ahmed bencherif écrivain et poète

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Archive pour mai, 2020


le soir tu vas danser extr les vagues poétiques Ahmed Bencherif

29 mai, 2020
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                             Le soir tu vas danser

 

 

 

Le soir tu vas danser, admirer les concerts,

Admirer les tableaux, flâner dans les ruelles,

Et lasse, te poster sous un vieux réverbère,

Ta main dans la main de ton amie, vous deux belles.

 

Tu aimes ce silence grossi par le gel

Du trafic des bourgs fous par leurs bruits insensés ;

Tu aimes écouter les augures du ciel,

Invoquer ses grâces, voguer dans tes pensées,

Cueillir l’étoile filante dans sa course,

Dans la fluorescence de la lune rousse

Par l’immense éther mille fois constellé,

L’admirer, la baiser tendrement sans trembler,

La mettre dans ton cœur, en garder les éclats

Comme habit de charme qui t’offre réjouissance

Et parfums enivrants du lys et des lilas,

Epanouis dans les champs, dans leur magnificence.

 

Reste éternellement jeune et sensuelle,

Bois à la coupe de cristal de sultane

Le philtre magique de l’amour réel,

Quand tu te sens comme un ange qui plane.

 

Toi, sur Sanary-sur-mer Ahmed Bencherif

29 mai, 2020
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                          Toi, sur Sanary-sur-Mer

 

 

 

Sur le quai à carreaux rouge mat poussiéreux,

Juste au bord de la mer instable et poisseuse,

Où accostaient des barques aux mâts terreux,

Suspendus au ciel en colonnes nerveuses,

Abritées des alizés par cette falaise,

Lotie en maisonnettes élevées en gradins,

Couvertes en hauteur de tuiles poudreuses,

Gardées par un bouquet vert sombre de sapins,

Posait ma cirée, vêtue de robe blanche,

Bras et jambes nus, de corsage haut bombé,

Habit rose passé du buste jusqu’aux hanches,

Froissé par ci par là et,  à mi cuisse, retombé.

Ses blonds cheveux soyeux cadrent son visage

Large et rond de chair bien pulpeuse et d’éclat,

Où la main divine a tracé par un bel hommage

Des lèvres bien fines et frêles comme des lilas,

 

Et ses yeux, ô mon dieu, beau fragment de l’éther,

Une voûte pure pour rêver sans cesse,

Une magnifique, calme et miroitante mer

Pour faire un bain unique de jouvence,

Sont le miroir toujours à l’état pur  de ton âme,

Où figurent ta candeur et ton altruisme,

Tes espérances, ton légendaire calme

Tes langueurs souveraines et ton romantisme

Keira Odyssée Ahmed Bencherif

29 mai, 2020
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Keira

 

 

O Keira ! Ecoute mon appel dans la nuit

Solitaire et vide, monotone et triste,

Sous un ciel sombre sans lune qui reluit

Sans constellations brillante, filante.

 

O Keira ! Ecoute mon appel émerger

De mon coeur oppressé par l’atroce langueur,

De mon moi qui reste, sur ta beauté, figé,

Ensorcelé à fond par tes attraits charmeurs.

 

Qu’il souffre loin de toi, loin de ton haleine !

Grâce ! Viens dans mes bras et guéris sa douleur

Par simple caresse, viens curer sa peine.

L’étreindre dans tes bras, lui prodiguer bonheur.

 

Nous irons par l’oued, au milieu des roseaux,

Des lauriers, tamaris, des ronces et palmiers

Entre la dune d’or et les jardins si beaux

Plantés de figuiers, de géants pommiers.

 

Qu’elle est belle ta voix, douceur et harmonie,

Legs d’une légende encore vierge

Qui cache les amours, par les dieux, bénis

Vécues ardemment, sans voile, ni cierge

Nous irons nous marier sous nos beaux peupliers

Sur un tapis de fleurs odorantes et gaies,

Non loin de la vigne verte et du figuier

Fêtés par un concert de chants du merle et du geai.

 

Le printemps arrive, témoin de notre sacre.

L’automne n’est pas loin, témoin de notre serment.

O saisons lointaines ! Pitié de ma vie acre !

Pliez les jours et les nuits ! Hâtez l’évènement !

 

 

O Keira ! Trouve-moi le séjour pour rester,

Rester à tout jamais dans tes bras accueillants,

Par les jours joyeux, par les nuits veloutées,

Evoluer toujours autour de ton rayon.

 

Toi qui parus en ce printemps fleuri et verdoyant,

Comme un soleil d’été aux aurores,

Ou la lune rousse dans un ciel attrayant,

Un jardin bien tenu embaumé de flore,

Toi qui soufflas de loin un espoir recherché

De saison en saison, qui m’avait ébloui,

Qui avait ranimé mon tonus relâché,

Sous le poids du doute, quand tout semblait enfoui.

Quelle dîme  payer ? Seul mon cœur prend valeur.

extrait Odyssée

regard critique sur l’aube d’une révolution Margueritte de C. Pheline

29 mai, 2020
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                                        Avant-propos

 

 

 

Le lecteur se demandera, et judicieusement, pourquoi cette analyse du discours que j’ai produite, sur l’ouvrage de Christian Pheline ‘L’aube d’une révolution, Margueritte, Algérie, 26 avril 1901. La raison majeure réside dans le fait que je tenais absolument à restituer l’histoire, telle qu’elle était, vue objectivement par d’éminents historiens ou essayistes dont Robert-Charles Ageron, Yves Lacoste, Laadi Flici et d’autres non moins importants, tous animés par le souci de transmettre des évènements dans la sincérité et l’objectivité, difficilement ou quasiment contestables. Car de l’histoire bien rapportée, on peut établir des voies de communications de compréhension, de tolérance, de pardon.   J’ai écrit le premier sur l’insurrection de Margueritte dans une œuvre, intitulée ‘Marguerite’, subdivisée en deux tomes, le premier publié chez Publibook Paris, le second publié chez Edilivre Paris, successivement en 2008 et en 2009. J’y avais analysé la praxis coloniale dans cette contrée de Margueritte, comme étant un échantillon de ce qui se passait partout en Algérie, du moins dans les terres agricoles du Nord du pays ou de ce que l’on appelle communément le Tell. C’était l’objet du premier tome. Quant au second, il développe l’insurrection des Righa qui s’était produite le 26 avril 1901 dans le village de Margueritte, de son nom originel ‘Ain-Torki’.

