ahmed bencherif écrivain et poète

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Archive pour la catégorie 'Marguerite t/1; t/2'


Margueritte revisitée 26 avril 1901; Ahmed Bencherif

9 novembre, 2020
Marguerite t/1; t/2 | Pas de réponses »

Le caid, Ali, surchargeait au crayon les listes matrices des indigènes dont il ne plaida jamais la cause auprès des autorités et cherchait mille subterfuges pour les enfoncer davantage. Il se pliait en quatre pour être à la faveur du Hakem qui le dirigeait comme un pantin. Son statut d’ancien combattant lui valut cette place, mais restait un noir épisode de son passé, jamais oublié par ses coreligionnaires qui le dénigraient à chaque occasion et le traitaient d’esclave en pleine figure. Il avait guerroyé au coté de l’ennemi dans de lointains pays, combattu ses frères en Algérie. Son passé glorieux, qui lui donna plus d’une distinction, ne l’était que pour lui-même ou pour quelques Français qui l’écoutaient émerveillés. Ses rapports avec ses administrés étaient très tendus et il n’hésitait pas à les accabler de corvées.

 

-   Ce satané de journal, la Vigie, nous pourfend et nous déclare la guerre depuis déjà dix ans, dit Pierre légèrement désappointé. Il accuse le fisc d’exercer une forte pression et ses illuminés se réclament de la ligue des droits de l’homme. Ces citations sont des boulets de canon. Il faut bien de l’argent pour construire les routes, les hôpitaux, les écoles… Il dénonce avec virulence la répartition discriminatoire et injuste de l’impôt.

 

-   Mais il est fou. Les indigènes ont beaucoup d’argent. Il n’y qu’à les voir le jour du souk. Tu sais qu’ils achètent après la récolte des bijoux pour leurs femmes et leurs filles. Le gouverneur général devrait fermer ce journal qui raconte des ragots.

-    La liberté de la presse est sacrée et le peuple français a vaillamment combattu pour l’arracher. S’il le ferme, il signe son arrêt de mort politique. Tous les intellectuels et les ténors de la politique lui tomberont dessus et il quittera sa place à Alger par la petite porte.

 

-     Ah ! On est bien libre en France. On peut s’attaquer à un roi sans risquer de payer la sauce. C’est formidable.

 

-     Hé oui ! La liberté d’expression est garantie et préservée par la loi. Sans la loi, l’Etat sombre dans le chaos.

 

-     Il faut lui reconnaître une part de vérité à ce journal, les colons ne paient pas d’impôt en fonction de leur fortune. Il faut voir ces belles villas à Alger et Blida. Ce sont des résidences royales.

 

-

Le silence tomba soudain le mal doit demeurer dans les méandres du secret. Le journal, qui coupait le souffle à Pierre, menait un combat de longue haleine, avertissait les gouvernants, envoyait des signaux d’alarme. Sa voix et bien d‘autres étaient ignorées, taxées d’alarmistes. Douze ans après l’instauration du gouvernement des maires, il signala la trop grande iniquité en écrivant : « Il n’est pas exagéré de dire que si un pareil régime de succion était pratiqué dans un pays européen, fût-il le plus riche d’entre tous, il suffirait de quelques années pour réduire ce pays à la plus complète misère…Les indigènes étaient imposés au-delà de leur force contributive ».

 

Des militaires faisaient des déclarations dans le même sens au parlement. Certains allaient plus loin et signalaient que le fossé se creusait davantage entre les deux communautés et qu’il se comblerait de cadavres. D’autres disaient clairement qu’il ne faudrait pas s’étonner, si un jour on perdait l’Algérie et que ce fossé serait tant comblé de cadavres Mais personne n’écoutait ces bonnes âmes. On les prenait à parti, on les accusait à tort de pactiser avec les Arabes.

 

Là, se prolongeait le malheur du peuple vaincu. Si tôt, les armes déposées, une nouvelle guerre, celle du régime civil, était menée, plus longue et totale, méthodique et planifiée, de terreur et d’iniquité. Là, de pauvres âmes pouvaient flancher à la dernière sommation fiscale, ternir leur foi pour sauver temporairement leur moyen de subsistance, en le faisant avec la plus grande honte et dans le secret absolu. Les contribuables étaient quasiment tous indigènes et leur argent servait à faire tourner une administration répressive, à alimenter les caisses de la commune, du département, du gouvernement. Ils étaient une vingtaine à attendre leur tour, pour être pressés comme des citrons et c’était long, comme au jour de la résurrection.

       Hamza avait mal, sentait son coeur exploser, sa gorge se resserrer. Il s’écria d’un seul coup : « Non à la Hogra ! » (Non à l’oppression !). La procession perçut son cri comme un fouet, se retourna et le vit dans une colère intense. Ses yeux brillaient de fureur et il avait brisé le mur de la peur que rencontre naturellement tout adolescent. En cet instant précis, le souffle chaud le gagna, le souffle de la révolte. Oui, répéta-il d’une voix de défi : « Non à la Hogra ! » Il ne défiait pas les adultes qui savaient que la disparition de la Hogra n’était pas facile, il se convainquait lui-même. Les évènements tragiques récents s’étaient déroulés avec une telle précipitation qu’il se trouvait encore en questionnement

le 5 juillet1892 extr Margueritte revisitée ahmed bencherif

31 janvier, 2020
Marguerite t/1; t/2 | Pas de réponses »

 

On était un lundi cinq juillet, une journée chaude qui évoque de paisibles vacances au bord de la mer, quand le soleil hale la peau, l’air s’alourdit, les feuilles des arbres se figent, l’ombre devient précieuse, et que l’on éprouve la forte envie d’une baignade ou d’une plaisance à la voile blanche, sous un ciel d’éther où des mouettes planent au dessus des eaux bleus dormantes, en donnant un concert monotone. Alors, l’homme s’oublie volontairement, s’évade de son spleen coutumier pour vivre intensément son plaisir qu’il sait court et éphémère, se donne pleinement à la jouissance des péchés mignons, en compagnie d’une douce compagne, objet de ses convoitises charnelles. Il est au comble du bonheur, car il est le roi de l’amour. L’engouement saisit ses sens et suspend son imagination, la raison déserte son esprit même ; les cimes de l’anatomie féminine sont violemment charmantes, le prétendu chasseur n’est plus qu’un gibier, soumis aux caprices de sa partenaire et, dans son subconscient, seront gravés ces moments idylliques.

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La date avait une signification précise et mémorisait un accident de l’histoire qui secoua brutalement l’ordre des choses sur le sol algérien. Le cinq juillet, terrible et désastreux, ouvrit la porte des enfers et charia un fleuve impétueux et intarissable d’horribles drames qui bafouent la dignité humaine et choquent l’imagination. Se peut-il qu’un homme commette du mal et s’y adonne de façon perverse pour atteindre le paroxysme de la cruauté ? Plus grave encore, quand l’hystérie le pousse à renchérir ses actes ignobles et que condamnent sans équivoque les valeurs universelles : la force donnait ce courage, l’avidité ingrate stimulait, la violence se justifiait pour écraser toutes les formes de résistance à la conquête.

