Cassure
C’est un clair de lune propice à ma langueur
Dont les ondes s’élèvent au ciel constellé,
Faisant geindre les pulsations de mon cœur
Pris au carrefour des adieux hélas scellés.
Tristement, il y pleut d’abondantes larmes,
Comme les embruns d’un soir d’hiver en mer,
Qui noient la barque en péril par les lames
Qui s’y brisent sous la furie des flots amers.
Ainsi la barque de nos amours naufragée
Aura pour destinée les noirs abysses,
Sans rivage d’issue pour enfin abréger
A rien la romance sans voir les prémices.
Pourtant cet horizon assemblait les deux bleus :
L’indigo de la mer et l’azur du ciel
Baignés par le soleil sans filet nuageux,
Comme une merveilleuse aquarelle.
Dans nos jardins d’amour, sans cesse cultivés
Par l’art poétique, arrosés de douceur,
S’exhalaient les senteurs par la brise levée
Aux primes aurores, au couchant en rousseur.
Oublions nos stances et leur ruissellement,
Les appels de nos cœurs encore enflammés,
L’alchimie de l’amour qui brûle ardemment,
Nos instincts débordants sans cesse déclamés.
Le temps fera œuvre d’érosion sur la roche,
Prise inlassablement dans sa meule d’airain,
Comme il viendra à bout de l’immense torche
De ce fruit défendu que réprouvent les saints.
Triste fin jamais pressentie pour ce roman
A deux acteurs, amants trahis par le destin,
Enjoints par la raison à rompre sciemment,
Intimés à noyer leur chagrin dans le vin.
La longue période de paix et de prospérité, entamée au lendemain de la guerre de 1871, est brutalement remise en question par ce coup de fusil du 26 avril 1901. La colonie jouit de bienêtre et bénéficie de l’opulence la plus outrancière, en ce sens qu’elle est accaparée par les bâtisseurs des propriétés agricoles arrachées par divers procédés extra-légaux, sur la misère des maitres du sol de jour en jour refoulés. La révolte de Margueritte vient à point nommé rappeler que ce peuple n’était pas mort, que sa vengeance était terrible, que sa détermination pour recouvrer sa liberté était sans équivoque. Son mérite premier était le transfert de la peur vers le camp ennemi, en l’occurrence les autorités coloniales et les colons. L’insurrection remet le débat avec force sur l’insécurité générale qui prévaut dans la colonie. Il existe une grande agitation au niveau des cafés maures et des marchés forains et dans les rues même, essentiellement des rixes soit entre les indigènes eux-mêmes, soit entre les indigènes et les colons. Souvent, elle est qualifiée d’atteinte à l’autorité ou ses représentants, l’administrateur, le maire ou encore l’agent de la paix.
La sécurité est surtout l’œuvre d’une législation qui renvoie directement à la dialectique du conquérant en pays conquis. Le premier a tendance à échapper au Droit pour réprimer les délits les plus anodins et à tout ce qui touchait à sa souveraineté, ainsi que sur les biens et les personnes. Le second a tendance à méconnaitre cette autorité. Il prend acte de l’occupation coloniale de facto et rejette le fait colonial. Il est certes dominé et récuse de faire sa soumission. Sa résistance armée était héroïque en termes de sacrifices, légendaire dans la durée. Après quarante ans de lutte, elle était épuisée. Puis, vint l’opposition pacifique qui se concrétisait par le refus des politiques assimilationnistes, sous toutes leurs formes en faisant pression sur tous les éléments qui auraient été tentés pour l’adopter. Le plus important résidait dans le fait que le peuple couvait sa vengeance pour recouvrer son indépendance. Les réunions et les lamentations continuaient d’accompagner cette société privée de tous les droits humains.