Ce village a édifié une stèle commémorative en 2002, à la gloire de ses martyrs  au lieu de la confrontation armée qui s’était déroulée entre les insurgés des Righa et des bataillons de l’armée française, malgré que sa mémoire collective ne disposât pas d’amples données historiques, sauf évidemment quelques extraits de journaux coloniaux de l’époque ou encore des photos archives. C’est dire que ces habitants étaient frustrés, avides de connaitre l’histoire particulière de leur insurrection. Donc mes publications venaient combler un vide immense et accroitre leur fierté.    Donc mes publications ne tardèrent pas à susciter leur intérêt et leur besoin de savoir avait été rapidement exprimé. En effet, je fus invité le 26 avril 1901 pour animer une conférence sur cette insurrection qui rendait un vibrant hommage aux insurgés de l’an I, comme je les avais baptisé symboliquement dans mon œuvre. Cette appellation fut reproduite par Chrisitian Pheline dans son livre, puis réutilisée par Benjamin Stora dans sa préface et j’en réclame avec force la paternité. Christian Pheline avait exprimé le vœu d’y assister. Une invitation lui avait été lancée par l’association Nour qui avait initié cette journée. Je l’ai donc rencontré à Margueritte et il m’a appris qu’il avait lu mes deux tomes ; j’en étais alors très heureux. Mais à aucun moment, il ne m’avait dit qu’il écrivait ou écrirait un ouvrage sur l’insurrection. Une année plus tard, j’appris qu’il avait publié, en France, un ouvrage ‘l’aube d’une révolution, Margueritte, Algérie, 26 avril 1901, dans lequel il m’avait cité dans quatre ou cinq pages.

A mon tour j’avais commandé et lu son ouvrage. Néanmoins, sa lecture  m’avait interpellé, notamment pour des faits qui ne concordaient pas. En effet, je  fondais mes travaux sur l’œuvre magistrale de Charles-Robert Ageroon ’ Les Algériens musulmans et la France 1971-1919 ’, qui donne suffisamment de détails précis, ainsi que l’ouvrage de Laadi Flici ‘ qui se souvient de Margueritte ? ‘, dans lequel il rapporte les auditions des témoins, des victimes, des accusés, au cours de l’instruction, mais aussi au cours du procès de Montpellier. Donc, je me sentais concerné par ce débat contradictoire et j’ai tenu à produire cet essai historique pour mieux resituer les vérités tronquées. Bien entendu, ma conscience m’intimait de faire ce travail, pour lequel je n’étais pas suffisamment outillé, sur le plan scientifique, sans avoir pour autant un accès  au fonds d’archives coloniales. Ma motivation fut déterminée par plusieurs affirmations de Christian Pheline, qui dévalorisent notre peuple libre, né libre, dominé par la France, mais jamais soumis à Elle. Le lecteur algérien ou universel découvrira avec stupeur les théories élaborées pour déprécier le combat de notre brave, belliqueux, héroïque peuple.

Mon attention a été retenue par des citations aux chapitres : il y a une révolution, assaut, représailles, débats. Quant au chapitre détention, il est surtout un discours de dérision, d’avilissement des insurgés en détention qu’il nous montre parfois indignes d’assumer leurs actes, parfois frappés de phobie. Comme il s’agit d’une détention provisoire, on épargnera au lecteur l’analyse de scènes comico-tragiques qui n’apportent aucun détail supplémentaire à la compréhension intelligente de l’insurrection avec toutes ses répercussions. On est surtout dans le roman fantastique à la prison, au moment de l’embarcation au port à bord du navire. Autant de détails, précis pourtant, néanmoins sans rapport avec la révolte de Margueritte ou de l’affaire Marguerite elle-même. S’agissant du chapitre procès, l’auteur nous donne des détails de cinéma sur les gradins de la salle d’audience à la cour d’assises de Montpellier ou autres, tout à fait superflus. Toutefois, je l’ai traité  dans le chapitre phase judiciaire, afin d’éclairer le lecteur et lui fournir le cœur même de l’affaire, c’est-à-dire les développements du procès ainsi que le verdict. Les autres chapitres ne m’ont nullement interpellé, car j’estime qu’ils ne se rattachent nullement ni à l’insurrection, ni au procès.

J’avise d’ores et déjà le lecteur que les citations de l’auteur Christian Pheline sont transcrits en caractères gras, afin de mieux en faciliter le suivi du discours. Quant à d’autres citations, appartenant à d’autres auteurs, elles sont transcrites en clair. Car parfois, j’y ai recours.

Par ailleurs, j’ai été surpris par la préface élaborée par Benjamin Stora, qui qualifie l’ouvrage de C. Pheline de précis. Cet historien notoire est vraiment à côté du sujet et franchement, je ne perçois pas sa motivation. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’a pas lu mon œuvre, encore moins l’ouvrage de Laadi Flici.

Enfin, je dirai un dernier mot. C. Pheline dit avoir été motivé pour écrire son ouvrage par le côté affectif. C’était une façon, comme il le dit, une façon de rendre hommage à son arrière grand-père, Maxime Pheline, juge d’instruction, au parquet de Blida, et qui avait procédé aux interrogatoires. Effectivement, Maxime Phelien avait exercé au tribunal de Blida, comme juge d’instruction du 31/12 1898 au au 06/02/1909, date à laquelle il fut promu président du tribunal de Mascara. Pour le fait d’avoir mené les interrogatoires des insurgés, résidents de la commune-mixte de Meliana, je reste perplexe. En effet, Meliana était chef lieu d’arrondissement, doté de son propre tribunal et d’un juge d’instruction. Alors où se situe la compétence territoriale ?