 

Par cette journée lourde de chaleur, on commémorait le soixante-deuxième anniversaire de la capitulation du Dey Houcine, que le sort des armes provoqua de façon inattendue et bouleversante, en moins de vingt jours de combats. Jamais gloire ne sourit autant à un soldat : le général de Bourmont, commandant le corps expéditionnaire de trente cinq mille hommes, sortit vainqueur, alors que quinze ans plus tôt, il avait rallié l’ennemi, la veille de la bataille de Waterloo dont le désastre militaire provoqua la chute de son empereur Napoléon 1er. Son premier coup de canon, sur Alger, entraîna également la chute du roi Charles X et enterra cent quarante ans d’entente et d’amitié, de relations commerciales et d’alliance stratégique entre la Régence d’Alger et Paris. Il s’y trouva un Laborde qui désavoua la guerre au roi avant même qu’elle n’eût commencé, tant sur sa légalité, sa justesse, son utilité et son avantage : « est-il avantageux pour la France de prendre Alger sans pouvoir le garder » .

 

Jamais les conquérants et les conquis ne furent aussi éloignés les uns des autres. Le souvenir de la guerre était hallucinant : des morts tombés dans l’oubli, des invalides qui la rappelaient cruellement, des tragédies humaines narrées à bout de champ. Une muraille infranchissable les séparait, les compartimentait en deux blocs distincts et chacun  restait dans son propre milieu, fidèle à ses principes et ses vœux, sans que l’idée même ne le caressât pour aborder l’autre. Leurs comportements respectifs indiquaient clairement que la guerre n’était que partie remise, que les braises vives demeuraient ensevelies, sous une montagne de cendres que les vents de la liberté balayaient sans cesse : le colon avait le sourire au visage et la peur au ventre ; l’indigène s’indignait et ruminait sa vengeance.

 

L’évènement était exceptionnel et prestigieux et, partout en Algérie, dans les grandes villes comme dans les centres de colonie, l’on respirait l’air émouvant de la fête qui revenait chaque année rappeler la victoire et faire vibrer les sens. Le village de Marguerite ne manquait pas ce rendez-vous et redoublait d’ingéniosité pour s’embellir. La place publique, qui était clairsemée de petits carrés de verdure et de fleurs, sentait encore l’humidité des arrosages matinaux et les pavés blancs conservaient la trace grise de l’eau. Un millier de fanions multicolores bleus intenses, blancs mat et rouges vif flottaient dans l’air et donnaient des fragments d’ombre. Dans son milieu, le podium se dressait en surélevé, magnifié d’arcades et habillé de drapeaux et sur ses deux flancs, au rebord des rues, les magasins et les vitrines fermés se faisaient la même beauté.

 

Vêtus d’élégants costumes en la circonstance, les fêtards arrivaient de toutes parts, se saluaient jovialement et émettaient de cœur les vibrants souhaits d’avenir, pour prendre racine dans un pays étranger, qu’ils s’étaient appropriés. Subjugués par les dons généreux de la terre, ils criaient et criaient leur attachement à l’Algérie coloniale. Les femmes se rivalisaient de grâce et de beauté et, blondes ou brunes, noyaient le prédateur dans l’embarras du choix qui marmonnait par réflexe : « celle-là est belle et moins charmante, l’autre tout à fait le contraire » Mais, il dirait mieux en petit courtisan à l’une et à l’autre. Par leurs bras et leurs jambes nus, leurs corsages insolites en profondeur, elles révolteraient leur arrière aïeule. Mais, elles vivaient leur temps et leur lubricité, qui n’avait rien d’équivoque, leur ouvrait une ère nouvelle d’affranchissement à la vieille dépendance masculine.

 

Le podium constituait, de tradition, la tribune d’honneur des grandes cérémonies, où de singulières personnalités se produisaient en parfaits artistes, tenaient leurs harangues pour chauffer à blanc les foules, ou jasaient ennuyeusement en piètres orateurs. Les deux genres étaient là et l’on enviait ces hommes, assis sur des chaises rembourrées, sous la coupole, au dessus de laquelle, flottait, fièrement, un grand drapeau flambant neuf. Ils étaient tous là,  les élites de la société qui oppressaient le cœur par leur médiocrité et leur avidité et surtout leur opportunisme savamment cultivé. L’administrateur Martin et sa suite, le capitaine Paul et ses adjoints, l’adjoint spécial Jacques, redoutable représentant de la communauté européenne, des anciens combattants auréolés de brillantes médailles et enfin le caïd.

 

Margueritte revisitée t 2 entre l’amour et la révolution ahmed bencherif

17 janvier, 2020
Marguerite t/1; t/2 | Pas de réponses »

 

Au café maure, l’ambiance était à l’enterrement. Les clients en portaient le deuil. Ils étaient tristes, de mine quasiment abattue. Ils donnaient l’impression n’avoir jamais connu la joie tout au long de leur existence. Ils savaient que les colons avaient atteint leurs objectifs, ils les voyaient dans la rue ivres de triomphe, ils en percevaient toute l’arrogance du vainqueur aussi, tandis qu’eux descendaient aux enfers, échouaient dans les abimes dont ils ne pourraient en sortir. Hamza buvait un café seul dans un coin. Lui, n’était pas triste. Il était en colère, il enrageait dans son for intérieur. L’appel à la révolution le rongeait. Ses pensées l’écoutaient, son âme et son cœur, aussi. Son commando était prêt, armé pour faire mal au colon, très mal. Hélas, il était peu entrainé et il n’en avait fait que deux exercices. Car, tous se disaient aguerris. Il ne restait qu’à fixer l’échéance, le jour fatidique où, lui Hamza, entrerait dans l’histoire.

Dans la rue, Hamza marchait, telle une ombre fugitive, quasiment inconscient de ce qui se passait, dans l’impossibilité d’assimiler cette évolution politique qui ne présageait que des malheurs pour son peuple. Il en voulait au parti colonial, il en voulait à la France. Pourquoi la France avait-elle abandonné les musulmans français, comme elle le prétendait dans ses lois, alors qu’ils étaient de simples indigènes soumis à la loi, non protégés par la loi. La France les abandonnait aux appétits voraces des colons, à leurs arrogances, à leurs exactions, vexations de tous genres et oppressions. Jamais nation n’a été aussi avilie que cette Algérie meurtrie, tyrannisée, qui ne parvenait pas à se relever d’elle-même pour faire la joie de ses fils authentiques, vertueux et honnêtes, engagés à fond dans son amour. Ses propres fils la violaient tous les jours, tels ce caïd et ces tirailleurs qui croyaient que vraiment la France était leur mère.

