ahmed bencherif écrivain et poète

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Archive pour le 12 avril, 2020


Raoul et ses amis; Margueritte 26 avril 1901 ahmed ben cherif

12 avril, 2020
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C’étaient des roulants de souche espagnole, qui venaient d’AliCante, la deuxième capitale d’Hannibal le carthaginois, redoutable ennemi de la Rome antique. Poussés par la misère, tentés par d’alléchants échos qui leur parvenaient d’Algérie, ils quittèrent leur petit pays, voyagèrent clandestinement par bateau, attirés par la terre promise qu’ils s’imaginaient une terre neuve sans population. Ils ne connaissaient ni le Français, ni l’Arabe. Ils cherchaient du boulot et se firent comprendre par une gestuelle. Hamza comprit et les emmena vers son père. Le Moqadem convia les visiteurs à s’asseoir, par devoir d’hospitalité et leur demanda s’ils avaient faim. C’était un langage de sourd et il se fit comprendre en recourant au premier langage humain, celui des gestes. Ils observèrent un silence pesant, lequel était trop significatif. Leur hôte envoya donc son fils Hamza leur amener de quoi  manger.

Raoul et ses amis vinrent de Margueritte où le garde champêtre leur avait dit qu’ils trouveraient embauche dans la plaine. Ils avaient tellement marché sous le soleil brûlant  qu’ils étaient épuisés et déshydratés. Ils réclamèrent de l’eau et étanchèrent leur soif. Ils commencèrent ensuite à percevoir les choses autour d’eux, à leurs justes proportions. Ils dévorèrent de leurs yeux les champs de blé qui s’étendaient à perte de vue que le souffle du vent berçait, observèrent la terre avec avidité qu’ils pensèrent très généreuse, envièrent les habits chics de leurs hôtes et regardèrent enfin avec une supériorité méprisante les moissonneurs qu’ils pourraient, se dirent-ils, employer la saison prochaine dans leurs exploitations, ce qui n’était pas un rêve, mais un projet facilement réalisable, tant ils étaient sûrs qu’ils ne couraient pas l’aventure en Algérie. Car, le sentier battu par leurs devanciers  drainerait autant d’hommes de la rive Nord de la Méditerranée

 

Les moissonneurs, roulants et autres, quant à eux, considéraient ces étrangers en vrais conquérants glorieux, plutôt que de pauvres malheureux qui méritaient charité. Ils ne manifestèrent à leur égard aucun sentiment de solidarité, les uns et les autres ne se sentant pas unis par un même destin. Cette Armée de roulants, qui inquiétait tant le pouvoir, n’était nullement révolutionnaire et portait en elle-même les germes de la contradiction interne, nuisible à son unité, dont une partie seulement, l’européenne, était prise en charge par tous ceux qui présidaient aux destinées du pays. La générosité du Moqadem rendait tout le monde perplexe : les œuvres charitables de la zaouïa touchaient les indigènes assurément et de façon générale, tous les misérables en ce bas-monde.

 

Hamza se pointa et déposa pour les quêteurs d’embauche un plat moyen assez consistant et largement suffisant pour trois moissonneurs de grand appétit. Ils regardèrent la nourriture abondante qui faisait vibrer leurs sens. Alors, ils commencèrent par la fin, se partagèrent la viande qu’ils dévorèrent en un clin d’œil comme des loups. Puis ils croquèrent les ossements et avalèrent en quelques bouchées la petite montagne de légumes. Il ne  restait que le couscous qu’ils n’avaient jamais vu. Ils mangèrent de grand appétit.   Raoul demanda du Chrab. L’expression désignait le vin dans le jargon populaire. Il fut d’une insolence extrême. Il ne manquait plus que cela, gronda un notable. Le Moqadem intervint pour calmer les esprits et répondit à Raoul que le Chrab était interdit par la religion musulmane. Raoul, qui n’en savait rien, comprit qu’il venait de faire une grosse bêtise et n’insista pas. Ils achevèrent le repas et dirent : « Merci beaucoup ».

