Conclusion
Les relations du Maroc avec les puissances européennes n’avaient jamais été durables. Elles furent nouées ou dénouées en fonction des guerres que se livraient ces mêmes puissances entre elles-mêmes. Les sultans tenaient à rester dans un isolement avec les autres Etats de l’Afrique-du-nord et de l’Europe. Ils craignaient, comme nous l’avions évoqué plus haut, une ouverture sur le monde, qui selon leur perception des choses, aliénerait leur indépendance et saperait leur autorité. De plus, ils refusaient l’émancipation de leurs populations, qui acterait leur libération de l’esclavage dans lequel elles étaient soumises depuis des siècles de cet empire. A propos d’empire, des voix marocaines se targuent que leur pays en fût un. Il en était non pour son importance et sa grande superficie qui était de de 300.000km2, mais pour les quatre ou cinq petits Etats qui le formaient, chacun de la taille d’une province.
Sa capitale avait été successivement Marrakech et Fez. Cette dernière avait été choisie par les chérifiens Alaouites. Ils refusaient l’implantation des Légations et leurs représentants dans leur capitale qu’ils préféraient activer à Tanger. C’était certainement une aberration. Pire, les sultans avaient toujours cette phobie de l’élément étranger qui introduirait sans coup férie de nouvelles idées de bien-être, de libération des échanges commerciaux, de diffusion de l’instruction publique etc…
Le premier sultan qui commençait à s’intéresser à cette civilisation européenne était le jeune sultan Abdelaziz au début du vingtième siècle, en tenant la compagnie de quelques initiateurs des puissances étrangères. Il faillit perdre son empire et fut, de ce fait, obligé de les renvoyer. Sa capitale, Fez, était sur le point de fomenter une rébellion contre sa monarchie.
A l’intérieur du pays, c’est le perpétuel recommencement des guerres pour le pouvoir entre les prétendants, le pillage et le brigandage à large échelle et de grande nuisance. C’était l’insécurité pour tous, souverains comme sujets. Pourtant, le pays ne manquait pas d’intérêt pour les puissances européennes. L’Espagne et la France en étaient des pays frontaliers ; l’Allemagne et la Grande-Bretagne commerçaient avec lui et bien d’autres encore. Le détroit de Gibraltar lui donnait toute cette sollicitude. Il était le plus fréquenté au monde et de ce fait, les nations se surveillaient les unes les autres.
Cependant, la France, plus que les autres puissances, portait un intérêt majeur pour le Maroc. L’Algérie, colonie française, était aussi une destination favorite pour le Maroc. En effet, elle était représentait pour ce royaume un gros marché de travail. Chaque année, trente mille travailleurs marocains y venaient pour moissonner et vendanger. En cas de luttes intérieures, cette main-d’œuvre ne pourrait pas venir travailler. De ce fait, la question de la pénétration du Maroc était posée et il avait fallu négocier avec toutes ces puissances qui y avaient de gros intérêts. Il fallait aux négociateurs français de dissuader chacune d’elles de s’y installer. Le cas échéant, la France algérienne serait en péril et pour la défendre contre quatre millions d’indigènes algériens, il aurait fallu y déployer des troupes de deux-cent-mille hommes, ce qui serait un péril national, selon l’auteur de ce texte, M Peyreigne. Dans ce sens, M Delcassé déclarait le 12 avril 1904 :
« Le Maroc placé sous notre influence, c’est notre empire du Nord de l’Afrique fortifié ; soumis à une influence étrangère, c’est pour le même empire, la menace permanente et la paralysie ».
L’anarchie croissante dans le sultanat avait influé négativement sur les échanges franco-marocains dont le montant avait régressé sur quatre années consécutives : seize millions en 1901, onze millions en 1902, dix millions en 1903, sept millions en 1904.[1]
En conclusion, la France jugea urgent de s’engager dans une voie pour instaurer un protectorat au Maroc, pays arriéré dont les populations vivaient quasiment à l’état barbare et dont les sultans se préoccupaient essentiellement de préserver leur trône, en mettant toujours en avant leur statut de chérifs, détendeur du pouvoir spirituel que craignaient leurs sujets. Moulay Ismail, qui gouverna en tyran pendant, cinquante ans, disait à ses victimes qu’il tuait ou dépouillait, qu’elles iraient au paradis et cela fonctionnait dans l’esprit de cette communauté archaïque, élevée dans la haine du chrétien, l’impie.
C’est le dernier article de cette série ‘les influences européennes’. Nous allons entamer la conquête du Maroc et sa soumission au protectorat par la France.
[1] Peyreigne’Les influences européennes page 171’
Conférence d’Algésiras 15 janvier 1906
Protocole du 28 septembre 1905
L’Allemagne et le France sont des acteurs clés dans les affaires politiques et économiques du Maroc. Leur rôle respectif est prépondérant et leur influence sur le sultan Abdelaziz est immense. De même, ils se livrent une concurrence acharnée. Chacun pays essaie de se tailler la part du lion, quand le Maroc se confine dans un cadre d’observateur, sans pouvoir infléchir les ambitions de tel ou tel autre prétendant. Les deux puissances européennes en question entament des négociations marathon toute l’année 1905 pour concevoir une politique de réformes politiques, militaires, économiques au Maroc. Finalement, ils adoptent un programme le 28 septembre 1905, contresigné à Paris, du côté français, par M Roumier, Président du Conseil et ministre des Affaires étrangères, du côté allemand, par le Prince de Radolin, Ambassadeur d’Allemagne à Paris. Les deux parties se mettent d’accord pour signifier leur programme au sultan, en conformité des principes retenus lors des échanges de lettres du 8 juillet précédent.
I Police
II Réforme financière
« Concours financier donné au Maghzen (Makhzen) par la création d’une banque d’Etat avec privilège d’émission, se chargeant des opérations de trésorerie et s’entremettant pour la frappe de monnaie, dont les bénéfices appartiendraient au Makhzen.
La banque d’Etat procéderait à l’assainissement de la situation monétaire.
Les crédits ouverts au Makhzen seraient employés à la solde des troupes, de police et à certains travaux publics urgents, notamment à l’amélioration des ports et de leur outillage.
III Impôts
Etude d’un meilleur rendement de l’impôt et de la création de nouveaux revenus.
IV
Engagement du Makhzen de n’aliéner aucun des services publics au profit d’intérêts particuliers.
Principe de l’adjudication, sans exception de nationalité pour les travaux publics ».
Les ministres français et allemands recommandent le 17 octobre de la même année d’accepter le protocole du 28 septembre et le 25 du même mois, le sultan Abdelaziz y adhéra. Le 1er décembre, l’invitation est lancée aux signataires du protocole de Madrid et des nations qui y adhérèrent de se faire représenter à la Conférence d’Algésiras qui allait se tenir. Celle-ci s’ouvrit le 15 janvier 1906, sous la présidence du duc d’Almodovar, ministre d’Etat espagnol.