 

Jamais le deuil et la joie ne s’étaient côtoyés de façon aussi apparente en pleine rue : la fête des colons arrosée à grands flots de vin, le noir abattement des indigènes sous leurs blancs burnous. Il était pire lorsque venaient à se croiser les regards des antagonistes. Ils disaient long, ils exprimaient long : l’arrogance et la jouissance sadique d’un côté, de l’autre, le feu de la vengeance qui dévorait les âmes. Là, la France avait échoué dans la dimension de fraternité qu’elle osait enseigner aux autres. Elle avait échoué à semer les graines de l’amour entre les gens. Elle avait tant opprimé ses sujets que le feu immense des vengeances couvait.

 

Hamza avait mal, sa colère tenait à un moindre regard équivoque, à la moindre ironie. Il maitrisait difficilement ses nerfs et évitait de croiser les gens, coupables ou victimes. Pour l’instant, il ne raisonnait même pas. On dirait qu’il avait mu en homme préhistorique à deux fonctions vitales : chasser, manger. Des colons l’interpellaient dans la rue, mus d’une joie excentrique. Il ne les entendait pas. Les indigènes le saluaient par courtoisie de circonstance. Son ouïe n’en percevait aucun son. Il était littéralement dans un état second, tant le choc avait quelque chose de sismique. Où allait-il ? Le savait-il lui-même en ces instants d’incertitude ?

 

Il marchait au hasard, ne sachant nullement où il allait. Il la vit ! Il la vit, comme une apparition surnaturelle qui lui parlait, le toucher. Peu à peu, il s’habituait à cette vision merveilleuse, féerique. Il la suivait des yeux, puis ses pensées prenaient imperceptiblement de l’ordre, son cœur commença à battre à son rythme normal. Alors, il sortit  de sa torpeur, son cerveau se mit à fonctionner de nouveau. Puis, il s’écria de toutes ses forces : Pauline. Elle s’arrêta, se retourna, resta immobile. Sa surprise était faite d’éblouissement et d’émerveillement, comme le soleil qui apparaitrait soudain dans la nuit. Elle ne croyait plus au retour de son amour et elle en était si heureuse. Il alla vers elle, sans gambader, ni courir, mais au pas d’un seigneur sûr de retrouver celle qui l’aimait. « Allons au jardin public, dit-il ».

 

Ils se tenaient par les bras, souriants et allègres, légers comme des feuilles de printemps, pleines de vie et de sève. Ils marchaient comme des anges, à la félicité divine, comblés par la grâce de dieu. Au jardin public, les roses épanouies leur souriaient, dansaient pour eux, au souffle de la brise légère du matin, les conviaient à l’amour éternel, les encensaient de leurs parfums enivrants. Sur leur banc d’accueil, ils s’oubliaient dans la douceur du moment qu’ils espéraient ne jamais s’achever. Pris dans l’enchantement, ils voyageaient dans les espaces aériens. Ils étaient heureux, s’aimaient seulement des yeux. Elle lui caressait les cheveux, Il la tenait par la hanche. Il ne voulait pas la posséder, fidèle au serment qu’il s’était donné pour lui éviter des illusions douloureuses. Elle ne le tentait pas, par respect à ce pacte auquel elle n’avait pas souscrit. Ils restèrent ainsi plus de deux heures en espérant d’autres moments similaires. Mais se reproduiraient-ils ces moments ? Ils n’en savaient rien. Ils s’en allèrent et chacun prit la voie de son destin.

                                   

Il fallait ce miracle de l’amour pour opérer la mue certaine dans l’état d’abattement dans lequel se trouvait momentanément Hamza et nul ne pouvait prédire combien celui-ci pourrait-il durer. Le jeune homme reprit vite ses esprits. Il était de nouveau maitre de sa boussole. Il partait droit devant son objectif, conférer avec ses compagnons, mettre au point ce qui ne l’avait pas été, fixer la date de la confrontation armée. Son courage n’avait nullement failli, sa volonté était de fer. Sur le plan du mental, il était ce guerrier intrépide. Il souriait à cette pensée. Il manquait d’expérience. Il ne savait pas que la guerre réservait les plus sinistres surprises qui n’étaient jamais du goût du soldat.

 

Hamza quitta le village et s’engagea à pied vers la forêt.  Après deux heures de marche, il arriva à la périphérie des gourbis. Des enfants jouaient. Ils étaient peut-être une dizaine. Dès qu’ils le  virent, ils sautèrent de joie. Désormais, Hamza était connu de tous, grâce à ses fréquentes visites. L’un d’eux lui dit que Mabrouk était à la clairière, avec quelques hommes. Il échangea deux ou trois mots avec eux et se dépêcha de rejoindre ses compagnons, qui étaient une dizaine et semblaient tenir une réunion. Ils furent joyeux de le voir et le prièrent de s’asseoir. Il fut rapidement associé à la discussion. L’un et l’autre prenaient la parole. Ils étaient loin de l’unanimité de l’action armée. Certains proposaient d’adresser une ultime requête au gouverneur général. D’autres prétendaient qu’ils étaient  malades. Hamza observa les uns et les autres et se rendit compte à l’évidence que ses compagnons ne possédaient nullement le tempérament guerrier de leurs pères. Il en était déçu et se mit en devoir de faire un autre prêche sur le djihad. Enfin, un consensus fut trouvé : ils mèneront leur combat au printemps suivant, pendant les fêtes festives. Sur cette résolution, ils se séparèrent et Hamza rentra chez lui content de l’accord entériné.

 

Vint le vingt-deux avril, journée qui était gaie. La nature elle-même souriait, le soleil se faisait plus clément, le vent frais soufflait, les fleurs s’épanouissaient, les feuilles d’arbres ou des légumes verdissaient avec éclat, un merle sifflait, un rossignol roucoulait, l’aigle planait fièrement, l’abeille bourdonnait, la guêpe construisait sa ruche en coquillage, le chant d’oiseaux ne cessait pas. Qui ne pourrait aimer notre mère nature quand elle nous prodiguait ses dons cléments et généreux ? Partout l’individu voyait la beauté ; mais l’artiste la pénétrait, lui donnait l’âme, un nouveau corps, une nouvelle vie ; il l’interprétait, l’exposait pour nous rapprocher davantage de notre mère nature que nous devons aimer comme notre propre chair, préserver contre les effets dévastateurs, contre les abus dans nos propres besoins. Elle n’avait pas les moyens de se défendre ; nous les avions. Nous disposions plus que jamais du savoir et des bras pour l’élever dans nos bras. Elle n’en sera que prodigue.

En forêt, dans le territoire des Righa, les gourbis étaient disséminés un peu partout, construits en terre sèche, en contrefort d’une petite élévation, couverts de toits en bois, composés de deux chambres spacieuses au plus, enchâssés de portes basses et peu larges,  couronnés par une cheminée difforme et rarement groupés en quatre ou cinq, en raison de l’exigüité de l’espace. La tribu était matinale et trop affairée, dans l’air des grandes aumônes qu’elle donnait pour ses saints.