 

La pause s’acheva par un thé et les moissonneurs regagnèrent les champs, les jambes dégourdies, les bras plus vigoureux et d’excellente humeur. Vers le coup de quinze heures, le soleil demeurait immobile dans son point et projetait ses dards qui martelaient le crâne, serraient les tempes prêtes à imploser à chaque moment, chassaient l’air autour de l’individu dont le cerveau bouillonnait comme trempé dans un chaudron. Ni le chapeau, ni le turban ne permettaient d’échapper à cet enfer qui descendait du ciel en ce moment et que tous craignaient. Ces hommes bossaient  sans arrêt. Ils peinaient et suaient avec une endurance qui dépassait les limites de la résistance humaine. Ils étaient laborieux et récoltaient ce que la terre donnait avec une générosité. Chacun se faisait le devoir sacré de moissonner le tiers d’un hectare environ par jour, sans geindre ni se plaindre.

 

Les roulants, ces hommes robotisés par le dénuement total, restaient là et abattaient de la besogne à la sueur de leur front, méritant plus que le salaire. Le Moqadem fit sa troisième incursion du jour pour évaluer la récolte. Il marchait entre les bottes de blé en vrai pèlerin, prenait une gerbe, puis une autre et une autre. Les épis étaient beaux et gorgés de soleil. Il remercia le Seigneur pour cette prospérité, les bras levés en haut, le regard lointain et implorant. Alors il se prosterna, baisa par trois fois la terre et pria : « Seigneur tout puissant ! Fasse que cette abondance dure et éclaire les hommes sur ta grandeur et ta générosité. Fasse que ta Justice règne dans le monde. Délivre la terre de l’Islam des impies qui la souillent. Fasse que nous soyons ton épée pour la libérer».  Hamza contemplait en silence l’humilité de son père dont il essayait de pénétrer les pieuses invocations.

Hamza résistait de moins en moins. Il ne tenait plus la faux avec la vigueur nécessaire et son genou pliait parfois. Il supportait au plus mal cette atmosphère lourde, expirait une haleine chaude qui lui donnait une sensation de gêne respiratoire. Il demanda à son voisin Karim de lui passer la gourde. L’eau n’était pas fraîche, mais tiède et il but seulement deux gorgées qu’il cracha. Va te reposer, lui suggéra Karim. Par égoïsme, il désirait être précocement l’égal des adultes. Sa volonté s’avoua vaincue et il allait quitter les champs, quand un campagnol couina et attira son attention. La bestiole, qui était terrorisée, courait à toute allure et bondissait. Elle fuyait un reptile, long de deux mètres environ, qui la poursuivait à toute vitesse. Avec une agilité foudroyante et un réflexe prompt, Hamza fit un saut et parvint à la hauteur du serpent qui se dressait sur sa queue et projetait sa gueule béante pour avaler le malheureux campagnol. Il brandit sa faux et la planta courageusement dans le cou du reptile qui, frappé mortellement, râla, roula sur lui-même et cessa de vivre.

 

Hamza regagna le petit bois de hauts peupliers, à écorce argentée et lisse, dont les feuillages aérés laissaient passer des éclats de lumière, qui dansaient sous leurs ombrages. Des moissonneurs épuisés roupillaient, allongés sur un tapis de verdure, visages couverts par leurs turbans. D’autres ne parvenaient pas à dormir, vidés d’énergies. Ils restaient assis par petits groupes, observaient un silence stoïque, ne pensaient à rien, n’écoutant même pas les pulsations de leurs corps. Les adolescents se rafraîchissaient près d’une marre peu profonde où ressurgissaient de faibles sources. Hamza les rejoignit et se débarbouilla sur le champ, puis s’abreuva longuement. Il taquina son ami Ali, reprocha à son équipe son manque d’endurance.

le martyr de l’oued; odyssée ahmed bencherif

12 avril, 2020
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Le martyr de l’oued

 

 

Encore octobre et ses rendez-vous tragiques :

L’oued menace de nouveau la ville,

Rappelle ses dangers, ses crues fatidiques,

Sa force impressionnante, son éternel cycle.

 

Il vient de très loin, du moyen Atlas

Et grossit d’affluents le long de son chemin,

Traverse la steppe, sur des roches ne se casse,

Passe entre des gorges, balaie des jardins,

Court plus vite que le vent,  profond et très large,

Charrie des quantités énormes de glaise,

Tourbillonne en folie, déborde ses berges,

Se brise contre les roches qu’il creuse.