Il n’est pas fortuit de souligner que ce protocole a été initié et conçu par des puissances étrangères et soumis au sultan Abdelaziz pour validation. Quels étaient ses objectifs ? Le sultan Abdelaziz était prisonnier de ses coutumes ancestrales et se complaisait de son peuple arriéré et ignorant, en affichant une phobie notoire de l’autre, ce chrétien, avec lequel il ne devait pas traiter, ni développer des amitiés. Néanmoins, cette conduite était contraire à l’esprit et à la lettre de la religion musulmane. Ce qu’il craignait en fait, comme tous les sultans qui l’avaient précédé, était d’un tout ordre vraiment machiavélique. Il ne voulait pas s’approcher des nouveaux détendeurs de la civilisation par risque de voir leurs populations s’émanciper. Tous les sultans du Maroc étaient contre la diffusion de l’enseignement. De ce fait, ils gardaient la société dans l’ignorance et dressaient une barrière infranchissable contre les soubresauts populaires potentiels. Ils craignaient la disparition de la monarchie marocaine et se devaient-ils d’éviter les soubresauts populaires qui la renverseraient.
Cette philosophie existentielle de la monarchie marocaine a été bien assimilée par les puissances européennes. Elles devaient la prendre en considération. Mais, comment allier le modernisme à l’archaïsme ? Le vingtième siècle apportait ses règles institutionnelles et de gestion : la démocratie, la république, le suffrage universel, les contradictions de classe, le capitalisme, le socialisme. La réponse occidentale était de moderniser le pays et garder le sultanat sous sa coupe ou de manière plus langagière sous sa tutelle invisible. Ce protocole état le prélude à la conquête du Maroc qui devait commencer deux ou trois ans plus tard. Et par qui ? Par la France qui avait jeté son dévolu sur ce pays sans se lasser. Elle usait de diplomatie et de persévérance incroyables.
Nous entamerons l’étude élémentaire de cette conquête qui mènera au protectorat du Maroc par la France et nous verrons alors que le cheminement était logique. Nous verrons aussi, si elle a été violente ou non longue ou brève et si en face, il y avait eu une résistance farouche ou molle, longue ou courte, contrairement à ce qui s’était passé en Algérie, pays voisin. La Conférence d’Algésiras mettra inéluctablement fin aux influences européennes pour place à la France.
Dans les diverses conventions commerciales conclues au dix-huitième siècle, entre le Maroc et les nations européennes, le principe de la liberté du commerce a été affirmé. Cependant, les taxes étaient à l’entrée et à la sortie étaient fixées selon le bon vouloir des sultans qui se succédaient. Les nations européennes pouvaient vendre au Maroc les produits qu’elles souhaitaient, il leur était interdit d’importer des armes, des munitions de guerre ou de chasse, du souffre, du salpêtre, de la poudre. Pourtant, le Maroc n’en produisait pas. Cette interdiction lui permettait de rendre vaine toute tentative de rébellion armée qui pourrait souffler leur trône et renverser le mode de gouvernement. Leur politique dans ce domaine était légitime, comme le ferait tout autre gouvernement. D’un autre côté, ils interdisaient les exportations de blé, pour économique et religieux. Ils pensaient que les exportations feraient augmenter les prix et générer des pénuries occasionnant des famines. Ils craignaient que le développement économique de leur pays avec les nations chrétiennes leur ôtât la possibilité de rester isolé du monde chrétien. Une simple appréhension qui n’était fondée sur rien. Puisque tous leurs sultans avaient de concert avec telle ou telle nation comploter contre l’Algérie, notamment à l’époque de l’Espagne chrétienne dont n’avaient réchappé ni le Royaume de Tlemcen, ni la Régence d’Alger, c’est-à-dire la république algérienne, instituée depuis 1630 que l’on nommait de ce titre que sur le bout des lèvres, que les ouvrages historiques citaient cependant.
A la suite du Traité germano-marocain en 1890, Moulay Hassan autorisa l’exportation de blé et d’orge en 1891, moyennant une taxe de 2, frs 50 centimes pour un Cantar, soit 54 kg. Cette autorisation fut appliquée pendant trois ans et à la fin 1883, les cérales furent une nouvelle fois frappées d’interdiction. Son successeur, Abdelaziz, autorisa de nouveau la sortie de produits en 1891. Depuis cette date, les céréales étaient exportées régulièrement. S’ajoutaient les pommes de terre, les tomates, les bananes, les pois verts. Cette liste s’était élargie aux huiles, aux armes de Marrakech et de Tétouan, aux cuirs de Tafilalet, aux maroquins ouvragés, des tissus de laine de Fez, des tapis de Rabat et de Salé, des broderies sur velours, de l’orfèvrerie, de la poterie, de la faïence peinte, des bijoux de femme, des bestiaux.
La France exporte du Maroc des huiles d’olive, du bétail par l’Algérie, de la cire, des peaux, de la laine, des pois-chiches, des amandes, du cuir.
Elle importe des soieries, des semoules, des allumettes, des farines, du sucre, du papier, des bougies, du bois de construction, du fer, du café.
Elle exporte des lentilles, de la gomme, de la laine, des citrons de fève, des amandes, tous les comestibles et l’eau pour Gibraltar.
Elle importe des bougies, des cotonnades, du thé de Ceylan, du papier, de l’acier, des conserves, de la bière allemande (Lager).
Elle exporte des peaux, des œufs, de la laine, de la cire.
Elle importe de la quincaillerie, du papier, du satin, des draps, de la bière, de l’alcool de grains, de l’horlogerie, de la verrerie.
Elle importe des bougies, des briques, des tuiles, de la porcelaine, de la faïence, du sucre, du fer.
Elle exporte du bétail, des pois-chiches, des œufs, de la cire, du maïs.
Elle importe très peu de produits.
Le commerce européen avec le Maroc avait varié entre 110 et 78 millions de francs dans les années qui précédèrent la Conférence d’Algésiras. Le tableau suivant illustre bien cette concurrence entre les principales nations qui commerçaient avec le Maroc. Les chiffres sont exprimés en millions de francs.
pays 1901 1902 1903 1904 1905
France et Algérie 38 33 35 30 36
Angleterre 36 43 45 39 23
Allemagne 7 9 10 11 7
Espagne 11 9 11 10 9
La lecture de ce tableau montre la stabilité des échanges commerciaux de la France et la régression des trois autres nations qui la concurrençaient. Sa prédominance fut réalisée en 1905, tandis que l’Espagne commençait à s’effacer de la scène internationale.