 

Les femmes activaient chez elles, préparaient le petit déjeuner dont l’odeur sortait par les portes ouvertes et creusait l’estomac, ou encore elles étaient accrochées au métier à tisser dont on entendait le peigne à fer cogner l’effet en ouvrage. Certaines surveillaient une marmite qui fumait à l’air libre et profitaient pour se réchauffer au soleil. Elles étaient toutes jolies et adorables. Elles conservaient leur embonpoint, se souciaient à se donner l’apparat que l’homme désirait et la forêt fournissait l’écorce de noyer qu’elles mâchaient pour se teinter les lèvres d’un violet ensorcelant et la garance qu’elles appliquaient en pommade sur leurs joues. Elles portaient de longues robes, les unes moins belles que les autres, un cardigan à moitié boutonné pour aérer la poitrine, un châle, un foulard, des sandales et rien de plus, mais ça leur tenait chaud.

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Margueritte revisitée 26 avril 1901 t1 ahmed bencherif

5 janvier, 2020
Marguerite t/1; t/2 | Pas de réponses »

Chapitre 2

Au  village

 

 

Quelques jours plus tard, le marabout prenait du thé, au matin, dans sa maison. Calme et souriant, sobre en paroles, le chapelet à la main, assis, les jambes croisées, il discutait avec sa mère d’une alliance qu’il projetait avec la riche et puissante tribu des Beni Menaceur dont il attendait les émissaires, d’un moment à l’autre. Le parti était influent dans la société et les gens ne pouvaient mieux espérer. Mais, la famille maraboutique, moins riche,  ne l’était pas moins et ne contractait pas mariage qu’avec un choix rigoureux, longue tradition, héritée de père en fils, et à laquelle elle se conformait. Fatima, adorablement gaie, sortit de sa chambre et ramena, plié dans ses bras, le burnous nouvellement tissé qu’elle remit à son mari pour l’essayer. L’habit, qui coûtait trente francs, était merveilleusement exécuté, fin et lisse, de laine très blanche et à rayures de soie bleu éther. Il  se leva, le porta sur ses épaules larges, se coiffa du capuchon dont il plia le rebord et demanda à sa femme s’il lui seyait. Elle répondit par une phrase toute simple sans oser l’appeler, par son nom ou son qualificatif d’époux : « il te va fort bien et épouse ta haute stature ».

 

-   Que Dieu te bénisse fille de Menaceur, relança le Moqadem. Alors, qu’en dis-tu pour la main de ta fille que tes gens demandent pour le fils de Hadj Kadda ? C’est une famille de grands pasteurs qui sont bien.

 

-   Elle devra vivre à la campagne sous une tente, alors qu’elle a grandi dans une maison. Elle sera loin de moi et je ne pourrai la voir tous les jours, se plaignit Fatima.

 

-   Tu la verras à diverses occasions. Je sais une chose : c’est qu’ils prendront grand soin de Zahra. Ils sont des gens d’honneur qui nous respectent énormément. Qu’en pense Zahra ?

-    Elle ne s’oppose pas, mais je ne sais pas si elle est sincère avec elle-même. Ma fille est si petite.

 

-    O fille des gens, pas de complaintes. Toi-même, je t’ai épousée à son âge et tu as grandi sous ma bienveillante éducation. Cela a beaucoup servi notre harmonie conjugale. Va l’appeler. Je dois connaître son avis, la religion le prescrit formellement et nous ne ferons que ce qui contentera Allah.

 

Dans la cuisine, Leila faisait cuir des crêpes sur une poêle en fonte qui lui brûlait souvent les doigts par inattention, tant elle languissait de jalousie que lui provoquait la douillette séance de sa rivale avec le mari commun. Zahra essuyait les verres à thé et l’argenterie, l’air pensif et sans grand enthousiasme à l’idée de fonder précocement un foyer. Elle était apparemment heureuse et souriait parfois. Fatima entra, elle accompagna Zahra à la salle de séjour. Celle-ci se trouvait embarrassée, dominée par la timidité. Le père la serra chaleureusement dans ses bras en souriant allègrement. Elle s’assit ensuite à coté de lui, tout à fait distraite, désireuse d’aller jouer à la marelle dans la rue avec ses copines. La décision qu’on lui demandait de prendre était majeure et elle ne pouvait pas la donner de son plein arbitre.  Aussi, elle devait se ranger à l’avis de ses parents.

 

-   Hadj Kadda, l’un de tes oncles maternels, demande ta main pour son fils, Mokhtar,  dit-il. Qu’en penses-tu ? Tu vivras comme épouse dans une grande famille et je n’aurai rien à craindre pour toi.

 

-    Tu es seul juge de ce qui me convient. Mais tu viendras me voir tout le temps.

-    N’aie aucune crainte, nous viendrons souvent. Que Dieu bénisse alors cette union !

 

La grand-mère avait de la peine pour sa petite fille qu’elle dorlotait encore dans son giron, lui caressait les cheveux, lui disait des contes de fée, l’emmenait au bain maure, l’accompagnait dans ses visites familiales. Cette séparation l’attristait. La fille, qui fondait un foyer, faisait tour à tour de la joie et de l’amertume dans sa famille. Zahra se retira, terriblement confuse, et la discussion se poursuivit agréablement sur le choix des bijoux et des vêtements de la future mariée. Ils voulaient tous faire les choses en grand. Hamza, qui voyait sa soeur grandir, en était content et tenait à la parer comme une princesse.

 

L’heure d’arrivée des hôtes était imminente et on s’impatientait. On frappa enfin à la porte, Hamza marcha d’un pas rapide et l’ouvrit. Les émissaires arrivèrent : la mère, la tante paternelle et un jeune frère du fiancé. Ils furent reçus au rez-de-chaussée, dans la salle séjour. Ils ramenèrent du thé, du sucre et du café, comme de coutume. Les négociations étaient plus tôt d’usage féminin pour débattre de la valeur de la dot. La famille maraboutique, qui s’élevait au-dessus de toute cupidité, ne posa aucune condition et en laissa l’appréciation aux futurs alliés. Les visiteuses rassurèrent leurs hôtesses en disant que Zahra sera traitée comme leur propre fille. Le contrat entériné sans henné, elles demandèrent à voir la fiancée. Celle-ci fut appelée et entra, radieuse et élégante dans une nouvelle robe. la future belle-mère dit d’un ton pieux  « Dieu l’a voulu ! » Elle l’embrassa et la fit asseoir près d’elle. L’union avec les gens de baraka, que recherchait tout le monde, la comblait.