Il descend en furie, arrache les arbres,

Emporte les bestiaux surpris dans les herbes,

Chameaux, bœufs et brebis en très grand nombre,

Dévaste les oasis et creuse des tombes.

 

Ses vagues énormes, folles et terrifiantes

Roulent les unes sur les autres sans répit,

Ne se brisent jamais, courent toujours en pente,

Foncent dans le désert assoiffé d’eau, de vie.

Elles montent très haut, gênées d’obstacles,

Poursuivent leur lancée, tombent avec fracas,

Puis se déchirent dans un bruit terrible,

Prennent leurs victimes dans leurs tristes appâts.

 

 

Il gronde dans la vallée comme un tonnerre,

Furieux et enragé de façon continue.

Ses échos demeurent suspendus dans les airs

Arrêtés par les monts resserrés, hélas nus.

 

Les habitants l’attendent, mais il les surprend.

Bienfaiteur ou monstre ? Il laisse cependant

De tristes souvenirs. Il ramène de l’eau,

Fait la félicité des plaines et des vaux.

Il vint de nuit, en l’an deux mille moins onze,

La veille du marché hebdomadaire en plein air,

Au bosquet de tamarix déjà en grains roses

Où marchands forains font de bonnes affaires.

 

 

 

L’oued les surprit dans leur sommeil profond,

Sous la franche lune, de chaleur étouffante,

Près de leurs voitures et leurs petits camions

Chargés de produits ménagers en vente.

 

Ils sont réveillés brusquement par l’eau froide

Et tout défile dans une vitesse rare :

Le grand émoi, l’émotion, pire débandade,

Des cris, des voix brisées, plus de phare.

 

Ils sont pris au piège par les flots qui montent,

Dépassent le genou et très vite la taille,

Cassent et vident les voitures qu’ils emportent,

Charrient tous les produits, élargissent les failles

Du proche enclos qui cède à la forte pression,.

Inondent les rues du centre de la ville,

Défoncent les portes des maisons sous tension,

Des boutiques pleines de denrées et de mil

le bagne Margueritte 26 avril 1901 ahmed bencherif

12 avril, 2020
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Au fil des jours, Hamza devenait de moins en moins endurant, ses forces le lâchaient, ses énergies s’atténuaient. Le jour, il  n’arrivait plus à travailler, alors il recevait des coups de bâton. Son mental souffrait, sa clairvoyance diminuait gravement, ses pensées étaient constamment en désordre. Il arrivait à peine à marcher, à se tenir debout. Il ne mangeait presque plus rien. Car, la pitance lui faisait plus de mal que de bien. Les diarrhées l’affectaient gravement, l’affaiblissaient. Son  visage était constamment jaune et il avait  beaucoup de fièvre. Il craignait d’aller à l’infirmerie qui était totalement dépourvue de médicaments d’urgence où bien souvent les malades étaient déclarés comme menteurs et donc les surveillants les mettaient au cachot pour un séjour d’un mois ou plus.

 

Un mois passa, Hamza souffrait encore de ses maux. Il peinait à abattre un jeune tronc, à l’aide de la hache qui lui semblait peser une tonne qu’il maniait avec d’énormes difficultés. Il donnait des coups faibles, presque lâches. Il ne parvenait pas à exercer la vigueur nécessaire. Il se fatiguait vite, plantait son outil sur le sol, s’y appuyait, essuyait la sueur qui ruisselait sur son front. Il avait mal, au dos,  aux reins, aux mains. La douleur le faisait souffrir atrocement. Le  garde-chiourme, qui l’observait depuis cinq minutes, rua sur lui et le frappa d’un coup de cravache au à l’avant-bras. Hamza tomba et resta longtemps évanoui. On le crut mort. Il se réveilla et s’écria de toutes ses forces : «  Nous sommes les braves, fils des braves. Nous sommes les fils d’Abdelkader et d’ElMokrani. Moi, Hamza, je suis mort, mais j’ai laissé mon fils Hamza dans mon pays. Il chassera tous les Français dont nous n’avons connu que la pire des injustices ». Il parlait en français et tous les forçats qui étaient avec lui se regroupèrent autour de lui. Deux gardiens le frappèrent durement et l’emmenèrent au commandant qui sans hésiter lui infligea vingt  jours de cachot.