Le vingtième siècle sera bénéfique pour le Maroc dont les sultans avaient compris tout l’intérêt qu’ils pouvaient tirer avec les nations européennes. Ils avaient en effet assoupli les taxes à la production qui était jusque-là exagérées et de ce fait elles obligeaient les Fellahs maures ou arabes à laisser leurs domaines agricoles en friche. Ces superficies abandonnées atteignaient les deux tiers de la superficie du pays. L’internationalisation statutaire de la ville de Tanger avait permis cette mutation en douceur. Néanmoins, les deux tiers de la population restaient indomptées et vivaient quasiment dans l’anarchie. Le budget des dynasties régnantes était excessif et leurs dépenses étaient extravagantes. De ce fait, elles recouraient à surimposer leurs sujets et les soumettaient à une surpression fiscale intenable.
Le courrier postal avait aussi posé un réel problème aux Légations étrangères avec leurs gouvernements, à leurs ressortissants et à leurs relations avec les autorités locales. Il n’était pas seulement défaillant, voire inexistant. Aussi, les nations les plus influentes avaient-elles établi leurs propres réseaux postaux. Elles sont énumérées selon leur importance, comme suit : la France, l’Allemagne, l’Espagne et l’Angleterre. Leurs services étaient installés à Tanger. La France occupait la première place, au niveau de son étendue et de son importance de ses relations. Son réseau desservait quatorze villes et assurait le recouvrement des effets de commerce, ainsi que le transport de certaines marchandises. Seul le réseau allemand la concurrençait avec une couverture de dix localités. Puis venait en troisième place, le réseau espagnol. Il desservait sept localités sans grand trafic. Puis, enfin l’Angleterre.
La France
Ses services postaux fonctionnaient, selon le modèle français officiel d’administration des Postes et Télégraphes. Les lettres du Maroc à destination du Maroc étaient astreintes à une taxe de dix centimes. La Recette principale était implantée à Tanger. Ses recettes ordinaires étaient implantées à Ksar El Kébir, Fez, Larache, Rabat, Casablanca, Mazagan, Safi, Mogador et Tétouan. Elles avaient cinq bureaux auxiliaires à Fez-Mellah, Méquinez, Arzila, Salé et Markech.
Trois lignes principales assuraient les relations et partaient de Tanger. Deux autres annexes les renforçaient. Le service du Courrier était structuré en trois zones :
- Le Courrier de la Côte. Il était le plus important. Il desservait Arzila, Larache, Salé, Rabat, Casablanca, Mazagan, Safi, Mogador. La moyenne du trajet était de sept jours et demi.
- Le Courrier de Fez, Méquinez était assuré en trois jours. Il partait de Tanger à Fez et desservait Ksar El Kébir, Fez-Mellah. Il arrivait à Méquinez le quatrième jour.
- Le Courrier de Tétouan faisait seize heures de trajet entre Tanger et Tétouan.
- Les deux lignes annexes desservaient l’une Larache à Ksar El Kébir en cinq heures, l’autre, Marakech à Mazagan en quarante-huit heures.
La Poste française assurait en plus des lettres, le transport de marchandises légères, soit des colis, d’un point à un autre à l’intérieur du pays ou de la Côte vers l’Intérieur. En raison de l’insécurité qui prévalait, elle n’acceptait pas les déclarations de valeur. Cependant, les agences des Compagnies de navigation françaises acceptaient les colis de tous les pays qui faisaient partie de l’union postale affrétés pour tous les ports dont Tanger, Larache, Rabat.
Les Compagnies de navigation françaises qui desservaient les côtes marocaines étaient les suivantes :
« La Compagnie de navigation mixte (Touache) ; la Compagnie de navigation à vapeur (Fraissinet) ; la Société Général des transports maritimes à vapeur ; la Compagnie marocaine et arménienne (Paquet) ; la Compagnie Gsatanié d’Oran ; la Compagnie havraise Péninsulaire de navigation à vapeur ». Ces quatre premières sociétés avaient leur port d’attache à Marseille.
Les recettes de la Poste française étaient très importantes et généraient d’importants profits cependant à la pleine satisfaction des usagers. Sur la période 1903-1904, la moyenne des mandats émis par la Poste française atteignait le montant de 120.000 francs par mois. Les recettes nettes à la même époque était de 93000 francs pour coût d’exploitation de 67.000 francs.
La Poste française était de loin la plus importante de toutes ses concurrentes en terme de volume des services et de ramifications. Elle assurait également le Télégraphe non seulement des autres nations, mais aussi celui du Gouvernement marocain qui en était dépourvu. Le Câble télégraphe de la Poste française sortait celui-ci de son isolement avec le monde « civilisé ».
La navigation en eaux territoriales marocaines manquait cruellement de sécurité dont les autorités n’envisageaient pas à la combler. Le gouvernement n’avait pratiquement pas d’infrastructure portuaire et ne possédait pas de flotte à proprement parler. Les armateurs conscients de cette lacune périlleuse avaient sans cesse réclamé l’établissement d’un sémaphore à proximité du phare érigé au cap Spartel. Il serait relié par télégraphe à Tanger et de là par câbles à l’Europe.
La Légation britannique se chargea de sa construction au nom du Llyod, qui était un établissement bancaire domicilié à la Bourse de Londres. Néanmoins, la France perçut danger que pourrait générer la possession du sémaphore par l’Angleterre en cas de guerre. Elle entra aussitôt en négociations avec Londres qui aboutissaient à un accord anglo-français le 27 janvier 1892. De ce fait, le sémaphore s’en trouva internationalisé. L’accord fut approuvé par les nations suivantes : la Russie, les Etats-Unis, la Grèce, l’Allemagne, l’Italie, la Hollande, la Belgique, le Brésil, le Danemark, la Suède, la Norvège, l’Espagne et le Portugal.
Le Gouvernement marocain notifia son adhésion à cette Convention au mois d’avril 1894. Ceci est une autre preuve de souveraineté limitée qu’exerçait son Etat sur son territoire. Toutes ces nations possédaient des privilèges quasiment imposés au sultan Abdelaziz dont les prérogatives de réglementer la navigation lui étaient dépossédées.
L’accord en question comprend sept articles comme suit :
« Article 1. Les agents diplomatiques et consulaires ont le droit d’inspecter le sémaphore, chaque fois qu’ils le jugent nécessaire.
Article 2. Chaque année le Llyod leur remettra un rapport sur le fonctionnement du sémaphore.
Article 3. En cas de naufrage ou d’accidents de mer, le Llyod préviendra par télégraphe le représentant de la puissance intéressée.
Article 4. Avant de mettre à exécution son règlement, le Llyod le soumettra aux représentants des puissances à Tanger. Les taxes seront les mêmes pour tous les navires.