 

Les pourparlers préliminaires achevés, Fatima rejoignit son mari au patio et lui dit que tout était pour le meilleur du monde, puis elle se retira. Le Moqadem consulta sa montre de poche : elle indiquait dix heures. La matinée était loin d’être achevée et ses affaires l’appelaient. « Allons, mon fils à la boutique, dit-il ». Ils sortirent, marchèrent un peu dans une rue étroite qui grouillait de petits enfants. Ils quittèrent le quartier indigène, s’engagèrent dans le quartier européen, traversèrent deux îlots urbains dont les maisons étaient couvertes de tuiles rouges, croisèrent deux Françaises qui les saluèrent en disant : « Bonjour monsieur le Moqadem ». Ils débouchèrent ensuite sur le boulevard du maréchal Bugeaud, jalonné d’abord de villas, d’édifices publics, de bars et de deux boulangeries.  Ils laissèrent la rue transversale du maréchal Pélissier, lotie de commerces multiples et de revendeurs de vins et arrivèrent enfin dans la rue du maréchal Saint-Arnaud, bruyante par deux cafés maures, divers métiers et boutiques indigènes.

 

Le magasin du Moqadem était grand, situé au centre névralgique des activités. Il était profond et prenait beaucoup de largeur sur la façade où s’ouvraient deux portes à double battant. Une moitié écoulait les produits alimentaires, l’autre, les tissus et confections. Sa clientèle était nombreuse, intéressée par les prix raisonnables, la qualité et les nouveautés. Les Musulmans s’y approvisionnaient, les Européens, aussi. Les Françaises ne cessaient pas d’y défiler, intéressées par les tissus d’ameublement et autres accessoires. La relation commerçante ne souffrait d’aucun préjugé, ni d’un quelconque ressentiment. Les clients repartaient, avec bonhomie et revenaient toujours. Jamais quelqu’un ne s’était plaint de la plus minime tricherie. Il y avait de la prospérité, dûe à la personnalité de son propriétaire qui réprouvait la spéculation et le dol. En ce moment, la boutique grouillait de monde. Slimane ne savait plus où donner de la tête, tantôt dans un rayon, tantôt dans l’autre. L’arrivée de son père lui donna une heureuse satisfaction. Trois Françaises, qui désiraient acheter du tissu, ne cachèrent pas la leur. Sans attendre, le Moqadem passa à son rayonnage. Il avait appris à baragouiner le Français, juste pour converser avec ses clients. Son accent, qui cassait les voyelles, plaisait à ses interlocuteurs qui souriaient seulement.

 

Des voix s’écriaient précipitées : « un litre d’huile, un kilo de sucre, une livre de beurre, deux kilos de farine, une demi livre de levure… » Slimane servait et tenait tour à tour la caisse. Cela requérait à chaque instant de l’endurance et de la persévérance, car les nerfs flanchent aisément dans ces situations.  Hamza prenait la main au commerce. Cependant,   il s’ennuyait à remplir les bouteilles ou les petits bidon avec de l’huile qui lui salissait les mains. Le Moqadem s’occupait des trois Européennes dont deux désiraient les tissus. Il leur montra les différents choix en velours, soie, coton, chanvre. Ce dernier article, qui était fabriqué à Tizi Ouzou, se vendait très cher. L’une acheta de quoi faire une robe de soirée en velours, l’autre, en soie.

 

La clientèle servie, le Moqadem s’assit sur la chaise, près de son bureau à tiroirs qui contenaient divers documents, tel le registre de commerce et les factures. Il entreprit d’égrener lentement son chapelet, en marmonnant des louanges. Il pratiquait ce rituel plusieurs fois par jour, aux moments creux en bon aspirant confrérique. Il le faisait aussi, quand il se sentait ennuyé et cela lui procurait de la sérénité. Il s’initia, dès son jeune age, sous la direction spirituelle de son père et, voilà trente ans, qu’il fut consacré Moqadem de la zaouïa Taybia, la plus ancienne en Afrique du Nord.

 

La confrérie Taybiya fut fondée au 8ème siècle par la plus grande sommité soufi, Idriss, Ben Abdallah, Ben Hacen, Ben Hacen, Ben Ali, le quatrième khalife. Idriss, qui vivait à Médine, avait participé à une révolution menée, en 760 de l’ère chrétienne, par son frère Mohamed contre la tyrannie des Abbassides qui persécutaient les Alides. Le Khalife Abbasside, Al Mansour, l’écrasa dans le sang et mis en prison un bon nombre d’entre eux, dont Idriss, son frère, Brahim, et leur père Abdallah. Ces deux derniers furent tués dans la prison souterraine de Kouffa. La providence accompagnait Idriiss, lequel s’échappa miraculeusement à ses geôliers. Pour son salut, il immigra en Egypte, puis il regagna l’Ouest du Maghreb et fut investi par les tribus berbères comme sultan, en raison de l’odeur de sainteté de ses aïeux. Il fonda Volubilis (Meknes) et Promarium (Tlemcen) et créa la confrérie qui lui avait permis de mener la tâche complexe d’islamisation des tribus et de la diffusion de la langue arabe. Sa renommée dépassa tôt le cadre territorial de L’Afrique du Nord et parvint au Khalife de Bagdad, Al Mansour. Celui-ci dépêcha ses espions pour le tuer. Ceux-ci firent le trajet, travestis en aspirants confrériques et rencontrèrent Idriss 1er à Tlemcen, au lieu dit Ain El Hout et lui administrèrent un poison mortel, en l’an  774. Ses restes sacrés y furent inhumés dans un sanctuaire. Sa femme, qui était enceinte de trois mois, s’évada à Meknes  où elle fut recueillie par la famille régnante. Elle mit au monde son enfant qu’elle baptisa Idriss. La confrérie connut un grand essor au 17ème siècle, sous la direction spirituelle du grand maître, Moulay Tayeb descendant Idrissite, qui fonda la célèbre université de Dar Damana, d’où le nom de Taybia.

 

Le rôle de la zaouïa fut de tout temps éducatif et social : c’est le collège qui diffuse l’instruction publique gratuite, enseigne les sciences sociales, appliquées et religieuses ; c’est la maison de charité pour les pauvres, sans distinction de race, ni de religion ; c’est le séminaire qui inculque aux adeptes les vertus, la persévérance et la tolérance. Le Cheikh (maître) exerce l’autorité spirituelle, secondé par des Moqadem, lesquels sont choisis après une longue initiation caractérisée par une remise en cause de soi de tous les instants. Ces hommes sont d’une moralité exceptionnelle et l’hagiographie ne rapporta aucune disgrâce pour quelque raison que ce fût, la rigueur étant la règle de conduite de chacun.