 

La nouvelle geôle faisait à peine  six mètres carré, dépourvue totalement d’aération et de lumière. Le sol était en pailles, trop humide et cramoisi que les garde-chiourmes  changeaient une fois tous les dix jours. Il fallait vraiment être de bonne condition physique  pour résister à un milieu malsain et insalubre. Le bagnard, qui était enchainé, avait droit à une ration de pain tous les trois jours, sans bouillon,  ni viande, ni même légumes.

 

Hamza pensa que le cachot était réellement un cercueil dont il n’en sortirait jamais   vivant. « Non, s’écria-t-il, ce n’est pas une fin digne d’un révolutionnaire ». Personne ne pourrait l’entendre, il pouvait crier tant qu’il pouvait. Il demeura un long moment pensif. Il se creusait les méninges pour trouver une issue à sa situation désespérée. Il ne souhaitait pas du tout mourir de  cette façon lamentable. Comment donner un autre cadeau à son  bourreau et quitter cette terre sans orgueil,  ni amour propre. Non et non. Il devait réagir et se faire un défi pour mourir glorieux. Mais comment y parviendrait-il ? Il s’assoupit un moment et fit une vision étrange : le Moqadem, son père, communiait avec lui, lui montrait les voies secrètes du Seigneur. Il l’entendit réciter des versets de la sourate de Marie, celle qui énonce plusieurs miracles.

 

Il se leva en sursaut, sourit et dit : «  Louange à Dieu ». Il mangea sa ration de pain, puis il arrangea son lit de paille, fit ses ablutions en frottant le parquet de terre, observa plusieurs prières et s’assit. Il psalmodiait mélodieusement le chapitre de Marie. Il s’attardait longuement sur le sort de Marie et les miracles dont elle fut honorée par le Seigneur, sur la naissance du  Christ, sur l’or qu’un ange invisible lui apportait. Il essayait de percer la lumière qu’il pensait venir d’Allah. Quand il eut terminé son chant religieux, il était serein, vraiment apaisé. Il vit autour de lui et toute la laideur de tantôt s’était néantisée, transformée en beautés. Une bonne senteur s’exhalait qu’il humait plusieurs fois pour en être bien convaincu. Il voyait les murs en  vert, gravés de l’étoile et du croissant. Il ne délirait pas. Mais il se croyait vraiment dans un lieu sacré, paradisiaque où régnait la  beauté.

 

Il observait ce régime et au bout de vingt jours, il avait changé notablement. Ses joues avaient pris des couleurs et un peu de chair, ses jambes avaient recouvré un  peu de vigueur, ses yeux scrutaient sans se retourner, ses bras avaient pris des forces, sa voix était résonnait.  Il pensait au Moqadem, à son petit enfant Hamza, à sa mère, à Safia et à Pauline. Il se leva, arpenta le cachot, quand deux gardiens ouvrirent la porte. Ils le crurent mort et vinrent  l’emmener pour aller l’enterrer en dehors du camp. Quand ils le virent debout et bien vivant, ils le prirent pour un fantôme et reculèrent. «   Venez, dit-il, je suis prêt à affronter la mort ». Ils le crurent fou. Ils l’emmenèrent. Il marchait droit, fier de lui-même. Dans la cour, tous les forçats étaient rassemblés pour l’appel. Il psalmodia la sourate du Royaume, chanta l’hymne de la complainte de l’héraut, au lendemain du débarquement français à sidi Freidj :

 

« O feu de mon cœur, ils détruisent les mosquées,

Où donc est le croyant qui vaut dix hommes, et dont le bras vengeur

Brandira la lance, ceindra l’épée

Fera éclater la poudre et charger nos fusils ? ». ( Jean Dejeux )

 

On l’aurait vraiment cru sur un cheval blanc qui fendait l’air dans sa course et chargeait les rangs du Roumi. Il possédait une force exceptionnelle, herculéenne. Sa voix résonnait si fortement que l’écho la renvoyait avec plus d’intensité. Puis, il déclama une prémonition : « Mes compagnons de Margueritte, nous avons inauguré le siècle avec notre sang, c’est le début du chemin vers l’indépendance de notre Algérie meurtrie. Mes frères Marocains et Algériens notre destin est commun. Mes compagnons forçats Français, le bagne est une honte pour le peuple français. Il sera fermé et ne sera qu’un affreux souvenir qui remplira des pages d’histoire ».Tous l’écoutaient avec une vive attention et une profonde admiration. On dirait que cette foule immense, formée de bourreaux et de victimes, ne formait plus qu’un seul corps. Des garde-chiourmes et des bagnards laissaient couler quelques larmes.