Enfin, je n’ai aucune motivation personnelle, ni animosité ou quelque ressentiment à l’égard de l’auteur avec qui je garde toute la courtoisie en sa personne et l’estime pour le travail qu’il a produit. Car on ne partage pas forcément les thèses d’autrui, d’autant si elles échappent à la vérité et enfin il n’existe point de vérité absolue.

 

 

 

Ahmed bencherif       

 

Isabelle Eberhardt ; Ahmed Bencherif

29 mai, 2020
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1. Premiers biographes à parler de l’espionnage

Cette question est relativement récente puisque la première à la poser est Cecily Mackworth dans The Destiny of Isabelle Eberhardt (1951) qui ne sera lu du public francophone que par la traduction d’André Lebois, intitulé Le Destion d’Isabelle Eberhardt (1953), donc presque cinquante ans après sa mort. Ainsi, Mackworth déclare d’une façon dubitative: « Bien qu’aucun document ne l’atteste, on peut supposer que Lyautey avait engagé Isabelle pour effectuer un travail de reconnaissance. »  (P. 257). Que vaut pareille supposition face à une analyse critique ?  Cela n’a strictement aucun poids. Dans la vie de quelqu’un on peut supposer quantité d’éventualités. Cela n’est pas un fait avéré. Donc les premiers biographes, Victor Barrucand, René-Louis Doyon et Raoul Stephan ne se pensaient pas à cette question puisqu’il n’y avait aucun élément qui l’induisait. Ce premier élément est important : ce soi-disant rôle d’espion n’est corro-boré par aucun document. On a posé cette  question à André Le Révérend, le meilleur connaisseur de Lyautey qui a lu et parcouru toutes les archives, même les privées, concernant ce personnage, et il a ré-pondu que, dans tous les documents concernant le célèbre maréchal, il n’a pas rencontré la moindre allu-sion à ce supposé rôle ³.

Le second biographe, qui a repris cette thèse est Françoise d’Eaubonne dans La Couronne de sable, Vie d’Isabelle Eberhardt, en 1968 qui a parlé « de collaboration étonnante ». Mais toujours appuyée par aucun indice concret. Par ailleurs, sa biographie est entachée d’erreurs, d’approximations, d’une culture historique superficielle, qu’on ne peut lui faire confiance. Elle était trop sensible au sentionnel. Puis c’est Annette Koback dans Isabelle, the live of Isabelle Eberhardt, 1988, traduit en français sous le titre Isabelle Eberhardt, Vie et mort d’une Rebelle, la même année. Cet ouvrage se distingue aussi par une méconnaissance de l’histoire et est également enclin au sensationnel. Ces trois biographes ajoutent qu’I-sabelle Eberhardt avait été chargée de pressentir les opinions du cheikh de Kenadsa envers les Français.  Mais tous ignoraient que les relations entre les deux parties étaient fort anciennes et remontaient à 1870, lors de l’expédition du général de Wimpffen sur le Guir et que, pour collecter la ziarate auprès des affiliés de la zianïya des Hauts Plateaux,  celle-ci  était obligée de demander l’autorisation aux autorités colo-niales, au moins depuis la fin des années 1850 : ce qui était souvent l’objet d’un refus qui semblait plus ou moins arbitraire. De plus, ils ignorent également que Lyautey avait personnellement rencontré le cheikh Sidi Brahim, le 25 avril 1904 dans sa zaouïa, donc avant la venue de l’écrivaine à Kenadsa. Pour tous ceux qui ont une culture historique profonde, la fragilité de pareilles assertions est évidente. Il suffit de lire  l’ »aperçu sur la situation de la frontière de la subdivision d’Aïn Sefra » (daté de fin novembre 1903 et de 13 p. ½)  que Lyautey a adressé à son ancien supérieur, le général Galliéni ⁴, pour comprendre que celui-là était particulièrement bien informé et qu’il n’avait besoin d’aucune aide de l’écrivaine pour connaître les tenants et les aboutissants de la situation dans la région de Bechar qui est occupée durant le quatrième trimestre : Bechar est officiellement occupé le 13 novembre, sous le dénominatif de Colomb-Bechar. Nous avons montré que, grâce à l’interview de l’ancien cheikh de Kenadsa, Sidi Abderrahmane, Lyautey était particulièrement bien informé sur la situation de la zaouïya.  Dans une lettre de novembre 1903, celui-ci parle du séjour de Sidi Brahim au Tafilalet alors que le cheikh n’avait été que jusqu’au Meski, près de l’oued Guir (à une quarantaine de kilomètres à l’ouest) et était revenu à Kenadsa, suite à la députation d’une délégation d’habitants qui le supplièrent de revenir. Tous ces biographes font preuve d’indigence à propos de leurs connaissances historiques et il est facile de démontrer l’absence de véracité de leur thèse, née de leur imagination et ne reposant sur aucun document.

Notons qu’aucun spécialiste de la littérature coloniale ou maghrébine n’aborde ce thème. Ils savent bien que cela n’est pas fondé. Ainsi Jacqueline Arnaud déclare : «  […] Isabelle Eberhardt […] a fait de sa courte vie vagabonde à travers l’espace maghrébin, de Tunis à Figuig, le symbole d’une assimilation à l’envers, en haine de la « civilisation » dans ce qu’elle a de répressif, par goût de l’indépendance et du nomadisme.  Sa curiosité,  son admiration,  sa compassion ou sa sympathie, sont pure ouverture à l’autre,

__________________

1. Une colonie d’enfer, éd. Internationale, 1905, rééditée par Clotilde Chauvin, éd. Libertaires, 2007.

2. Isabelle Eberhardt et l’Algérie, Barzakh, 2005, rééd. sous titre Le Destin d’Isabelle Eberhardt en Algérie, éd. Dalimen, 2013.

3. Information orale donnée par J. Déjeux que j’ai recueullie.

4. Cf. Hubert Lyautey, Vers le Maroc Lettres du Sud-Oranais, Armand Colin, 1927,  rééd. Imprimerie nationale éditeurs, 1986 ;

Voir plus particulièrement : lettre au général Galliéni du 14 novembre 1903, pp. 12 – 28.