Article 5. Dans le cas où la Compagnie du Llyod viendrait à changer le règlement, elle préviendrait les représentants étrangers.
Article 6. Le drapeau marocain se arboré sur le sémaphore qui sera gardé par des soldats marocains.
Article 7. En cas de guerre, à la demande de l’une des puissances intéressées, le sémaphore sera fermé ».
L’on remarque que l’Etat marocain n’exerçait nullement sa pleine souveraineté sur son territoire terrestre ou maritime. Plus que jamais, il subissait l’influence de toutes ces puissances et il ne parvenait pas à choisir en toute souveraineté ses amis et ses alliés. Il faut dire aussi que le sultan était assis sur une poudrière qui pouvait exploser à tout moment et emporter à jamais son sultanat. En effet, les deux tiers des populations mécontentes et dans un état de pauvreté extrême n’étaient pas soumises et remuaient sans cesse. Le sultan ne faisait aucun effort pour préserver son Etat des appétits des autres puissances. Peut-être qu’il ne savait même pas que son Etat était apte à être colonisé. D’un autre côté et sans le vouloir, il entrait dans la modernité sous tutelle bien sûr. Alors à qui aura été cette opportunité, tant que les puissances clé se livraient une guerre sourde pour contrôler ce pays.
Jusqu’en 1889, Tanger était une ville non européanisée, sans organisation municipale. Sa voirie y était déplorable, ses rues et ses places étaient remplies d’immondices. Pourtant, cette ville était la résidence des représentants des nations étrangères, mais aussi le centre du commerce international marocain. De ce fait, elle était le port où se trouvaient le plus d’Européens. Ceux-ci vivaient au milieu de cette incurie, frappée d’indifférence de l’hygiène la plus élémentaire.
Cet état lamentable d’insalubrité publique amena le Groupe des 13, des Notables étrangers, à créer une corporation municipale qu’ils baptisèrent : Commission d’hygiène. Celle-ci entama sa mission sans mandat régulier et mena ses travaux d’entretien dans les quartiers européens. Elle fonctionna pendant trois ans avec les subsides consentis par les Etrangers. Le comte de d’Aubigny se rendit à Fez auprès du sultan Moulay Hassan, auprès duquel il obtint une délégation de pouvoirs pour Tanger en faveur du Conseil sanitaire. Cette délégation de souveraineté était valable uniquement pour le quartier européen. Quant à la Casbah ou la ville arabe, le Mohtesseb ou prévôt des marchands devait y conserver les tâches de la voirie.
La Commission d’hygiène eut alors des ressources :
- Une partie des droits d’abatage lui était consacrée, l’autre pour le Mohtesseb.
- La moitié des revenus des appontements construits à Tanger.
- Des redevances perçues sur les riverains des rues pavées par la Commission.
- Des taxes municipales établies sur le quartier européen.
A partir de cette époque, la Commission fut gérée par un membre du corps diplomatique français dont elle était une dépendance pleine et souveraine.
La gestion calamiteuse de la ville de Tanger par les sultans successifs du Maroc avait fait d’elle un dépôt d’immondices et foyer de maladies nuisibles transmissibles. Est-ce là la tradition impériale dont se vantent à notre époque des voix marocaines sur les réseaux sociaux et même les médias officiels ? Une ville internationale sale d’un Etat indépendant millénaire, bourdonnent-ils à nos oreilles. Ils étaient à des années de lumière de la vie citadine propre où il fait bon de vivre. C’est dire que cet Empire tant vanté avait appris la propreté et l’hygiène avec l’arrivée des Européens. Pourtant son grand voisin de l’Est, l’Algérie, tenait l’hygiène et la salubrité publique comme un culte. De cela, en avaient témoigné, des militaires du débarquement à sidi Ferudj le 14 juin 1830.
Qu’en était-il de la souveraineté des sultans marocains successifs sur leur propre pays ? Etait-ce un bail de concession de souveraineté territoriale ou sur des secteurs stratégiques ? Le Maroc avait été de toujours confronté à des révoltes de régions que les sultans ne parvenaient pas à dominer. Ces populations hostiles commettaient des crimes, des pillages à grande échelle. En 1912, le sultan Abdelaziz exerçait son autorité sur le tiers de son territoire dont plusieurs régions clés étaient autonomes dont la petite ville de Figuig.
Ahmed Bencherif écrivain chercheur
nous devions dire quelques mots sur les institutions françaises au Maroc. donc vous trouverez ci-après un bref historique.
Lazaret de Mogador
L’ile de Mogador avait été choisie par le sultan pour le débarquement des navires, suspects au niveau sanitaire, qui revenaient d’Arabie Saoudite, après l’accomplissement du pèlerinage. Cependant, la France s’occupait de son fonctionnement depuis 1904. En effet, chaque année, un médecin est envoyé par Alger pour s’occuper du pèlerinage qui y séjournait quatre mois.
Hôpital français de Tanger
Cet hôpital a été fondé en 1803 à Tanger avec un reliquat d’une indemnité versée par le Makhzen. Cet établissement hospitalier générait une rente annuelle de quatre mille francs. Le Gouvernement algérien, avait versé une subvention d’investissement de dix mille francs et versait annuellement une autre de mille deux cents francs. Cet hôpital réalisait trois cents consultations annuellement et contenait dix-huit lits. Son service était assuré par deux médecins français et un infirmier.
Les écoles françaises
Les écoles françaises et israélites accueillaient en 1903 deux mille-quatre-cent-cinquante élèves. Leur budget annuel atteignait cent mille francs. Quant à l’école franco-arabe, elle fonctionnait depuis 1898. Une autre école, réservée aux Européens, avait été ouverte depuis 1903.
Disons une modeste opinion sur l’implantation de ces institutions françaises. Nous constatons que la France avait porté de longue date son intérêt pour le Maroc, sans l’être exclusivement. La date de son influence remonte à l’année 1803, c’est-à-dire vingt-sept ans avant le débarquement français à Alger. Disons-le sans orgueil démesuré. Les sultans successifs n’avaient jamais pu exercer leur pleine souveraineté sur l’ensemble de leur territoire. Des régions entières ne leur échappaient et partant leurs populations ne leur étaient pas soumises. Quant à l’Algérie, elle restait redoutable jusqu’au 14 juin 1830 et sa puissance navale reconnue au niveau international rendait illusoire toute tentative d’agression. D’autre part, une forte amitié liait les deux Etats depuis le XVII siècle au moins, hormis quelques différents qui étaient solutionnés avec l’art de la diplomatie. Les plus sceptiques hommes d’Etat des deux partie ne voyaient jamais venir une guerre entre eux.
