Colère
Libérez la fureur de vos cœurs tourmentés !
L’audace vit en vous jusqu’à la fin des temps.
Le fusil, le sabre sont votre liberté
Allumez la poudre ô guerriers d’antan !
Gronde le tonnerre et s’abat la foudre !
Ton courroux est plus vif, pourfends ton ennemi
Laisse-le paniquer, pousse-le à geindre
La terre fertile, récolte ton semis
L’heure annoncée par l’oracle pointera
Seuls de gros nuages cachent notre soleil
Le messie justicier parmi nous surgira
Notre moisson sera faite de vermeil
L’Allemand a vaincu le Roumi à Sedan.
Son déclin a sonné, sa fin est proche
Prépare le bûcher, le brasier ardent
Fête l’évènement, allume les torches.
Fellah, petit agent ! Ecoutez votre cœur
Qui ne cesse de battre, vous dit de vous battre,
Reste froid aux ordres, muet à la douleur
Résiste aux brimades, déjoue les cabales,
Vous somme de serrer les dents et le ventre,
Vous fait entendre le son des cymbales,
Présage la gloire, indique la montre.
Colonisé ! Secoue la poussière du sol,
Va au-delà de tes peurs, le fusil ne tue pas,
Le destin décrète l’arrêt des jours en bémol
Sans moindre préavis et sans aucun appât.
Prends gourdin et la faux, car viendra le fusil. ,
Sème d’abord la peur, puis tu feras mal,
Tu donneras la mort avec de vraies balles,
N’en rougis point, car tu manques de blé et de riz.
Ecoute le ciel gronder et montrer sa fureur,
Se couvrir de couches nuageuses noires
Les unes opaques sans ternes couleurs
Vrombir de tonnerre du matin jusqu’au soir,
Se fendre par les jets de foudre aveuglante
Qui descend jusqu’au sol et provoque le feu,
Décharge ses chocs, tue toute vie naissante
Exposée sur sa voie et dont elle ne veut.
Mais tous ces éléments déchaînés portent en pli
Un nouveau semis riche d’organismes vitaux
Qui greffent la terre bien tombée dans l’oubli,
Asséchée au tréfonds jusqu’aux petits canaux.
Fais comme eux et laisse la fureur te gagner,
Ta voix tonner partout dans les prés et les rues,
Dans les bourgs et villes, dans les citadelles,
Les forts et contreforts, les places bien soignées,
Ta main frapper sans clémence, ni pitié
Provoquer l’incendie ravageur et embrasant,
Arrêter l’ennemi, le juger et le châtier
Pour ses crimes commis au passé et au présent.
Jocelyne ! Tu verras le saint dragonnier,
Au bord de l’oued, dans un nid de roseaux
Veillé par la koubba du santon altier,
Dont le lit se draine parmi les vaux.
Sur l’aire spacieuse, de forme ronde et nue,
Au milieu des jardins, ébruités de paysans,
Fournis de légumes et de fruits charnus,
Cultivés de choux verts, conquis de liserons,
Au bord de l’oued en face da la marre
Située au pied de la haute falaise,
Croit l’arbre vénéré depuis un millénaire,
Fourni abondamment de petites fraises
Sur les cimes fleuries comme un bouquet géant,
Tel un gigantesque parasol suspendu
Sur le fut énorme formé d’un trou béant
Par plusieurs racines marron clair et tordues.
Des femmes fragiles viennent s’y recueillir,
Font leur pèlerinage autour de la sainte
Incarnée par l’arbre sans aucun souvenir,
Vivant en mémoire sans d’autres empreintes
Que le henné teinté deux fois par semaine
Avec un bel amour stoïque et profond,
Ou de petits foulards noués aux racines,
Ou bien encore des morceaux de charbon.
Elles sont deux ou trois à venir sans enfants
Du village nègre qui fête le taureau
Chaque année à la fin d’octobre gémissant
Par un groupe d’hommes coiffés de callots,
Ivres de musique et souvent en transe,
Par les chants religieux sur fond de sons cuivrés
Des castagnettes tendres et les résonances
Des tambours, à la main habile, ouvragés.
Elles sont possédées par de mauvais esprits,
De jambes amorphes, les yeux noirs distraits,
A la voix sans timbre et le teint fort blêmi
Par une névrose qui amoche leurs traits.