II

sans arrière-pensée de le convertir à ses propres valeurs. C’est pourquoi il paraît absurde de faire d’Isa-belle un agent de la colonisation, sous prétexte qu’elle a un temps été utilisée par Lyautey, aux confins algéro-marocains, comme interprète, suivant la troupe en qualité de correspondant de presse. » Encore que nous ne connaissons aucun élément qui puisse accréditer ce rôle d’interprète. Edmonde Charles-Roux, auteur d’une biographie monumentale, est convaincue de l’absence d’un tel rôle.

Dr Mohamed Rochd

 

le comité révoltionnaire d’unité et d’action; Ahmed Bencherif

15 mai, 2020
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Le CRUA : courte existence, immense œuvre

Par Ait Benali Boubekeur, 23 mars 2008

Le comité révolutionnaire pour l’unité et l’action (CRUA) a eu, certes, une courte existence mais l’immense œuvre qu’il a réalisée restera indéfiniment indélébile dans la mémoire algérienne. Né de la scission du parti nationaliste, le MTLD (mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), il a tenu à ressouder, dans le premier temps, les rangs du parti avant de s’engager dans une perspective d’action armée en vue de soustraire le pays du giron colonial. Bien que certains membres du comité central aient accompagné ce comité dans le seul but de contrarier Messali, président du parti, il n’en reste pas moins que les partisans de la voie neutraliste ont su gérer, avec intelligence, cette période cruciale en l’orientant dans le sens de rassembler toutes les forces vives de la nation.

La crise de leadership au sein du parti a failli emporter le dernier espoir d’émancipation du peuple algérien du joug colonial. Car le MTLD, principal parti nationaliste, était le seul qui pouvait bousculer l’ordre établi par la puissance coloniale. En se trouvant devant l’inéluctable séparation entre le président et les membres du comité central, un groupe d’activistes a opté pour la solution qu’attendait la base depuis les événements de Sétif et Guelma en 1945 : le passage à l’action armée.

Quels étaient alors les moments forts allant de la scission au passage à l’action en passant par la naissance du CRUA, le 23 mars 1954 ? La crise au sommet du parti a connu son point de non retour lorsque la direction du parti avait appelé, le 10 décembre 1953, pour la tenue d’un congrès national algérien. Cette proposition, pour rappel, avait été rejetée lors du congrès tenu six mois plus tôt. Messali, en résidence surveillée à Niort, avait décidé alors d’utiliser tous les pouvoirs en sa possession pour que la direction ne réussisse pas dans cette entreprise. En estimant que le comité central se lançait dans une voie de réformisme, le président avait décidé de porter le débat dans la rue pour que l’opinion sache l’orientation déviationniste, selon lui, du comité central.

Ces divergences étaient-elles surmontables? Les historiens qui ont étudié la question ont estimé que le différend concernait la ligne directrice du parti. Du coup, toute réconciliation n’aurait été qu’éphémère. L’historien algérien, Mohamed Harbi, dans son livre « aux origines du FLN », a expliqué que les divergences remontaient au second congrès du MTLD d’avril 1953. Il a retenu notamment quatre points :

1) La recherche d’appuis extérieurs

2) La politique électorale

3) L’unité nord-africaine

4) La politique des alliances en Algérie

Cette situation a engendré deux tendances qui n’étaient pas prêtes à céder sur leurs positions de principe. L’un des animateurs de la troisième voie dite neutraliste, Ahmed Mahsas, a constaté que : « les risques de la division se sont aggravées plus que jamais. Nous sommes toujours en présence de deux parties hostiles ».

C’est à ce moment-là, il y a cinquante quatre ans, un certain 23 mars, que naissait le CRUA. La réunion s’est déroulée dans une école coranique Al Rachad. Elle a regroupé quatre militants : Boudiaf, Ben Boulaid, Dekhli et Bouchebouba. Toutefois, si les deux premiers avaient fait partie de l’organisation paramilitaire du MTLD, l’OS, les deux derniers étaient des politiques proches des centralistes. Le comité s’est fixé pour objectif la réunification du parti et son orientation vers l’action armée à court terme. Selon Gilbert Meynier : « pour Boudiaf, l’objectif était de convoquer un congrès unitaire où toutes les tendances seraient représentées, y compris les anciens de l’OS, écartés depuis 1951 et interdit de congrès en 1953, de refuser de reconnaître la délégation provisoire messaliste…. ».

Cependant, si les centralistes étaient bien représentés, l’autre tendance en conflit ne voyait qu’un parti pris flagrant contre elle. En effet, Messali ne voyait dans les membres du CRUA que l’ombre des centralistes et à leur tète Hocine Lahouel, membre influent du comité central. En effet, pourvu que Messali n’ait pas le dernier mot, les centralistes, il faut le dire, étaient prêts à jouer toutes les cartes. D’ailleurs, dés le premier numéro du patriote, bulletin du CRUA, le parti pris contre Messali était clairement affiché. La raison à cela selon Harbi était que : « Le financement du bulletin et son impression sont assurés par une somme de deux cent mille francs (2000 NF) avancés par le comité central ».

Les soupçons qui pesaient sur Dekhli et Bouchebouba étaient avérés exacts lorsque les deux tendances, centralistes et messalistes, préparaient séparément leurs congrès pour l’été 1954. Dekhli et Bouchebouba ont soutenu nettement le point de vue du comité central au sein du CRUA, alors que Boudiaf et Ben Boulaid, les deux autres membres, ont estimé inutile la convocation du congrès centraliste. Ils ont proposé la préparation de l’insurrection immédiate afin que la lutte réunisse tout le peuple autour de cet idéal. Mais la tergiversation des centralistes a conduit le groupe à se scinder. Ceux qu’on appelait les activistes du CRUA ont convoqué, le 25 juin 1954, à l’insu des deux autres membres, une réunion à laquelle ont participé vingt-deux militants de l’organisation spéciale. C’était le fameux groupe des 22. Ce jour-là la discussion était orientée dans le sens de réunir les conditions pour défier un système colonial injuste qui a trop duré. La décision d’affronter la puissance coloniale n’a rencontré aucune opposition parmi les présents. Ils ont, pour ce faire, créé un conseil collégial contenant cinq membre : Boudiaf, Ben Boulaid, Bitat, Ben M’hidi et Didouche. Leur mission était de réunir les conditions pour qu’une action armée soit déclenchée dans un temps relativement court.