En fait, il ne se passe rien qui puisse être signalé depuis 1903. Malgré les fournitures d’armes et de munitions, des approvisionnements pour ses troupes afin de combattre les rebelles. Cela ne l’avait pas empêché de contracter la même année un emprunt auprès de l’Espagne dont l’influence demeure plus moins agissante. L’an 1904, le Maroc avait dépensé les fonds avancés. Il nous faut juste signaler que l’Etat du Maroc vivait en permanence dans un déficit important structurel. Ses dépenses allaient couvrir le mode de vie extravagant du palais royal dont les souverains successifs entretenaient un Harem de plus de 300 concubines. Ce chiffre est ahurissant quand on sait qu’à notre époque, feu Hassan 2 possédait 300 concubines. Alors, qu’il ne dépensait rien pour l’intérêt général : ses infrastructures portuaires étaient nulles, ses manufactures inexistantes, son armée sous équipée à un niveau inférieur alarmant, ses troupes sans la moindre formation militaire, le seuil de la pauvreté à un niveau inférieur très alarmant, les vices battaient les records, des centaines de famille vivaient du commerce du kif, les filles de joie étaient légions. Par exemple, le sultan Moulay Ismail consommait sans retenue le Hachich. Voici un mode vie licencieux d’une dynastie qui se dit Chérifienne, sans jamais avoir apporté une preuve probante, sans présenter à qui le veut une généalogie authentique.
L’Etat du Maroc a dépensé les fonds avancés par l’Espagne et ses caisses sont vides. Il était très mal placé pour négocier un nouvel emprunt. De ce fait, il revint toute honte bue vers la France qui l’attendait patiemment et en toute confiance comme le plus redoutable chasseur. Le sultan Abdelaziz s’adressa à son « sûr et véritable ami[1] », la France. Il signa le 12 juin 1904 un emprunt avec un syndicat de banques françaises, pour un montant de 62 millions cinq-cents-mille francs, au taux d’intérêt de 50/0 et amortissable en 36 ans. C’était une somme faramineuse qui montrait du doigt au sultan où était la richesse pour atténuer la pauvreté du sultanat. Nous ne discuterons pas des clauses, qui sont trop techniques et ne présentent nullement un effet historique.
L’évolution des relations franco-marocaines va lentement, mais surement, sauf les caprices du souverain Abdelaziz par moments. A la fin du mois de juin 1904, le ministre des Affaires Etrangères du sultan Abdelaziz prévenait le consul général français à Tanger, M Saint-René Thaillandier, que le Makhzen entreprenait des aménagements à la Garnison, la pourvoir en quelques pièces d’artillerie et que l’instruction des artilleurs serait confiée à un officier français d’Algérie, le lieutenant Sedira. Cependant, le comte Saint Aulaire, diplomate français à Tanger, juge insuffisante, la réoccupation française à la garnison marocaine. Le sultan Abdelaziz décida alors de la renforcer comme suit : un capitaine français présidera à la réorganisation, secondé par trois sous-officiers algériens, quant au lieutenant Sedira, il sera chargé de la formation.
Caprice du sultan ou jeu des influences européennes ? En effet, le délégué du sultan à Tanger, M Si Mohammed El Torrès, notifie le 19 décembre de la même année aux ministres de France, d’Italie et d’Angleterre que son souverain avait congédié tous les employés étrangers qu’il avait à Fez et à Tanger, par mesure d’économie, dit-il. Il était clair que la mission française était visée. La rupture paraissait plus que probable. Néanmoins, la France protesta énergiquement et le Makhzen revint sur sa décision. Avant de dire un mot sur les institutions françaises présentes au Maroc, nous dirons un autre sur l’attitude très peu élégante du sultan Abdelaziz envers la France.
L’emprunt marocain de 62.000.000 de francs auprès des banques françaises, sur garantie de l’Etat français représentait une somme considérable, un véritable budget d’Etat. Au taux de change contemporain, il serait chiffré en plusieurs milliards d’euros. Il appartenait au sultan Abdelaziz d’être longtemps reconnaissant vers la France. Quiconque aurait bénéficié se devait d’en exprimer toute sa gratitude. Il apparait clairement que le sultan du Maroc n’exerçait pas pleinement sa souveraineté dans son Etat. Exerçait-il lui-même le pouvoir ou bien le Makhzen, cette armée mal définie où se cachaient les véritables décideurs entre amis de la monarchie et police politique. Ce peu d’élégance avait été de toujours une monnaie courante de cette vieille monarchie ô combien archaïque, dans une société semi primitive.
Le bât blesse et il m’est douloureux de dire des vérités sur des nuisances qu’avait commises sur mon pays, l’Algérie. Pour rester seulement à notre époque contemporaine, le roi feu Hassan II nous imposait la guerre des sables en octobre 1963, juste quelques mois après notre indépendance le 5 juillet 1962. Imaginez une armée de libération nationale qui affrontait une armée classique mécanisée, équipée, lourdement armée pour conquérir Tindouf, une partie du Sahara. Il avait été battu et humilié. Notre armée repoussa ses troupes et conquit 20 km du territoire marocain du côté de Figuig. Hassan Ii reconnaitra plus tard qu’il ne pouvait pas vaincre une résistance. Nous avions fait la paix et avions ouvert durablement la frontière avec le Maroc. Les populations marocaines limitrophes et même au-delà s’approvisionnaient chez nous en noir et prenaient en quantités industrielles du sacre, du lait en poudre, cde l’huile, de la semoule, de la farine, du carburant à des prix subventionnés.
Mon pays a aussi fait les frais du peu d’élégance de la monarchie marocaine en 1994, quand nous menions une guerre sans merci contre le terrorisme. Hassan II toute honte bue accueillait les terroristes à qui il avait offert une base arrière, leurs blessés étaient soignés dans ses hôpitaux publics, ils entraient et sortaient en Algérie comme ils voulaient, faisaient entrer des armes sophistiquées. Mon pays avait alors fermé la frontière à cette même date et depuis elle est toujours fermée. Malgré cela, sur le plan économique, les affaires marchaient. Alors, le Maroc prenait un milliard de m3 de gaz annuellement et plus de 650 millions de dollars, comme droit de transit sur le gazoduc vers l’Espagne. Plus encore, son pays était branché à notre réseau électrique qui lui assurait 30% de sa consommation totale. Que fait alors son successeur, Mohamed VI ? Son ambassadeur au Conseil de Sécurité distribua à tous les ambassadeurs un mémoire dans lequel il réclamait l’indépendance de la Kabylie. Alors mon pays ferma tout : les relations diplomatiques, le Gaz, l’électricité, l’espace aérien. Je voudrais juste signaler que la fermeture des frontières avec le Maroc et le gel de toutes les relations est une affaire de souveraineté qui appartient au Peuple et tout gouvernement algérien présent et à venir devra s’y soumettre.