 

Mu par une fierté extrême, une confiance illimitée en lui-même, une force extraordinaire et d’une foi profonde en Dieu que lui renvoyait son passé de révolté irréductible et infaillible, Il se prosterna, puis il se mit à genoux. Les mains jointes vers le ciel, il resta immobile, un sourire irradiant son visage. Il arrêta de respirer, son cœur avait cessé de battre. Hamza était mort. Alors fusèrent dans l’air les prières de bénédiction musulmanes  et chrétiennes. C’était le dix-huit mars 1904. Hamza avait vécu depuis son jeune âge à l’école révolutionnaire où des acteurs l’avaient formé en lui contant les épopées de son peuple, les hauts faits de guerre de combattants intrépides, de ces hérauts qui chantaient l’hymne de la liberté. Son combat restait dans la mémoire collective là-bas sur les hauteurs de Margueritte dont le vrai nom d’AinTorki avait été usurpé par le colonisateur.

 

 

 

 

bédouine ; vagues poétiques ; ahmed bencherif

12 avril, 2020
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                                           Bédouine  

 

 

Dans tes nappes alfatières sans rivage,

Planes comme la mer, sans grande profondeur,

Ondulées par le vent qui souffle avec rage,

Qui cachent dans leur terroir mille splendeurs,

Tu sens le temps filer sans allure entre tes doigts,

Comme un fil de tissage jamais épuisé,

Départi entre un long jour sans émoi,

Une courte nuit sans veillée tamisée.

 

Tu es la reine de ces espaces infinis,

Austères et prodigues, calmes et solitaires,

Doux et implacables, prospères et bénis,

Bucolique au rythme de mélodieux airs.

Ton poète improvise des stances de l’amour

Te magnifie en vers et brosse ton portrait,

Maquillée de kohol, paré de tes atours

Outrageusement tatouée, et pleine d’attraits.

Et tu vas ! Tu vas vers la source jaillissante

Dans un lit végétal ombragé de peupliers,
sur la rive haute de l’oued qui serpente,

Toujours présent par ses crues jamais oubliées.

 

La flûte t’attire, ses échos amplifiés.

Son air mélodieux t’embarque dans son char,

Ses notes graves ou gaies t’ont désormais déifiée,

Par un sacre immuable loin des regards.

 

Ton berger te reçoit sous les feuilles vertes

Aérées aux rayons de soleil infiltré

Qui bruissent au zéphyr annonçant l’amourette,

En ce rivage loin des regards indiscrets.

 

hé c’est moi qui l’ai tué; ahmed bencherif

12 avril, 2020
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La rue de France était large, ses trottoirs aussi. Elle n’était pas longue et finissait à une rue transversale qui menait, côté Sud, directement à la légendaire maison du bois située au  souk. Elle était méticuleusement propre : pas de sable, point de déchets, vitrines étonnamment reluisantes, devantures arrosées.  Mohammed la traversa en peu de temps et arriva à l’angle où était situé un grand magasin d’alimentation générale, bien achalandé en produits : pattes et riz, huile, thé, sucre, café, fromage, farine, semoule…Mohammed y faisait toujours ses achats, malgré le caractère un peu cupide du propriétaire qui ne faisait pas de vente à crédit aux chômeurs. Il le préférait cependant pour le lien agnatique qui les unissait. C’était aussi simple que cela et il en était fier et lui disait : « Moi, je fais mes provisions chez toi, fils de mes gens. ». Il ne l’adulait pas et donc ce n’était point un sentiment xénophobe pervers et fanatique, mais le souci de sentir une main chaude de groupement social. Pour preuve, il ne haïssait pas les autres. Quatre clients le précédaient et quand vint son tour, il sortit son porte-monnaie vieilli, recompta ses sous et arrêta de mémoire combien il allait dépenser. Pour lui, le superflu n’avait pas droit au chapitre et il achetait le nécessaire du nécessaire ; pas question d’apprendre les mauvaises habitudes à sa lionne ou à ses enfants. Donc, point de gâteaux, de confiture, point de bonbons, de chocolat. Il demanda un kilo de sucre, une demi livre de thé, une livre de café, un kilo de pattes langue d’oiseaux, paya la note et s’en alla.