Aux armes ;Ahmed Bencherif

15 mai, 2020
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Le disque s’achève et çà et là dans la salle des  voix s’élèvent. Elles réclament la rediffusion, avec une grande insistance. Je vois certains hommes vider leurs verres d’un seul trait. Cette chanson fait un carton dans les bars de la  ville. Les adorables Françaises l’adorent. Parfois, j’entends quelques unes en chanter des couplets. Un jour, j’avais été chargé d’acheter madame Marguerite des souvenirs au grand Magasin ‘Les Quatre Saisons ‘. Eh bien, j’y ai trouvé Sœur Catherine qui avait acheté le disque. Je lui avais dit bonjour ma Sœur en grand respect et immense estime. Elle m’avait répondu avec une grande humilité : «   bonjour monsieur Larbi ».

De voix rauque altérée par l’alcool, Les buveurs crient de partout : «  Garçon ». Il en est des lourdes, entrecoupées, graves ou brusques. Certains sont déjà ivres. Ils bégayent vraiment. Ils ne savent plus parler. Ils font trop de  bruit. Je passe entre les tables, Je sers des bouteilles de bière, du  vin, du Whisky. Leurs mots en français ou en arabe sont inaudibles. Qu’est-ce qu’ils racontent ? N’importe quoi ? Il est tard, il en est qui ronflent déjà sur la table, trop ivres, trop étourdis pour se tenir en place. Puis, je sers le buveur solitaire, un musulman au calme légendaire qui nous impressionne tous. on  dirait que sa bière le détache du monde. S’il parle, il communique avec ses canettes.

Le patron s’énerve, remet le disque. Le silence revient par magie. Elle a du pouvoir cette chanson, elle plaisait même à une  religieuse. Oh ! La pauvre ! L’année passée, au mois de juin, Sœur Catherine, alors âgée de quarante ans, s’était mariée avec un fils du  bled, un  musulman. Ce veuf quadragénaire, l’emmena en France  pour demander sa main à ses parents. Je ne comprends pas comment il demande sa main, alors que le mariage a été officialisé par le cadi. Trop de  bruit court à ce sujet. On dit que le cadi n’est pas habilité à officier un mariage entre un musulman et une Française et qu’il faut un juge français. Un mois après, le mari était revenu sans elle, en disant qu’elle avait été enlevée et il n’avait plus aucune nouvelle d’elle. Le mari se brancha rapidement avec la vie et il se remaria. La pauvre ! Elle vécut treize ans chez nous, comme l’ange. C’était la vertu, quasiment intégrée à la population. Elle avait l’amour du prochain immense.

La nuit avance, parcourt les immensités du temps. Elle est dense, ses ombres dominent. Les buveurs la perçoivent, l’entrevoient à travers les carreaux. Les  buveurs la perçoivent à travers les  carreaux..Ils  s’éclipsent, sortent par deux ou trois individus. Ils sont ivres, font d’efforts extrêmes pour tenir leur équilibre. Ils ont tellement bu, que l’air de la salle est complètement pollué, irrespirable. Le phonographe s’arrête, le patron tape des mains et crie : «  on ferme «. Les derniers clients sortent. L’autre garçon ferme la porte derrière eux.  Il débarrasse les tables, les nettoie avec un gros torchon et un peu d’eau de Javel. Je l’aide dans sa besogne. Au  bout d’une heure, on termine cette corvée de soulards qui laissèrent des centaines de bouteilles cadavres. Le patron compte sa caisse, met l’argent dans sa gibecière. Elle est pleine à  craquer. Il nos paie, le garçon et moi-même.

Nous quittons le bar. L’autre garçon, Philipe, un quadragénaire marié, s’en va. J’accompagne le patron, Gaston, jusque chez lui, comme ça par simple plaisir et point comme garde corps. Car je n’ai pas le courage, le punch  ni l’énergie pour assumer cette tache périlleuse. Moi, je suis plutôt paisible. Cela vient du fait, peut-être, que dans mon enfance, j’étais plutôt timide que turbulent. La  ville dort, les rues sont désertes, Plus personne ne s’y trouve, ni civil, ni militaire. Seul le gardien de nuit assume sa vigie de manière attentive, en arpentant les artères commerçantes. Il est bien couvert dans sa djellaba, armé seulement de son bâton. Il  ne porte pas d’armes à feu pour se défendre contre des agressions criminelles. Il faut dire qu’il s’en produit rarement. C’est la paix. Larmes ne tonnent plus depuis notre cheikh Bouamama qi avait donné du fil à retordre aux généraux français dont Lyautey, ami d’Isabelle Eberhardt.

On se sépare, Gaston et moi-même. Je reprends seul la route du ksar. Je quitte la eue de France, traverse l’oued à sec. Il est quasiment à sec en ce temps-ci. Seul un filet d’eau coule, sous le pont qui monte raide, comme une falaise inaccessible. Les grenouilles croassent. Leur cri est horrible dans la nuit. La rive sud est agricole : des cultures maraichères, des herbes potagères, de la luzerne, des arbres fruitiers, tels les figuiers, les pommiers, les abricotiers et point de dates. Il n’y en a pas dans le bled. il est plutôt froid, certains géographes qui viennent en mission me disent que notre village est une oasis froide. Sur ma gauche, s’impose la caserne. Elle est immense, abrite un régiment de la légion étrangère, des compagnies de soldats français de souche. Leur chef est un colonel, au  c’était un général, juste avant mil neuf cents trente, qui commandait le territoire du sud d’Ainsefra.