Je m’excuse de cette digression et peut-être qu’elle est bénéfique pour une meilleure compréhension sur ce peu d’élégance dont est champion l’Etat marocain.
Dans le prochain article, nous parlerons des institutions françaises au Maroc préexistantes.
[1] L’expression est dans le texte.
Au mois d’avril 1905, le président Loubet se rendit à Alger et le ministre marocain des Affaires Etrangères s’y rendit aussi pour proclamer l’entente entre les deux parties, rencontre qui avait été préparée par M Révoil Ministre français à Tanger et ancien gouverneur général à Alger. Il était entendu que de sceller un traité qui garantirait l’intégrité de son territoire et en retour, le Maroc n’aurait plus recours à d’autres puissances que la France pour la proclamation et le maintien de l’autorité d’Abdelaziz. Au lieu de cela, les deux hommes échangèrent de simples marques de courtoisie et se séparèrent.
L’échec de la mission franco-marocaine avait encouragé les tribus pillardes de l’extrême sud, qui ne cessaient d’attaquer les postes et les caravanes. Le gouverneur général Jonnart fut lui-même attaqué le 31 mai 1903 par les gens de Figuig dont les tribus accueillaient les insurgés du sud oranais. Il faut dire aussi que Figuig était constamment en rébellion contre les sultans des Etats du Maroc. Le 8 juin suivant , Figuig fut bombardé par les troupes françaises.
La France prêta encore son concours au Maroc. Oujda s’était révoltée, la France facilita l’entrée des troupes marocaines en Algérie d’Oran à Lala Maghnia. Elle leur fournit armes et cartouches. Grace à l’appui de la France, les troupes du sultan occupent Oujda le 11 aout 1903. En contrepartie, la France y obtient l’ouverture d’une mission militaire pour instruire les troupes marocaines.
Après les attaques de Taghit le 20 aout 1903 et d’El Moungar le 2 septembre, le colonel Lyautey succéda au général O Connor sur la frontière oranaise, chef de subdivision militaire d’Ainsefra. Cet officier rétablit un peu de tranquillité dans la région.
Mais négocier avec le Maroc n’était pas suffisant. La France devait négocier avec les puissances qui avaient pied au Maroc. Elle devait traiter avec elles et leur octroyer des compensations. La question prenait l’allure d’une vraie histoire d’amour. Il fallait mettre hors de course tous les prétendants. Le jeu diplomatique devenait plus entreprenant avec ses compétiteurs au Maroc, lequel attendait son défenseur définitif. En effet et dès décembre 1902, le ministre des Affaires Etrangères d’Italie le comte Visconti-Venosta signait un protocole de désintéressement mutuel, confirmé par son remplaçant le 1er novembre 1902. Le traité stipulait que l’Italie n’inquiéterait pas la France dans ses vues sur le Maroc et qu’en retour la France lui laisserait toute liberté en Tripolitaine.
La France essaya ensuite de négocier avec l’Espagne les sphères d’influence pour chacune des deux parties. Cependant, l’Espagne possédait des territoires de Ceuta et Melilla et voulait encore acquérir plus d’influence et faire du Maroc une chasse gardée. Aussitôt, la France se tourna vers l’Angleterre. Un accord fut signé entre les deux Gouvernements en 1904 aux conditions suivantes :
« Le Gouvernement français déclare qu’il n’a pas l’intention de changer l’état politique du Maroc ».
« De son côté le Gouvernement de sa Majesté britannique reconnait qu’il appartient à la France, notamment comme puissance limitrophe du Maroc sur une vaste étendue, de veiller à la tranquillité de ce pays, et de lui prêter son assistance pour toutes les réformes administratives, économiques, financières et militaires dont il a besoin. »
« Le Gouvernement français laissera intacts les droits dont jouit au Maroc la Grande-Bretagne, en vertu des traités, conventions passés entre cette puissance et le Maroc ».
Cet accord fut signé à Londres le 8 avril 1904. Puis ce fut au tour de l’Espagne. Cette dernière puissance ne parvint pas à trouver l’appui de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne en vue de limiter les ambitions françaises au Maroc. elle reprend les négociations avec la France et un accord est signé le 3 octobre 1904 entre M Delcassé Ministre du Gouvernement français et Léon y Castello, marquis de Rio Muni, ambassadeur d’Espagne à Paris aux conditions suivantes :
« Article 1 les deux Gouvernements admettent l’intégrité de l’empire chérifien sous la suzeraineté du sultan ».
« Article 2 Le Gouvernement français reconnait l’existence des intérêts qui résultent pour l’Espagne de ses possessions sur la côte marocaine ».
« Article 3 l’Espagne reconnait la prééminence politique de la France au Maroc ».
« Article 4 La France associe l’Espagne à ses plans de pénétration pacifique où cette pénétration est possible sans aucune concession.. ». ( en fait cet article est ajouté pour la forme.
Enfin, le Maroc est prêt à être pénétré par la France.
Le mouvement nationaliste algérien/Messali hadj
5 juillet 20024 au club des Vigilants de Tlemcen
Le vingtième siècle sonnait partout le glas du colonialisme dans le monde. En Algérie, l’action militante d’émancipation couvait, alors que la France dormait sur ses acquis de l’Algérie française. Le débat politique restait divisé entre les Vieux Turbans et les jeunes Algériens, une imitation des Jeunes Turcs. Les premiers campaient sur les valeurs ancestrales, la langue arabe, la religion, le rejet de la naturalisation, le conservatisme craintif du progrès. Les deuxièmes s’engageaient dans la laïcité et la naturalisation française, l’égalité des droits politiques et des chances. Cependant, ces idées n’engageaient leurs pas partisans dans une voie de revendication de nouveaux droits ou de libération. La longue lutte de résistance armée qui dura plus de soixante-dix ans avait épuisé les forces et les ressources du peuple. Cet état des choses était valable aussi pour le dernier résistant, le cheikh Bouamama. Jusqu’au début de ce siècle, la lutte politique n’était pas dans la vision du combat libérateur. Trop d’oppressions, d’exactions, de privations des droits les plus élémentaires laissaient la société en stagnation. A vrai dire, elle ne parvenait pas à répondre à la question « que faire », au cas où elle aurait effleuré les esprits.
En fait, la réponse viendra de la France métropolitaine elle-même. En effet, l’émigration fut autorisée aux « indigènes » vers les années 1880, puis elle s’accentua dès le début du vingtième siècle. Ces Algériens, qui étaient partis chercher du pain, allaient voir un autre monde, le monde tel qu’il était. Ils accédaient à des droits fondamentaux qu’ils n’exerçaient pas dans leur propre pays. La couverture sociale et médicale. Le droit au congé payé, à l’adhésion syndicaliste. En bref, ils découvraient les luttes sociales, l’antagonisme du capitalisme et le socialisme.
