vivre intensément son plaisir qu’il sait court et éphémère, se donne pleinement à la jouissance des péchés mignons, en compagnie d’une douce compagne, objet de ses convoitises charnelles. Il est au comble du bonheur, car il est le roi de l’amour. L’engouement saisit ses sens et suspend son imagination, la raison déserte son esprit même ; les cimes de l’anatomie féminine sont violemment charmantes, le prétendu chasseur n’est plus qu’un gibier, soumis aux caprices de sa partenaire et, dans son subconscient, seront gravés ces moments idylliques.

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La date avait une signification précise et mémorisait un accident de l’histoire qui secoua brutalement l’ordre des choses sur le sol algérien. Le cinq juillet, terrible et désastreux, ouvrit la porte des enfers et charia un fleuve impétueux et intarissable d’horribles drames qui bafouent la dignité humaine et choquent l’imagination. Se peut-il qu’un homme commette du mal et s’y adonne de façon perverse pour atteindre le paroxysme de la cruauté ? Plus grave encore, quand l’hystérie le pousse à renchérir ses actes ignobles et que condamnent sans équivoque les valeurs universelles : la force donnait ce courage, l’avidité ingrate stimulait, la violence se justifiait pour écraser toutes les formes de résistance à la conquête.

 

Par cette journée lourde de chaleur, on commémorait le soixante-deuxième anniversaire de la capitulation du Dey Houcine, que le sort des armes provoqua de façon inattendue et bouleversante, en moins de vingt jours de combats. Jamais gloire ne sourit autant à un soldat : le général de Bourmont, commandant le corps expéditionnaire de trente cinq mille hommes, sortit vainqueur, alors que quinze ans plus tôt, il avait rallié l’ennemi, la veille de la bataille de Waterloo dont le désastre militaire provoqua la chute de son empereur Napoléon 1er. Son premier coup de canon, sur Alger, entraîna également la chute du roi Charles X et enterra cent quarante ans d’entente et d’amitié, de relations commerciales et d’alliance stratégique entre la Régence d’Alger et Paris. Il s’y trouva un Laborde qui désavoua la guerre au roi avant même qu’elle n’eût commencé, tant sur sa légalité, sa justesse, son utilité et son avantage : « est-il avantageux pour la France de prendre Alger sans pouvoir le garder » .

 

Jamais les conquérants et les conquis ne furent aussi éloignés les uns des autres. Le souvenir de la guerre était hallucinant : des morts tombés dans l’oubli, des invalides qui la rappelaient cruellement, des tragédies humaines narrées à bout de champ. Une muraille infranchissable les séparait, les compartimentait en deux blocs distincts et chacun  restait dans son propre milieu, fidèle à ses principes et ses vœux, sans que l’idée même ne le caressât pour aborder l’autre. Leurs comportements respectifs indiquaient clairement que la guerre n’était que partie remise, que les braises vives demeuraient ensevelies, sous une montagne de cendres que les vents de la liberté balayaient sans cesse : le colon avait le sourire au visage et la peur au ventre ; l’indigène s’indignait et ruminait sa vengeance.

 

L’évènement était exceptionnel et prestigieux et, partout en Algérie, dans les grandes villes comme dans les centres de colonie, l’on respirait l’air émouvant de la fête qui revenait chaque année rappeler la victoire et faire vibrer les sens. Le village de Marguerite ne manquait pas ce rendez-vous et redoublait d’ingéniosité pour s’embellir. La place publique, qui était clairsemée de petits carrés de verdure et de fleurs, sentait encore l’humidité des arrosages matinaux et les pavés blancs conservaient la trace grise de l’eau. Un millier de fanions multicolores bleus intenses, blancs mat et rouges vif flottaient dans l’air et donnaient des fragments d’ombre. Dans son milieu, le podium se dressait en surélevé, magnifié d’arcades et habillé de drapeaux et sur ses deux flancs, au rebord des rues, les magasins et les vitrines fermés se faisaient la même beauté.

 

Vêtus d’élégants costumes en la circonstance, les fêtards arrivaient de toutes parts, se saluaient jovialement et émettaient de cœur les vibrants souhaits d’avenir, pour prendre racine dans un pays étranger, qu’ils s’étaient appropriés. Subjugués par les dons généreux de la terre, ils criaient et criaient leur attachement à l’Algérie coloniale. Les femmes se rivalisaient de grâce et de beauté et, blondes ou brunes, noyaient le prédateur dans l’embarras du choix qui marmonnait par réflexe : « celle-là est belle et moins charmante, l’autre tout à fait le contraire » Mais, il dirait mieux en petit courtisan à l’une et à l’autre. Par leurs bras et leurs jambes nus, leurs corsages insolites en profondeur, elles révolteraient leur arrière aïeule. Mais, elles vivaient leur temps et leur lubricité, qui n’avait rien d’équivoque, leur ouvrait une ère nouvelle d’affranchissement à la vieille dépendance masculine.

 

Le podium constituait, de tradition, la tribune d’honneur des grandes cérémonies, où de singulières personnalités se produisaient en parfaits artistes, tenaient leurs harangues pour chauffer à blanc les foules, ou jasaient ennuyeusement en piètres orateurs. Les deux genres étaient là et l’on enviait ces hommes, assis sur des chaises rembourrées, sous la coupole, au dessus de laquelle, flottait, fièrement, un grand drapeau flambant neuf. Ils étaient tous là,  les élites de la société qui oppressaient le cœur par leur médiocrité et leur avidité et surtout leur opportunisme savamment cultivé. L’administrateur Martin et sa suite, le capitaine Paul et ses adjoints, l’adjoint spécial Jacques, redoutable représentant de la communauté européenne, des anciens combattants auréolés de brillantes médailles et enfin le caïd.

 


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