Le chemin monte. La côte est fatigante. A ma gauche, la première entrée de la Redoute, déformée dans le parler pour devenir Laredoud. Cette aile abrite l’école primaire, qui n’arrive pas à concurrencer l’institution Lavigerie, située au village, près du  village Nègre.  A ma gauche, c’est le couvent des Sœurs Blanches.  je n’arrive pas à oublier le drame de Sœur Catherine. Mes pieuses pensées vont à elle. Son histoire est toute récente et suscite une grande sympathie. Où est-elle ? C’est le mystère. Même son mari B l’ignore, raconte-il à ses amis. Il en a beaucoup et donc le  bruit finit par courir. Moi, je dis qu’elle ne mérite pas ce sort. A l’époque, la population, multi ethnique et multi confessionnelle, était bouleversée. Est-elle encore sa femme aux yeux de la loi ? Cela est soigneusement gardé comme secret. En tout cas, monsieur B s’est remarié. L’homme ou vite ses amours et cause bien des déceptions. Heureusement, pour moi, l’amour n’est pas dans mes préoccupations.

Le ksar enfin ! C’est la cité antique, gardée par le blanc mausolée du saint sidi Boutkhil. Les habitations sont toutes ou presque à deux  niveaux ; construites en pierres appareillées. Les ruelles sont étroites et sinueuses. J’emprunte un dédale, très noir à l’heure qu’il est, je débouche sur la galerie de la mosquée, vielle de plus quatre siècles. J’arrive chez moi. Je frappe à la porte, en bois massif, qui ne résonne guère. Ma mère m’ouvre, réveillée difficilement Il est tard, passé vingt deux heures. Je vis seul avec elle. J’ai dépassé l’âge du mariage. Pourtant, je vis seul. La femme ne m’attire pas spécialement. Pourtant, il y de si belles Françaises. Les femmes arabes le sont aussi, néanmoins, recluses entre quatre murs.

J’embrasse ma mère sur le front. Ah, je l’aime, elle. Je lui voue une grande affection, à la limite de l’adulation. On se parle, hélas, si peu. La communication est quasiment nulle entre nous. Les mêmes mots reviennent le matin, le soir, tous les jours. Elle me sert à manger. je mange un peu de couscous quoique je n’aie pas faim. Je fais mes ablutions, ma prière. Je regagne ma chambre, l’unique que je ne partage pas avec ma mère. Je compte mes sous, les mets dans une petite caisse, caché soigneusement dans un caisson en bois pour mes habits. je me glisse dans mon lit : natte d’alfa, tapis, couverture. Je suis bien au chaud. Je fixe le plafond, puis je regarde la lumière de la bougie danser. Je ne pense à rien, je ne rêve de rien.

les vagues poétiques préface Ahmed Bencherif

15 mai, 2020
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Préface

 

 

 

Après deux livres poésie, la grande ode et l’Odyssée,  respectivement poésie d’amour et poésie d’engagement, le présent recueil s’inscrit dans un autre tableau tout à fait différent, une autre logique, une autre perception, une nouvelle essence, un nouveau décor. L’amour est présent. Mais cet amour nous convie, nous parle, nous enchante par la voie miraculeuse et sublime de la femme. Or la femme est un tout, un univers pourvu de ses propres éléments qui émerveillent, nous embarquent aux évasions heureuses, comme par exemple un regard, une caresse…Comme toute poésie, l’aspect romantique y est présent avec force et beauté. La sensualité ne manque pas d’apporter ses aromes suaves et piquants pour tout le plaisir du lecteur. Certains lecteurs la trouveront excessive, d’autres, modérée. Néanmoins, ils la jugeront de bon gout. Y en aurait-il des lecteurs qui la condamneraient ? Mais si je devais m’incliner au souhait de ces derniers, j’en serais frustré, limité dans ma liberté. Justement, Démosthène, l’orateur et homme politique athénien au IV siècle avant l’ère chrétienne consacra cette liberté au poète : « Libre est la race des poètes ».

 

Passion, amour, idéalisation : tout se mêle, se marie avec un mélange succulent au gout, une fresque au regard.  La femme reste l’exclusive figure d’inspiration sous de multiples décors. Elle est chantée dans une oasis, sur la mer, aux ruines romaines, sur un quai, une divinité grecque, une simple passante, caméraman …..

 

Ceci nous amène à nous interroger sur ce couple sublime que sont le poète et l’amour. Le premier mariage du poète se fait avec l’amour. Il est éternel, en permanence ressourcé, rajeuni. Justement, le poète nous fait rêver tout le temps et ce rêve de beauté éclatante, nous l’aimons. Anatole France avait bien situé le peu d’espace qui nous sépare avec le poète : « Les poètes nous aident à aimer ; ils ne servent qu’à cela. Et c’est un assez bel emploi de leur vanité délicieuse ».

 

                                                                                                       Ahmed Bencherif

 

 

 

 

 

 

qu’est-ce que la poésie ? Ahmed Bencherif

15 mai, 2020
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Qu’est-ce que la poésie ?

ou que dire de la poésie ?

par Jean-Michel Maulpoix

 

« Les prétendues définitions de la poésie ne sont, et ne peuvent être, que des documents sur la manière de voir et de s’exprimer de leurs auteurs » (Paul Valéry)

La poésie est mal aimée de la critique. Elle constitue un objet d’étude difficile à cerner, en constante mutation à travers l’histoire, et sur lequel la théorie a peu de prise. Bien qu’elle donne lieu à ces nettes découpes de langue qu’on appelle poèmes, si solidement établis dans leur forme propre qu’on n’y pourrait changer un seul mot, il semble qu’elle refuse toujours de s’enclore. De sorte que parler de la poésie conduit la plupart du temps à tenir un discours mal approprié : trop technique ou trop subjectif. Le théoricien désireux de construire un système rigoureux doit se résigner à une navrante déperdition d’efficacité critique.

Comment, pour la décrire, pourrait-on se satisfaire des formules qui fleurissent dans les manuels, telles que « chant de la nature », « célébration des dieux », « expression des sentiments personnels » ou « dérèglement du langage » ? Ce sont là autant de stéréotypes qui étouffent les enjeux véritables de l’écriture. Sans être tout à fait dépourvus de sens, ils négligent les singularités. L’indéfini y trouve refuge. Par les discours qu’on tient sur elle,  la poésie se voit dissoute dans les généralités, plutôt que placée au centre d’une réflexion cruciale sur le langage.