 

Margueritte revisitée 26 avril 1901.t.1 ahmed bencherif

2 janvier, 2020
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Chapitre 2

Au  village

 

 

Quelques jours plus tard, le marabout prenait du thé, au matin, dans sa maison. Calme et souriant, sobre en paroles, le chapelet à la main, assis, les jambes croisées, il discutait avec sa mère d’une alliance qu’il projetait avec la riche et puissante tribu des Beni Menaceur dont il attendait les émissaires, d’un moment à l’autre. Le parti était influent dans la société et les gens ne pouvaient mieux espérer. Mais, la famille maraboutique, moins riche,  ne l’était pas moins et ne contractait pas mariage qu’avec un choix rigoureux, longue tradition, héritée de père en fils, et à laquelle elle se conformait. Fatima, adorablement gaie, sortit de sa chambre et ramena, plié dans ses bras, le burnous nouvellement tissé qu’elle remit à son mari pour l’essayer. L’habit, qui coûtait trente francs, était merveilleusement exécuté, fin et lisse, de laine très blanche et à rayures de soie bleu éther. Il  se leva, le porta sur ses épaules larges, se coiffa du capuchon dont il plia le rebord et demanda à sa femme s’il lui seyait. Elle répondit par une phrase toute simple sans oser l’appeler, par son nom ou son qualificatif d’époux : « il te va fort bien et épouse ta haute stature ».

 

-   Que Dieu te bénisse fille de Menaceur, relança le Moqadem. Alors, qu’en dis-tu pour la main de ta fille que tes gens demandent pour le fils de Hadj Kadda ? C’est une famille de grands pasteurs qui sont bien.

 

-   Elle devra vivre à la campagne sous une tente, alors qu’elle a grandi dans une maison. Elle sera loin de moi et je ne pourrai la voir tous les jours, se plaignit Fatima.

 

-   Tu la verras à diverses occasions. Je sais une chose : c’est qu’ils prendront grand soin de Zahra. Ils sont des gens d’honneur qui nous respectent énormément. Qu’en pense Zahra ?

-    Elle ne s’oppose pas, mais je ne sais pas si elle est sincère avec elle-même. Ma fille est si petite.

 

-    O fille des gens, pas de complaintes. Toi-même, je t’ai épousée à son âge et tu as grandi sous ma bienveillante éducation. Cela a beaucoup servi notre harmonie conjugale. Va l’appeler. Je dois connaître son avis, la religion le prescrit formellement et nous ne ferons que ce qui contentera Allah.

 

Dans la cuisine, Leila faisait cuir des crêpes sur une poêle en fonte qui lui brûlait souvent les doigts par inattention, tant elle languissait de jalousie que lui provoquait la douillette séance de sa rivale avec le mari commun. Zahra essuyait les verres à thé et l’argenterie, l’air pensif et sans grand enthousiasme à l’idée de fonder précocement un foyer. Elle était apparemment heureuse et souriait parfois. Fatima entra, elle accompagna Zahra à la salle de séjour. Celle-ci se trouvait embarrassée, dominée par la timidité. Le père la serra chaleureusement dans ses bras en souriant allègrement. Elle s’assit ensuite à coté de lui, tout à fait distraite, désireuse d’aller jouer à la marelle dans la rue avec ses copines. La décision qu’on lui demandait de prendre était majeure et elle ne pouvait pas la donner de son plein arbitre.  Aussi, elle devait se ranger à l’avis de ses parents.

 

-   Hadj Kadda, l’un de tes oncles maternels, demande ta main pour son fils, Mokhtar,  dit-il. Qu’en penses-tu ? Tu vivras comme épouse dans une grande famille et je n’aurai rien à craindre pour toi.

 

-    Tu es seul juge de ce qui me convient. Mais tu viendras me voir tout le temps.

-    N’aie aucune crainte, nous viendrons souvent. Que Dieu bénisse alors cette union !

 

La grand-mère avait de la peine pour sa petite fille qu’elle dorlotait encore dans son giron, lui caressait les cheveux, lui disait des contes de fée, l’emmenait au bain maure, l’accompagnait dans ses visites familiales. Cette séparation l’attristait. La fille, qui fondait un foyer, faisait tour à tour de la joie et de l’amertume dans sa famille. Zahra se retira, terriblement confuse, et la discussion se poursuivit agréablement sur le choix des bijoux et des vêtements de la future mariée. Ils voulaient tous faire les choses en grand. Hamza, qui voyait sa soeur grandir, en était content et tenait à la parer comme une princesse.

 

L’heure d’arrivée des hôtes était imminente et on s’impatientait. On frappa enfin à la porte, Hamza marcha d’un pas rapide et l’ouvrit. Les émissaires arrivèrent : la mère, la tante paternelle et un jeune frère du fiancé. Ils furent reçus au rez-de-chaussée, dans la salle séjour. Ils ramenèrent du thé, du sucre et du café, comme de coutume. Les négociations étaient plus tôt d’usage féminin pour débattre de la valeur de la dot. La famille maraboutique, qui s’élevait au-dessus de toute cupidité, ne posa aucune condition et en laissa l’appréciation aux futurs alliés. Les visiteuses rassurèrent leurs hôtesses en disant que Zahra sera traitée comme leur propre fille. Le contrat entériné sans henné, elles demandèrent à voir la fiancée. Celle-ci fut appelée et entra, radieuse et élégante dans une nouvelle robe. la future belle-mère dit d’un ton pieux  « Dieu l’a voulu ! » Elle l’embrassa et la fit asseoir près d’elle. L’union avec les gens de baraka, que recherchait tout le monde, la comblait.

 

Les pourparlers préliminaires achevés, Fatima rejoignit son mari au patio et lui dit que tout était pour le meilleur du monde, puis elle se retira. Le Moqadem consulta sa montre de poche : elle indiquait dix heures. La matinée était loin d’être achevée et ses affaires l’appelaient. « Allons, mon fils à la boutique, dit-il ». Ils sortirent, marchèrent un peu dans une rue étroite qui grouillait de petits enfants. Ils quittèrent le quartier indigène, s’engagèrent dans le quartier européen, traversèrent deux îlots urbains dont les maisons étaient couvertes de tuiles rouges, croisèrent deux Françaises qui les saluèrent en disant : « Bonjour monsieur le Moqadem ». Ils débouchèrent ensuite sur le boulevard du maréchal Bugeaud, jalonné d’abord de villas, d’édifices publics, de bars et de deux boulangeries.  Ils laissèrent la rue transversale du maréchal Pélissier, lotie de commerces multiples et de revendeurs de vins et arrivèrent enfin dans la rue du maréchal Saint-Arnaud, bruyante par deux cafés maures, divers métiers et boutiques indigènes.