Pour obtenir la sécurité, il faut évidemment une politique ou un arsenal juridique répressif. Ainsi dès l’année 1834, la justice répressive était exercée par les commandants militaires ou leurs adjoints. En 1844, le maréchal Bugeaud, alors gouverneur militaire établit une liste de délits susceptibles d’être commis par les sujets musulmans et les peines qui doivent être appliquées. Ce pouvoir répressif demeura aux mains exclusives des commandants jusqu’en 1860 où furent instituées des commissions disciplinaires, elles aussi sous l’autorité des militaires. L’avènement du régime civil en 1870 ouvrait une nouvelle voie dans la justice répressive :
Le juge de paix à compétence étendue
Le juge de paix est en charge des affaires civiles en plus de l’application des peines aux diverses infractions commises par les indigènes, lesquelles ne sont ni prévues ni réprimées dans le Code pénal français. Cette juridiction fut instituée par le décret du 19 août 1854 qui a créé le juge de paix à compétence étendue, en raison, dit-on, du vaste territoire du canton. Ce magistrat exerçait la justice répressive dans les communes de plein exercice, auxquelles étaient rattachés plusieurs groupements de douars pour leur assurer d’importantes recettes fiscales pour le fonctionnement de leurs budgets respectifs. Cette compétence étendue signifie qu’elle le sera à d’autres localités qui ne relevaient pas au départ de sa juridiction. Il connaissait des affaires commerciales, personnelles, civiles entre les indigènes eux-mêmes ou entre les indigènes et les colons. Il assumait les fonctions de président du tribunal en première instance comme juge de référé en toutes matières et peut ordonner toutes mesures conservatoires.
La réunion du premier congrès musulman
La préparation du Congrès avait été largement médiatisée. Les masses s’y intéressaient fort bien. Pauvres et analphabètes, elles espéraient voir enfin améliorer leur niveau de vie, voir leurs enfants accéder aux écoles et apprendre à ire et à écrire l’arabe, puis le français. Les élites espéraient gagner des échelons, souhaitaient entrer dans les bonnes grâces de la France coloniale. Tous convenaient discuter de l’égalité des droits entre Algériens musulmans et français. Ils se leurraient cependant et donnaient de faux espoirs à leurs sympathisants. Car, cette revendication, qui était la clé de voute de la coexistence, était de longue date revendiquée par les Indigènes et combattue avec acharnement par les colons, qui s’ils venaient à l’accepter, ils perdraient le pouvoir en vertu du jeu démocratique, basé sur le principe électoral.
Dans chaque ville et chaque village, des comités de chaque mouvement politique, social ou culturel avaient été créés pour désigner leurs représentants au Congrès et cela avec la bénédiction du gouvernement du Front Populaire qui espérait rattacher l’Algérie à la France ou en accordant aux musulmans le statut de citoyen tout en conservant leur statut personnel. Le 7 juin 1936, le Congrès était convoqué au cinéma Majestic à Alger. Les délégués s’étaient réunis. Ils représentaient les Elus, les Notables, les Oulémas, les Communistes. Ce parti politique marxiste qui se prétendait d’obédience musulmane était d’un anachronisme certain. Car, il lui était illusoire de parvenir à conclure un accord politique avec les autres formations, principalement celle des Oulémas. Les délégués de l’Etoile Nord-Africaine participaient également. Cependant, leur identité avait été dissimulée pour éviter un discours radical des revendications. De surcroit, ils n’avaient pas droit à la parole, une idée des communistes, partagée également par les Oulémas. Certains d’entre eux siégeaient pourtant aux commissions, tels que Mestoul, Mezrana, Bouras.[1]
La liste des orateurs avait été minutieusement sélectionnée. Tous restaient fidèles à un discours consensuel entre les différents courants assimilationnistes qui ne devait ni offusquer les autorités coloniales ni éveiller leurs soupçons sur des visées indépendantistes. L’honneur avait été pour le socialiste, l’instituteur Benhadj, puis le communiste, Boukort, puis l’élu, Ferhat Abbès, puis le Dr Saadane, défenseur des Territoires du Sud. Puis, ce fut au tour des Oulémas, tels qu’El Okbi et Ben Badis. Tous les orateurs tenaient un discours de rattachement pur et simple, en revendiquant, toutefois, la suppression des rouages spéciaux. A la clôture de ses travaux, le Congrès adopta six résolutions :
1) la suppression des lois d’exception.
2) le rattachement pur et simple à la France, avec suppression des rouages spéciaux
3) le maintien du statut personnel
4) l’instruction obligatoire
5) A travail égal, à salaire égal, à mérite égal, grade égal.
collège électoral avec représentation au Parlement
[1] Mahfoud Kaddache op.cit, T1 p427