Les « Dictionnaires de poétique » n’offrent guère pour leur part que des outils qui facilitent l’observation des formes, sans ouvrir de véritable accès à la question du sens… À maints égards, la poésie reste l’orpheline de la critique. C’est plutôt dans l’œuvre même des poètes, sur les marges ou au cœur de leurs poèmes, que des clefs nous sont proposées : les préfaces de Victor Hugo, les lettres de Rimbaud, les Divagations de Mallarmé, les Cahiers de Valéry, la Correspondance ou les Elégies de Rilke, etc…

Il n’existe pas, à ma connaissance, de sérieuse étude des discours critiques sur la poésie. Nulle histoire, à proprement parler, n’en a été écrite. Celle-ci pourtant réserverait d’étranges surprises. On y vérifierait combien les commentaires oscillent entre subjectivisme, mysticisme, spontanéisme et formalisme ; mais on y découvrirait également que la poésie suscite autant de vagues discours que de partis pris tranchants. Tout au long de l’époque moderne, il semble que le fossé n’ait cessé de se creuser entre la rigueur des analyses conduites par les poètes eux-mêmes et le caractère approximatif des propos tenus par la tradition universitaire ou par les critiques de profession. Vague au dehors, dur au dedans, est-il un art qui ait vu autant que celui-là son histoire jalonnée de querelles, de ruptures et de manifestes, ni qui se soit autant retourné contre lui-même ? En procès intense avec elle-même, la poésie doit sans cesse rendre des comptes, s’auto justifier et répondre à la question de son pourquoi.

Les fulminations de Charles Baudelaire ou d’Arthur Rimbaud contre Alfred de Musset, les propos rageurs de René Char contre les « paresseux », la vindicte de Francis Ponge contre le lyrisme élégiaque, le soupçon d’Yves Bonnefoy contre l’image, la radicale mise en cause par Philippe Jaccottet des leurres du poétique, autant d’exemples qui vérifient que la poésie est un terrain d’affrontements, voire un champ de bataille à propos du langage et de ses enjeux…

Cette intransigeance intellectuelle est le fait de poètes devant à tout moment réaffirmer bien plus que leur conception de l’art qu’ils pratiquent ou leurs partis pris esthétiques : c’est leur raison d’être même qui est en cause. Parce qu’ils touchent à la langue. Parce qu’ils y nouent le subjectif et l’objectif. Parce qu’ils prennent le risque du mensonge et de l’illusion. Parce qu’ils font souvent parler les choses inanimées et les morts. Parce qu’ils se tournent vers autre chose, sur quoi la raison n’a pas prise.  Parce qu’ils se laissent conduire par la chair et écrivent sans autre contrôle que celui de leur propre vigilance…

Une fois reconnus ces enjeux que l’époque moderne a mis en pleine lumière, il n’est pas étonnant que la poésie se dérobe à toute définition… Son objet n’existe que dans le travail même qu’elle accomplit, tel une cible mouvante que chaque poème localise à sa façon sans l’atteindre jamais. Nul ne peut prétendre définir la poésie, si au sens strict cela consiste à en dégager l’essence, et donc à dire ce qu’elle ne peut pas ne pas être. L’écriture poétique a pour principe de toujours passer outre : il s’agit de « brûler l’enclos », affirmait René Char.

Pourtant, il est aussi dans la vocation de la poésie de travailler sans cesse à se définir, se redéfinir. Ainsi que l’écrit Michel Deguy : « l’inquiétude de la poésie sur son essence habite la poésie dès son commencement grec. » Elle est étrangement ce travail à la fois aveugle et inquiet du langage qui ne peut que chercher toujours à en savoir plus sur ce qu’il fait et sur ce qui se joue en lui. À travers les propositions formelles du poème, elle remet à la fois la langue en jeu et sa propre existence en question.

Margueritte revisitée 26 a vril 1901. Ahmed Bencherif

10 mai, 2020
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Climat insurrectionnel

 

 

Quelques jours plus tard, l’ambiance était multiforme au marché des fruits et légumes. Des fellahs, des laitiers et des montagnards vendaient leurs produits dont ils vantaient les qualités, en chantonnant indéfiniment, en interpellant chaque passant, en l’accrochant quelques fois. Astuce, savoir faire, manque de dignité ? C’était la coutume des ambulants, acquise au fil du temps dont ils tiraient le plus grand profit, sans état d’âme et sans complexe. Leur lexique était si recherché que d’aucuns n’y restaient insensibles. Il était soigneusement élaboré, richement imagé, malgré l’indigence intellectuelle de ses promoteurs ou de ses utilisateurs : « glands chauds pour les nuits d’hiver, herbes potagères pour la ménagère, plantes médicinales de virilité ». Les vendeurs étaient charmants, sympathiques, souriants en permanence. C’était leur caractère naturel qui leur permettait de commercer en plein air, dans la confusion des bruits, avec des clients diversifiés, peu exigeants, marrants qui complétaient ce décor burlesque unique.

 

Une peau blanche était là. Elle emplissait son petit couffin en osier qu’elle portait au bras : persil, radis, poireaux. Mais, elle se pavanait, se dandinait, promenait sa belle croupe plantureuse, exhibait les deux grappes rondes et pointues de sa poitrine, souriait malicieusement, faisait l’œil doux ou dardait de son regard, mâchait ses lèvres. Les hommes la suivaient des yeux, ne la quittaient pas, restaient suspendus à ses attraits, s’imaginaient avec elle, dans son petit studio qu’elle occupait dans une petite rue discrète du village. Elle incarnait la sensualité ce dont chacun en raffole ici-bas, elle faisait oublier la notion du péché, le jour de la résurrection. Chaque partie de son corps envoûtait et si les oiseaux avaient une capacité d’assimilation, ils s’y percheraient, la croyant un succulent mûrier.