Il revint sur ses pas et arriva à la boulangerie de Gonzalez, dont la porte vitrine était entre ouverte. En y entrant, il eut la sensation de chaleur qui venait de la salle de cuisson dont la porte communicante était entre baillée. Un ouvrier étalait les gros pains chauds sur l’étagère en aluminium, tandis qu’un autre exposait de belles brioches au comptoir vitré. Ils étaient bien forts et leurs visages avaient bruni sous l’action des flammes du four qui brûlait au bois, produit généreusement par les deux montagnes et que vendaient les bédouins. Ils étaient Français Musulmans, religieux du bout des lèvres cependant : ils picolaient, ne priaient pas, jeûnaient le mois sacré, égorgeaient le mouton le jour du sacrifice d’Abraham, restaient des célibataires endurcis et se compensaient en faisant la drague aux filles de joies françaises ou françaises musulmanes. Le pain faisait les jours gras de Gonzalez dont le label sérieux lui valait une grande réputation qui lui attirait même la clientèle du régiment de légionnaires cantonné à la caserne, perchée en hauteur sur la rive sud de l’oued, à proximité du ksar.

Quatre clients se faisaient servir et une jeune femme discutait avec le patron. Elle était belle : peau laiteuse, cheveux noirs, yeux bleus, taille bien proportionnée, d’habits de saison élégants en laine gris blanc. Elle passa commande d’une tarte pour son anniversaire qu’elle comptait célébrer dans les deux jours qui suivaient. Elle donna plus d’un détail sur les crèmes et les colorants qu’elle souhaitait voir garnir sa pâtisserie. Gonzalez la rassura et elle partit. Enfin, il s’adressa à Mohamed et lui dit : « Bonjour Mohamed. Je ne te vois pas souvent à la boulangerie. Les temps sont durs pour toi, n’est-ce pas ? » Notre ami fut blessé par cette remarque qu’il jugea désobligeante, car il ne mangeait pas tous les jours le pain boulanger. Il n’en fut pas cependant offusqué et ne rougit point.  « Bonjour monsieur, dit-il. Ma femme fait de très bonnes galettes et je n’achète du pain, que lorsqu’elle est malade ou occupée au métier à tisser. Tu sais, c’est une boulangère finie. Allez, donne-moi deux kilos de pain. ». Gonzalez dit : « Je n’en doute point. ». Il prit deux gros pains d’un kilo chacun environ, les pesa sur la balance au mercure. Le poids n’y était pas et il rajouta un autre morceau qu’il découpa d’un coup sec au couteau comptoir. Mohamed mit le tout dans un petit panier, paya  vingt centimes et sortit.

Gétuliya et le voyage de la mort ahmed bencherif

12 avril, 2020
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Chatouf retourna dans sa hutte. Le dîner était prêt : du couscous avec un bouillon à base de lait, viande séchée et fondue dans la graisse, glands, galette au blé, les deux livres grillés et c’était tout. Chatouf posa une dalle qui était rangée dans un coin et servait de table à manger. Tous s’y mirent tout au tour. Puis il aida sa femme à servir dans des bols de terre cuite qu’elle-même façonnait. Avant de commencer à manger, ils prièrent leurs dieux à leur façon : le soleil, le feu, le bélier. Ils firent plutôt des signes de vénération, qu’ils ne récitèrent quoi que ce fût. Puis ils commencèrent à manger, se servant de cuillères à bois rustre et bientôt, il n’en resta plus aucun aliment. La ration pour chacun suffisait à peine à calmer les spasmes de la faim que tous ressentaient encore. Les grands, qui étaient imbus à la diète, ne bronchèrent pas. Mais les enfants crièrent leur faim. Chanoufa tenta de les calmer. Gétuliya ne dit plus rien, mais ses frères réclamèrent avec force. un surplus.

- la viande du sanglier jeté en pâture pourrait nous nourrir plusieurs jours, dit le garçon cadet. Nous ne pouvons rester affamés et la donner à la lionne qui elle se procure son gibier plus aisément que nous.