Cependant, il y avait deux mouvements d’émigration religieuse et sociale. En effet, un grand nombre d’Algériens musulmans jugeaient que c’était un parjure de vivre dans un pays dominé par les chrétiens :
- 20.000 à 30.000 Algériens musulmans ou français-musulmans émigrèrent en Egypte.
- 10.000 à 15.000 Algériens émigrèrent à la péninsule arabique.
- 5.000 à 6.0000 en Palestine et autant en Anatolie.
Ces émigrés, qui avaient pris le chemin de l’exil, étaient pour la plupart d’entre eux riches. Ils étaient des gens de Tlemcen, de Bordj Bou Aririj, Constantine, Sétif. Cette émigration s’était effectuée en plusieurs vagues. Ils étaient bien accueillis dans leurs destinations respectives. Ils recevaient des terres agricoles. Certains avaient accédé à des emplois publics ou à des postes de commandement, notamment en Syrie. Ils louaient les mérites du sultan Abdelhamid. Néanmoins, ces pays ne vivaient pas dans la liberté d’expression et la démocratie. Cet environnement n’était pas propice pour voir émerger une élite politique dont avait besoin notre nation asservie. Celle-ci allait se former dans le propre pays du colonisateur.
L’émigration algérienne en France
Les conditions de vie étaient déplorables en Algérie pour les Français-musulmans. Ils n’avaient pas accès aux emplois publics, ils étaient privés de soins et leurs enfants qui allaient à l’école étaient d’un très petit nombre. Seule l’agriculture offrait de bas emplois chez les colons et sous-rémunérés. Un grand nombre de nos frères Algériens ne voulaient pas travailler chez les colons. Ils préféraient mourir de faim que d’être salariés sur cette terre qui leur appartenait ou avait appartenu à leurs parents. C’était la dignité algérienne, le « NIF » algérien qui fait honneur et force l’admiration de nos ennemis avant celle de nos amis.
Si la voix de l’émir Khaled s’éleva haut, elle n’atteignit pas les masses. Le programme qui l’animait n’était pas indépendantiste, mais réformiste. Il opposait une formule d’association aux partisans de l’assimilation. Cependant, cette théorie n’avait pas une signification précise. Elle avait été initiée 20 ans plus tôt par Victor Barrucand patron d’un journal El Khabar et président de la Ligue des Droits de l’Homme. Ses revendications essentielles se résumaient autour des axes suivants :
Emploi de la main-d’œuvre algérienne en France,
Suppression du code de l’indigénat
Participation aux assemblées délibérantes
Suppression des tribunaux répressifs
La levée des boucliers ne tarda pas à se faire jour. Les colons se dressèrent contre lui, l’accusèrent de porter atteinte à la souveraineté française. Il finit par prendre sa retraite de l’armée et de cesser toute activité politique. Il partit en exil en France, puis en Syrie.
Cependant, il était clairement admis par tous que l’action militante d’un leader isolé ne pouvait porter la cause nationale. Les émigrés maghrébins engagés dans la lutte des classes pensèrent à créer un parti. Ce sera l’Etoile Nord-africaine le 12 juin 1926 à Paris. Le comité directeur était le suivant :
- Président : Abdelkader Hadj Ali, communiste
- Secrétaire génral : Messali Hadj
- Trésorier, Djilali Chahiba, communiste
- Membres nationalistes : Mohamed Said Si Djilani, Akli Banoune, Kaddour Far, Saadoune, Meghroureche, Abderahmane Sebti, Mohamed Ifour, Salah Ghandi, Rezki.
- Membres communistes : Mohamed Maarouf, Ait Toudert, Boutouil.
Cependant, la présidence connut une brève instabilité : le président démissionna, il fut remplacé par Belghoul, lequel fut arrêté à Hamam Bouhadjar. Alors, la présidence échut en aout 1926 à Messali Hadj qui donna au parti une grande impulsion. L’année 1927 fut décisive pour l’Etoile Nord-africaine. Elle participa au congrès anticolonialiste à Bruxelles du 10 au 14 février. Des figures renommées y figurèrent : Nehru, Senghor, Mohamed Hatta dont les pays étaient eux aussi colonisés. La faillite morale du colonialisme fut actée et Mesali fera une déclaration choc :
« Nous sommes réduits à l’état de bagnards dans notre propre pays, car nous n’avons ni liberté de presse ni liberté de réunion, sans lois sociales et sans écoles ».
L’ENA fit une assemblée générale le 11 novembre de la même année à Paris, rue des Gracieuses. Au cours des débats, les tendances nationalistes furent précisées. La motion d’indépendance a été adoptée à une forte majorité. Les communistes protestèrent et quittèrent la salle. Les Français sympathisants les suivirent. Le combat s’annonçait chaud et parsemé de danger. Elle fit une énorme campagne de sensibilisation et en 1928, elle comptait déjà 3.500 militants. Elle échappa également au contrôle des communistes et Abdelkader Hadj Ali démissionna.
En 1929, les Marocains et les Tunisiens quittèrent l’ENA qui devint exclusivement algérienne. Les premiers étaient trop dépendants de la France par la convention du protectorat. Ils y trouvaient leurs intérêts car, la France les protégeait contre les ambitions des autres puissances européennes et les populations qui vivaient depuis des siècles dans l’anarchie et le désordre à tel point que leurs sultans successifs ne parvenaient pas à les dompter. A la première année du protectorat français, les deux tiers de la population n’étaient pas domptées. Le pillage, le vol, le crime, tels étaient leurs hauts faits blâmables par le droit, la morale, la religion. Les seconds restaient surtout dans l’expectative.
Un tribunal français y prononça la dissolution mais l’avocat du Parti, Maitre Berthon, le défendit et la décision de justice ne fut pas suivie d’effet. Il fut bientôt sous la surveillance de la police spéciale de Paris qui exerçait la surveillance des Nord-Africains. Il entreprit à structurer l’ENA et créa des sections à Paris, en France. Mais en Algérie, la tâche était difficile. En 1930, le Parti créa son propre journal. Messali dépensait une énergie extraordinaire. Il fréquentait les milieux politiques et littéraires français. Il s’était formé comme auditeur libre à l’université de Bordeaux. Il assistait aussi aux conférences de la Sorbonne. Il assista au congrès international de Moscou. En 1934, des militants furent condamnés à la prison pour avoir reconstitué le parti qui en fait n’était pas dissout. La même année, le juif
Le 4 aout 1934, Constantine était ébranlée par l’acte injurieux du juif Kailifa Eliaou qui injuria notre prophète et notre religion. Il urina sur les murs de la mosquée de sidi Lakhdar. Les foules en colère font une descente au quartier juif. La communauté juive comptait 12% de la population de cette ville qui comptait 100.000 habitants. Le bilan de la confrontation fut de :
- Juifs : 23 morts et 500 blessés par bâtons ou couteaux.