 

Le magasin du Moqadem était grand, situé au centre névralgique des activités. Il était profond et prenait beaucoup de largeur sur la façade où s’ouvraient deux portes à double battant. Une moitié écoulait les produits alimentaires, l’autre, les tissus et confections. Sa clientèle était nombreuse, intéressée par les prix raisonnables, la qualité et les nouveautés. Les Musulmans s’y approvisionnaient, les Européens, aussi. Les Françaises ne cessaient pas d’y défiler, intéressées par les tissus d’ameublement et autres accessoires. La relation commerçante ne souffrait d’aucun préjugé, ni d’un quelconque ressentiment. Les clients repartaient, avec bonhomie et revenaient toujours. Jamais quelqu’un ne s’était plaint de la plus minime tricherie. Il y avait de la prospérité, dûe à la personnalité de son propriétaire qui réprouvait la spéculation et le dol. En ce moment, la boutique grouillait de monde. Slimane ne savait plus où donner de la tête, tantôt dans un rayon, tantôt dans l’autre. L’arrivée de son père lui donna une heureuse satisfaction. Trois Françaises, qui désiraient acheter du tissu, ne cachèrent pas la leur. Sans attendre, le Moqadem passa à son rayonnage. Il avait appris à baragouiner le Français, juste pour converser avec ses clients. Son accent, qui cassait les voyelles, plaisait à ses interlocuteurs qui souriaient seulement.

 

Des voix s’écriaient précipitées : « un litre d’huile, un kilo de sucre, une livre de beurre, deux kilos de farine, une demi livre de levure… » Slimane servait et tenait tour à tour la caisse. Cela requérait à chaque instant de l’endurance et de la persévérance, car les nerfs flanchent aisément dans ces situations.  Hamza prenait la main au commerce. Cependant,   il s’ennuyait à remplir les bouteilles ou les petits bidon avec de l’huile qui lui salissait les mains. Le Moqadem s’occupait des trois Européennes dont deux désiraient les tissus. Il leur montra les différents choix en velours, soie, coton, chanvre. Ce dernier article, qui était fabriqué à Tizi Ouzou, se vendait très cher. L’une acheta de quoi faire une robe de soirée en velours, l’autre, en soie.

 

La clientèle servie, le Moqadem s’assit sur la chaise, près de son bureau à tiroirs qui contenaient divers documents, tel le registre de commerce et les factures. Il entreprit d’égrener lentement son chapelet, en marmonnant des louanges. Il pratiquait ce rituel plusieurs fois par jour, aux moments creux en bon aspirant confrérique. Il le faisait aussi, quand il se sentait ennuyé et cela lui procurait de la sérénité. Il s’initia, dès son jeune age, sous la direction spirituelle de son père et, voilà trente ans, qu’il fut consacré Moqadem de la zaouïa Taybia, la plus ancienne en Afrique du Nord.

 

La confrérie Taybiya fut fondée au 8ème siècle par la plus grande sommité soufi, Idriss, Ben Abdallah, Ben Hacen, Ben Hacen, Ben Ali, le quatrième khalife. Idriss, qui vivait à Médine, avait participé à une révolution menée, en 760 de l’ère chrétienne, par son frère Mohamed contre la tyrannie des Abbassides qui persécutaient les Alides. Le Khalife Abbasside, Al Mansour, l’écrasa dans le sang et mis en prison un bon nombre d’entre eux, dont Idriss, son frère, Brahim, et leur père Abdallah. Ces deux derniers furent tués dans la prison souterraine de Kouffa. La providence accompagnait Idriiss, lequel s’échappa miraculeusement à ses geôliers. Pour son salut, il immigra en Egypte, puis il regagna l’Ouest du Maghreb et fut investi par les tribus berbères comme sultan, en raison de l’odeur de sainteté de ses aïeux. Il fonda Volubilis (Meknes) et Promarium (Tlemcen) et créa la confrérie qui lui avait permis de mener la tâche complexe d’islamisation des tribus et de la diffusion de la langue arabe. Sa renommée dépassa tôt le cadre territorial de L’Afrique du Nord et parvint au Khalife de Bagdad, Al Mansour. Celui-ci dépêcha ses espions pour le tuer. Ceux-ci firent le trajet, travestis en aspirants confrériques et rencontrèrent Idriss 1er à Tlemcen, au lieu dit Ain El Hout et lui administrèrent un poison mortel, en l’an  774. Ses restes sacrés y furent inhumés dans un sanctuaire. Sa femme, qui était enceinte de trois mois, s’évada à Meknes  où elle fut recueillie par la famille régnante. Elle mit au monde son enfant qu’elle baptisa Idriss. La confrérie connut un grand essor au 17ème siècle, sous la direction spirituelle du grand maître, Moulay Tayeb descendant Idrissite, qui fonda la célèbre université de Dar Damana, d’où le nom de Taybia.

conférence Margueritte univsersité Khemis Meliana, ahmed bencherif

15 octobre, 2019
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                                                          Texte de conférence

                                           L’insurrection des Righa 26 avril 1901

                                              Exhumée des archives françaises

                             Présentée à l’université Khemis Meliana

                                   Mardi 8 octobre 2019       

 

 

        Margueritte

Margueritte représente d’abord un lieu. C’est un petit village colonial, créé en 1880 à proximité des mines de fer du Zaccar, massif montagneux, proche des plaines fertiles de Meliana, ville antique carthaginoise, siège de la sous-préfecture,  de la subdivision militaire qui fut commandée par le général Margueritte, avant l’année 1870 où il périt à la bataille de Sedan, lors de la défaite de l’armée française face à l’armée prussienne. Les colons avaient donc baptisé ce nouveau village du nom de Margueritte, en remplacement du nom originel, Ain-Torki. C’est ensuite une affaire de justice, individualisée comme l’affaire de Margueritte, qui avait mobilisé les opinions publiques métropolitaines et coloniales pour le procès des insurgés de Marguerite, à la cour d’assises de Montpellier. C’est aussi la découverte du drame colonial par l’opinion métropolitaine, après soixante-dix ans de colonisation. Elle fut déclenchée par la tribu forestière des Righa qui ne pouvait plus supporter les oppressions du régime forestier.

I   L’insurrection

            a. Les causes de l’insurrection.

Les Righa furent frappés de dépossessions massives successives dès l’application du sénatus-consulte de 1864, puis en 1877 et en 1881 pour un total foncier de 3.262 has. Le pouvoir colonial innova ses procédures d’expropriations brutales qui s’inscrivirent dans le cadre de la loi vraiment scélérate qui permettait aux colons de racheter des terres agricoles aux Indigènes. Ce qu’il appelait la licitation, terme vraiment juridique. Il obligeait les fellahs à vendre des terres à un vil prix, très insignifiant en valeur, à raison de 100 frs/’ha. Sauf qu’après paiement des frais d’enregistrement, il ne leur restait plus rien. La licitation,  consentie au colon et adjoint spécial Jenoudet, toucha 116 has pour un prix total de 1.650 frs sur lequel 1630 frs ont été retenus à la source comme frais d’enregistrement. Donc, il ne restait que 20 frs à percevoir par le vendeur. Le total des superficies vendues sous le coup de cette loi était de 3.329 has. Sur 1.011 has vendus pour un montant de 21.209 frs, ils payèrent 21.029 frs de frais d’enregistrement. Le reste à percevoir était de 875 frs à répartir entre 366 copropriétaires. En 1900, les Righa ne possédaient plus que 4.006 has pour une population de 3200 âmes. Ils  avaient perdu depuis 1864 un foncier de 6.000 has. A la même date, leur cheptel était de : 1.122 bovins, 1.537 moutons, 3.891 chèvres. Alors que le douar possédait en 1868 : 2.012 bovins, 10.934 moutons, 4.776 chèvres pour une population de 2.000 âmes.