 

Lolita, c’était son nom, un nom facile à prononcer, à retenir, comme de l’eau, trois syllabes qui sortent de la bouche comme un chant mélodieusement passionnant, s’insinuent à travers l’intelligence, se logent dans l’instinct, enflamment le désir, font bondir l’agonisant sur son séant. Elle était jolie, pleine et vivait amoureusement son trentième printemps. Elle s’installa depuis six mois dans le village et faisait fructifier, dans sa loge, son unique capital, son trésor caché. Elle sélectionnait ses partenaires et, pour sauver les apparences, fixait des rendez-vous, au lieu de se faire accompagner. Elle croisa Hamza qui circulait entre les allées. Elle le vit pour la première fois et l’eut dans sa chair. Elle s’arrêta en face de lui, posa sa superbe forme, cligna de l’œil. Il l’ignora, passa son chemin.

 

Hamza continua sa petite vadrouille et vit, dans la petite foule, son ami, Mabrouk, occupé à vendre des glands. Il le rejoignit aussitôt, content de masquer la gêne  qu’avait laissé en lui Lolita. Les deux jeunes gens se saluèrent amicalement, s’interrogèrent des yeux sur leurs préoccupations d’avenir et dirent en même temps : « Et alors ? ». La question resta sans réponse. Ils comprirent qu’il n’y avait rien de neuf. « Cette fille est un scorpion, au venin mortel, dit Mabrouk. Elle ira tout droit en enfer avec tous ceux qui tombent sous son hypnose et partagent sa couche ». Son voisin intervint sans être convié et dit : « C’est une jument qui s’emballe en piste ». L’allégorie significative révolta Mabrouk dont les traits se durcirent et les yeux giclèrent du sang.

 

- Quelle impudeur, dit Mabrouk. Quelle mauvaise éducation ! Tes paroles pécheresses te mèneront dans les chaudrons de la géhenne ; tu es homme corrompu par le diable.

 

Sa réaction prompte et vigoureusement moralisante sidéra le voisin. Celui-ci comprit machinalement qu’il avait à faire à l’un de ces gens bornés qui s’abreuvaient d’un Islam pur, à ses premières origines, et qui croyaient que l’humain devait se comporter en ange, ignorer ses désirs, bloquer les sphères de son imagination, taire les pulsations de son cœur, soit vivre dans un monde vertueusement idéalisé. Il savait que ces apprentis soufis ne comprenaient pas grand-chose ni à la religion, extrêmement tolérante, ni à la vie et renonça à lui montrer le semis de sa colère.

 

Hamza ne fit aucun commentaire, par crainte de jeter de l’huile sur le feu entre les deux antagonistes dont il ne pouvait prévoir les réactions. Il ne tenait pas à arbitrer une épreuve entre l’intolérance aveugle de l’un et la passion débridée, de l’autre. Les deux personnages manquaient d’éducation, la plus élémentaire : Mabrouk s’incarnait en censeur de mœurs avec brutalité, le voisin avait fait irruption dans une discussion sans être convié. Il dit calmement à son ami que la nature des hommes était complexe. En rencontrant son ami, Mabrouk n’avait plus envie de faire encore le marchand de fruits forestiers. Il ramassa deux ou trois tas de glands invendus et les mit dans son sac. Il l’offrit à Hamza et le pria de l’accepter, en soulignant que tous les gosses en raffolaient. Le modeste présent fut accepté  sans formalisme.

 

Les jeunes se retirèrent à l’écart pour discuter librement de leurs préoccupations. Mabrouk était moins enthousiaste que la dernière fois : l’action future était gigantesque et lui paraissait quasiment impossible. Il dit que la voie du baroud était semée d’embûches et de danger. Hamza le regarda avec perplexité et lui demanda s’il se rétractait. « Me rétracter, moi, répliqua-t-il ? » Il ne se rétractait pas ; la préparation matérielle s’avérait ardue et longue, exposée à de multiples aléas. Il n’avait pas flanché ; il doutait du succès de leur entreprise qui lui semblait suicidaire. Il s’agissait d’acheter clandestinement des armes à feu qui transiteraient par des frontières étroitement surveillées par la cavalerie.  Hamza le rassura en disant que les fournisseurs travaillaient aussi dans l’anonymat total, reliés les uns aux autres par une longue chaîne qu’il était difficile de remonter. Il ajouta qu’il faudra prendre contact avec les gens de Oued Souf qui ramenaient des articles prohibés, tels que les journaux égyptiens ou tunisiens qu’il avait l’habitude d’acheter à Meliana.

 

- Puisque tu dis que tout se passera bien, commençons à travailler au plus tôt, dit Mabrouk. Tu devras d’abord connaître les adeptes de la confrérie religieuse et je te propose de venir chaque vendredi prendre part à la cérémonie religieuse.

- Oui, je viendrai sans faute. A plus tard.

 

Hamza repartit. Son projet nécessitait de l’argent et beaucoup. Comment ? Il n’en savait que trop. Travailler comme saisonnier dans les fermes coloniales. Il préférait crever que de servir des sangsues, des tyrans. Au magasin ? Le courant ne passait pas bien avec Slimane. Rien ne dit qu’il recevrait un bon salaire. Travailler au commerce familial ne garantissait pas une bonne solde. Il se creusa la tête et trouva finalement le créneau qui lui offrait une opportunité exceptionnelle. : monter un élevage. Cela demandait beaucoup d’argent, des écuries et un berger. Il réfléchit longuement et pensa enfin à Aissa, le berger du père. Restait l’argent. Simple comme bonjour : il emprunterait la grande partie à sa grand-mère qui se ferait un plaisir de lui avancer une grosse somme ; pour le reste il demanderait à son père. Son affaire ainsi conçue avait beaucoup de chance d’aboutir.

 

Il passa par la place de la République où le hasard l’avait piégé : il y rencontra Pauline, chose qu’il redoutait tant. Elle sortait du bazar, encombrée de quelques colis qu’elle portait dans les bras. Il lui dit bonjour d’une voix anxieuse. « Ah ! Hamza, dit-elle, terrassée par l’émotion ». Elle ne dit pas un mot de plus, lui non plus d’ailleurs. Un paquet glissa entre ses mains et tomba. Il le ramassa, le garda, prit les autres colis qu’elle portait. Ils reprirent la route, traversèrent la place, continuèrent à marcher, poussés par une force extraordinaire, attirés par une autre, tout aussi extraordinaire.

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