- Musulmans : 4 morts et 79 blessés dont les deux tiers par balles.
- Police : 52 Zouaves blessés, 4 agents, 5 pompiers et 1 gendarme.
Aussitôt, l’ENA exprima sa solidarité avec les musulmans de Constantine. Elle saisit cette opportunité pour entrer en Algérie. Elle organisa un grand meeting à Paris qui avait vu la participation de 3.500 adhérents. Une motion fut adoptée au terme du congrès de 3 jours : « les militants affirment leur solidarité avec les victimes de la répression à Constantine… ». L’éloquence et la chaleur de Messali avait galvanisé les esprits et réchauffé les cœurs et les participants de clamer :
« A bas le code infâme de l’indigénat. A bas les lois d’exception. A bas la commune mixte.. Vive l’indépendance de l’Afrique du Nord ! Vive l’Islam ! ».
Le mot magique de vive l’indépendance revenait en force. Il est à noter que l’ENA reste toujours attachée à l’indépendance de l’Afrique du Nord et à l’Islam. Messali est très énergique. Il est partout et infatigable. En juin 1936, il effectue une visite en suisse, il y rencontre Chekib Arselan dont il avait été un secrétaire. Il rédige deux cahiers de revendications au gouvernement du Front populaire et il rentre en Algérie. Au congrès musulman au stade d’Alger le 2 aout 1936, il prit la parole et proclama son programme qui était en contradiction avec celui des assimilationnistes. Il fit un long safari qui le mena à Tlemcen, en Oranie, dans le Constantinois. La ligue inquiétait le gouvernement de France et le pouvoir colonial à Alger. Elle fut dissoute le 6 janvier 1937. Mais une grande étape était franchie. 43 sections furent créées dont l’une à Tlemcen.
Cependant, la lutte continua sous la couverture du Journal Ouma, avec un programme plus étoffé dont les fondamentaux sont :
« indépendance complète de l’Algérie, évacuation de l’armée française, confiscation des vastes propriétés agricoles des colons, abolition du code de l’indigénat, liberté de presse et liberté d’association, droits politiques et syndicaux, parlement algérien élu au suffrage universel, associations municipales élues au suffrage universel.. »
Cependant, la nécessité de créer un parti pour répondre aux exigences de la lutte surgit tôt. En effet, le 11 mars 1937, Messali, Abdallah Filali et Kehal Arezki déposèrent les statuts du Parti du Peuple Algérien à la préfecture à la préfecture de Police. Le soir, ils tinrent une réunion à Nanterre et annoncèrent la création du PPA.
Messali entre en Algérie où la scène politique était dominée par le Congrès musulman et les communistes. Il se met rapidement à l’œuvre et créa 80 sections dont 14 à Alger, 6 à Tlemcen, 4 à Constantine. Il condamnait l’assimilation et ses partisans dont le Gouvernement, les élus, les Oulémas. Le Journal El Ouma précisait l’identité algérienne :
« Notre Nationalité c’est avant tout notre passé, notre histoire, nos mœurs, nos traditions….en d’autres termes, on ne peut pas cesser d’être Arabe ou Kabyle pour devenir Français du jour au lendemain ».
Le Congrès musulman était convoqué le 7 juin 1936 à Alger au cinéma Majestic. Il était élargi aux Elus, aux oulémas, aux communistes. Les résolutions évitent de mettre en colère le gouvernement général et le Gouvernement de Paris. Ils élaborent des cahiers de doléances qu’ils allèrent à Paris soumettre au gouvernement du Front populaire le 23 juillet 1936. Les revendications étaient sociales et économiques.
Le deuxième congrès musulman fut convoqué le 11 juillet 1937 à Alger, au cercle du Progrès. Les mêmes formations étaient représentées. Les communistes sont encore une fois représentés, ce qui était une aberration au niveau politique. En effet, ils étaient idéologiquement diamétralement opposés aux oulémas. Il eut moins d’impact que le premier et exprima de nouveau son attachement à la France. Donc, la voie était libre pour le PPA pour s’implanter à travers tout le pays. Il fait l’amer constat qu’il était le parti à mener le combat libérateur. Il était aussi de tous ces chantres qui avaient la parole libre, sur injonction du pouvoir colonial. Son journal jette un pavé dans la marre. Il fustige tous ces assimilationnistes en écrivant :
« Femmes prenez les armes, les hommes ne veulent pas…Nous avons entrepris les premiers cette lourde tâche pour éveiller notre orgueil national et vous pousser à militer avec nous… ».
Ce nationalisme fervent des Algériens amena le Gouvernement français à dissoudre le PPA le 26 décembre 1939, soit deux mois presque avant le déclenchement de la deuxième guerre mondiale. Cependant, la lutte continua dans la clandestinité, en mettant à profit l’expérience au lendemain de la dissolution de l’ENA. L’adhésion au PPA progresse : 1426 adhérents en Métropole et 1.057 dans la colonie.
La Grande Guerre exerça un choc sans précédent parmi le peuple algérien. Les mobilisations des contingents créèrent un sentiment de désordre. Comme en 1912 pour la conscription obligatoire, certains volaient monnayer leur enrôlement contre des avantages d’emploi et autres. D’autres avançaient que c’était un devoir de servir la France menacée. Enfin les acteurs traditionnels étaient favorables. La France est occupée et le Gouvernement de Vichy prend le pouvoir. Celui-ci exige la collaboration de Messali qui refuse évidemment. Néanmoins, il donne des instructions quant à sa position vis-à-vis d’Hitler : Contre le nazisme et contre le gouvernement de Vichy. Cela lui vaut d’etre jeté en prison ainsi que d’autres cadres du PPA. D’autres prient une autre option et à leur tète Lahouel Hocine et Talbeb Abderahmane. Ils créent le CARNA pour procurer des armes et déclencher la révolution armée. Ils firent une instruction armée en Allemagne. Mais, l’Allemagne nazie leur fait un faux bond. Elle ne veut pas leur fournir des armes.
La plupart des cadres sont jetés en prison rarement sur décision de justice et en général sur actes administratifs. Pendant la durée de la guerre, il n’y a pas grand-chose à raconter, sauf que Hocine Lahouel, en résidence surveillée à Ainsefra, capitale du Territoire du Sud envoyait aux cadres du PPA à Alger Bab El Oued sur les mouvements de l’armée de Vichy. Les militants à leur tour les remettaient aux alliés. Il faudra attendre le 8 mai 1945, jour de victoire et de fete pour le Monde Libre, mais jour cde massacre des Algériens à Setif, Guelma, kherata. Ce fut là le tournant décisif pour le peuple à mener sa guerre de libération.