- Mais mon fils, dit Chatouf, notre peuple ne mange pas le porc et le sanglier en est un parent. C’est un interdit établi par nos ancêtres et nous devons le respecter, au péril de notre mort que guette la faim. Nos frères Libyens au Nord font l’élevage du porc, mais ils ne le mangent pas.

- Quel usage en font-ils, s’ils ne le mangent pas, rétorqua le garçon ?

- Ils troquent leur production avec les pays voisins, comme les îles ibériques ou le pays des Romains.

- Ces pays sont loin de chez nous, père ?

- Oui fils. Une grande mer nous sépare et nos frères Libyens sont d’excellents navigateurs. Tu dois avoir toujours à l’esprit cette règle que tu devras appliquer. On respecte l’interdit, car il nous protège de choses périlleuses inconnues. Tu as compris fils ? Promets-moi d’en faire honneur.

- Oui père. Q’en dis-tu Gétuliya ? Est-ce une bonne chose si notre peuple ne mange pas le porc ?

- C’est une sagesse des Anciens qu’on ne peut pas discuter. C’est ça le respect aux morts.

Le silence tomba sur tous, un silence froid, de mort qui plane, qui hante les esprits. Comme eux tous, Gétuliya le sentit dans sa chair qui la martyrisait. Depuis déjà un mois, elle y pensait. Elle la voyait arriver implacablement, plus forte qu’eux tous. Que pourrait-elle faire, sinon essayer d’en percer le mystère, s’imprégner d’images insolites, comme les suivantes dans ces vers :

Mort, mot simple, mot tragique

Pourquoi dois-je penser à toi

Si je suis juste ou inique

De bonne ou mauvaise foi.

Tu me surprendras toujours,

Au bout de ma gloire pompeuse,

Ou ma défaite sans retour,

Dans ma vie riche ou miséreuse,

Creuser ma propre tombe

T’attendre dans mes peurs

Sans voir de nouvelle aube,

Ni son bonheur ou malheur.

Cette réalité était amère pour cette famille. Chacun regagna son lit sans mot dire. Qui peut lutter contre la mort ? Personne. On lutte contre une maladie grave, mais avec la mort le combat est inégal. Pour ces gens-là la mort était un dieu à haïr. Car il ôtait la vie. Gétuliya ressentait toutes ces choses, car elle ne voulait pas  mourir. Elle pensait à ces voisins, ces cousins que la mort volontaire avait frappés. Ils n’avaient hélas laissé aucune mémoire, comme les Anciens qui avaient gravé leur histoire sur les rochers : hommes géants à la chasse ou en adoration, femmes émerveillées par la hardiesse de ceux-là, éléphants, girafes, buffles, bélier, disque solaire, javelines, des signes. Gétuliya dormit difficilement, en proie à d’affreux cauchemars.

 

 

 

Maréchal Bugeaud; ahmed bencherif

12 avril, 2020
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regard critique l’aube d’une révolution, de C. Pheline ; ahmed bencherif

« On punissait des peines d’amendes des infractions qui n’étaient pas réprimées par le Droit Pénal français, disait Fernand Dulout dans son traité de législation coloniale ».

Dès les premières années de conquête, il était apparu urgent au conquérant français d’énumérer ces infractions, alors que la guerre battait ses grands tambours, en dehors de laquelle était affiché manifestement la volonté de réprimer tous les actes d’apparence séditieuse. Ces générations, qui avaient longtemps et durement résisté, n’avaient rien laissé au hasard pour empêcher la domination. C’était une période riche d’enseignements en voies et moyens pour contrecarrer le projet colonialiste de l’agresseur. Elle est cependant peu connue et gagnerait mieux à l’être pour transmettre ce legs fabuleux de ces générations combattantes éteintes. Le devoir de mémoire interpelle nos universités à ouvrir de grands chantiers pour ressusciter ce passé glorieux. En effet, il y aura beaucoup de choses à apprendre qui cimenteront l’unité nationale, enrichir et clore le débat sur l’identité nationale, voulu consciemment ou inconsciemment.

Le concepteur de ce dispositif répressif extra judiciaire n’était autre que le maréchal Bugeaud. Il avait défini les infractions passibles d’amendes vénales qui sont diverses, à percevoir selon le degré de gravité par l’agha, le bachagha, le commandant supérieur du cercle, allant de vingt cinq francs jusqu’à cinq cents francs. Celles-ci sont : rixe, discours séditieux, refus d’accepter la monnaie française, destruction d’arbres fruitiers, dégradations de puits, recel d’objets volés, refus de payer l’impôt, termes injurieux envers l’autorité, asile donné aux criminels, actes de connivence avec l’ennemi, certains vols.

Hormis les rixes, presque insignifiantes en nombre comme en violence, le recel d’objets volés, aussi peu dérisoires, certains vols, généralement de bestiaux, qui relevaient du droit commun, imputables aux mœurs, les autres amendes touchaient un point de rejet de la souveraineté française et donc elles devaient être justiciables par la cour martiale ou une juridiction spéciale, lesquelles auraient accordé indéniablement un  statut d’ennemi aux résistants et leur garantir certains droits reconnus par le droit public international. Mais le maréchal Bugeaud tenait à faire de l’amalgame entre résistants nobles et voleurs et les faire juger par des hommes sur un plan purement de droit commun. C’état voulu pour éviter de donner de l’impact et de la propagande constructive aux acteurs de la résistance et en faire des héros qui auraient ouvert le chemin à suivre par d’autres. Si l’expédition du maréchal de Bourmont, entreprise par 30.000 soldats, semblait une balade au roi Charles X, le terrain allait désavouer tous les chantres sur le coût de la conquête. En effet, les effectifs ne cessèrent d’augmenter et atteignirent 108.000 hommes en 1846, soit le quart de l’armée française. C’est justement sous son haut commandement, que ce chiffre effarent fut atteint. Il œuvra également à transformer l’armée d’Afrique, en une force assez proche de mercenariat sanguinaire, pourvu d’esprit de rapine et d’héroïsme. Ses chefs ont tous brillé par l’absence de scrupules et de folie meurtrière, tels les généraux Saint-Arnaud, Pellissier, Cavaignac et tant d’autres.

Mais cette force de frappe considérable ne parvenait pas à neutraliser la résistance dont les éléments, braves et redoutables, tenaient en échec l’ennemi qui découvrait en eux des guerriers hors du commun, qu’il n’eût  eu jamais à affronter de semblables. Louis-Valéry Vignon en témoigne dans son ouvrage ‘La France en Algérie’ :

«  Elle est difficile cette guerre ! Dans un défilé l’Arabe ou le Berbère se cache derrière les rochers, dans la steppe, derrière une broussaille, un repli de terrain. Les guides mentent souvent ; au risque de leur vie, ils perdent les colonnes dans les montagnes ou les conduisent sur le parti ennemi. Le soldat français rencontre un adversaire comme il n’en a jamais vu, comme il ne savait qu’il pouvait en exister ».

Cette série d’infractions, ci-dessus énumérées, demeura longtemps en vigueur par le conquérant, comme elle n’aboutit point au résultat escompté par son concepteur Bugeaud, qui pratiquait au contraire la politique de la terre brulée, copiée sur le modèle qu’il avait expérimenté dans la guerre d’Espagne, sous l’empereur Napoléon I. Elles constituaient des moyens de résistance pacifiques auxquels le peuple faisait recours étaient très recherchés, certains moins violents que d’autres, mais tous rejetaient la soumission. Refuser la monnaie française privait tout simplement les soldats et les premiers colons de l’unique moyen d’échanges qui pût être utilisé entre eux. Dégrader les puits, c’était priver d’eau potable les soldats en campagne. Couper les arbres fruitiers, c’était supprimer des provisions aux troupes en mouvement dans le monde rural. Quant aux discours séditieux, ils faisaient appel à la fierté nationale ou communautaire, ainsi qu’au sens patriotique et le phénomène religieux. Il est bien dommage que ces discours ne soient pas parvenus jusqu’à nous, car ils auraient bien fourni les moyens d’approche intelligente de ces évènements tragiques que ces générations avaient vécus avec une intense frayeur, sans laisser, peut-être, des témoignages. Là encore, les recherches scientifiques combleraient ce manque à la mémoire collective. Rien ne changeait dans les méthodes répressives de la France pour asseoir sa domination. Des mesures analogues sont reprises par le décret du 11 septembre 1874.

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