 

      b. Préliminaires.

Vivre dans cette forêt était signe de précarité existentielle, aggravée par l’ignorance et l’illettrisme délibérés, entretenus comme mode d’oppressions permanentes. En effet, il n’existait ni mosquée ni écoles coraniques pour les combattre. La raison était donc absente et l’ombre de l’extrémisme planait. Néanmoins, le Coran et la pratique religieuse étaient l’œuvre de la transmission orale, véhiculés par le soufisme dont les saints patrons, qui étaient des doctes pluridisciplinaires, avaient fondé partout en Algérie leurs zaouïas jusqu’au XVIII siècle. Ce fut une majeure opportunité pour les populations campagnardes de conserver leurs valeurs arabo-musulmanes. La Tribu ne pouvait échapper à cette dynamique hagiographique et était donc affiliée à la confrérie Rahmaniya. De plus, elle avait deux saints patrons dans son territoire auxquels elle rendait hommage annuellement en donnant des aumônes votives au mois d’avril. Que leur fallait-il faire devant la surdité de leur bourreau, quand ils avaient été au  bout de leur colère revendicative, si ce n’est prendre les armes ? La tribu célèbre ses santons sidi Djillali et sidi Bouzar en offrant une aumône votive le 23 et le 25 avril. Ces rencontres avaient le caractère d’échanger des nouvelles, d’écouter un prédicateur, les maximes d’un sage, les oppressions subies par les uns et les autres. De ce fait, elles inquiétaient le pouvoir colonial qui les subordonnait à son autorisation expresse. Cette année, les Righa ne la sollicitèrent point. A la deuxième fête, trente hommes avaient décidé de faire l’insurrection, de façon mal étudiée, sans plan sommaire qui fixe les moyens et les objectifs. Les armes ne leur posaient pas de problème, car ils en avaient.

      c. Prise d’armes.

Le lendemain, 25 avril jour de vendredi, ce premier peloton de 30 hommes marchait sur le village, incessamment rejoint par d’autres qui, avisés la veille, sortaient individuellement de la forêt.  En temps record, il atteignit un effectif de 125 insurgés. Ils étaient tous armés de fusils, de sabres, de poignards. Ils assiégèrent le village de Margueritte. Ils étaient fous de colère, criaient, menaçaient dans le désordre. Ils firent sortir les habitants sur la place publique, fouillèrent les maisons à la recherche d’armes. Les Européens paniquèrent donnèrent leur argent aux insurgés, leurs femmes ôtèrent leurs bijoux et firent de même. Les insurgés refusèrent noblement l’argent et l’or et dirent qu’ils n’en avaient pas besoin. Ils étaient fous furieux, criaient vengeance. Ils tabassèrent quelques-uns dont Jenoudet, l’adjoint spécial, qu’ils voulurent tuer. Mabrouk put le sauver de mort certaine. Mais les deux chefs insurrectionnels, Hamza et Mabrouk, ne purent maitriser leur troupe déchainée. Alors arriva un dérapage, un acte fanatique. Ils sommèrent les Européens à excommunier et à prononcer la profession de l’islam. Les Européens, hommes et femmes, s’exécutèrent et furent habillés de burnous. Cinq autres n’avaient pas obtempéré soit par méconnaissance de l’arabe, soit par conviction dans leur foi chrétienne. Ils furent aussitôt égorgés. Dans le chaos, le postier s’était faufilé et avait regagné la poste et avisa la subdivision militaire de Meliana.  Le soir à  17 heures, la compagnie des Tirailleurs arriva, libéra les assiégés et pourchassa les insurgés dans la forêt. Ils perdirent un soldat et tuèrent seize insurgés. Dans leur traque, ils pillèrent, saccagèrent, violèrent des femmes. Ils capturèrent un grand nombre de suspects dont les révoltés et les ramenèrent au village.

      c    Ratissage   

Les forces engagées étaient inouïes. Des centaines de soldats et de cavaliers traversèrent le petit le village. C’était une démonstration de force qui donnait un sévère avertissement aux gens que pourrait animer l’esprit séditieux. Elles marchaient en formations avec une grande discipline, une confiance en soi, une rigueur de combat que ne possédaient pas nos malheureux insurgés. Leur mission était de faire de grandes battues et de ramener le plus grand nombre possible d’accusés et de suspects. Elles entraient résolument en guerre dans le mont du Zaccar et ses forêts. Jamais de mémoire, une force aussi grande n’avait été vue en opération même dans les premières années de la conquête où sidi Mohamed Benallal, lieutenant de l’émir Abdelkader, s’était vaillamment distingué par son héroïsme, son combat, son sacrifice.

 

Les Zouaves étaient les premiers qui avaient traversé la grande rue, sous l’œil médusé des indigènes et l’œil ébloui des colons. Deux  compagnies de tirailleurs les suivirent qui étaient dénombrées au moins à quatre cents soldats. Elles étaient venues d’Orléansville. Enfin ce fut le tour à un escadron des chasseurs d’Afrique de Blida qui faisait plus de deux cents éléments.  Ces forces déployées n’avaient pas du tout une simple mission de police pour arrêter quelques rebelles en fuite dans la nature. Elles avaient pour mission de terroriser les populations et de faire un grand ratissage en bonne et due forme. Elles étaient carrément en opération guerrière. Elles devaient frapper fort et vite et obtenir les résultats satisfaisants en un temps record. Leur commandement était confié au lieutenant-colonel Pierre Léré du 1er régiment des tirailleurs algériens. Ainsi, près de huit cents soldats armés et aguerris avaient quadrillé résolument le territoire des Righa que peuplaient à peine trois mille âmes, dont les vieillards, femmes et enfants. Ils n’avaient laissé aucune liberté de mouvement à ces malheureux habitants, terrorisés dans l’ensemble et qui souffraient profondément d’un fort sentiment de  culpabilité.

 

Ils avaient dépouillé et violé des femmes, sans défense qu’ils trainaient de force dans les fourrés. Combien étaient-elles ces malheureuses. Le saurait-on jamais ? Elles en étaient traumatisées à vie et portaient en leurs âmes cet affront dont elles ne pouvaient jamais dévoiler l’existence. Car, elles devaient vivre et  vivre avec. Les auxiliaires avaient tué des hommes, ils tiraient sans sommation. C’étaient des sanguinaires, de mercenaires criminels qui n’étaient nullement justiciables. Combien, ils en avaient tué ? Dix, vingt ou quatre-vingts individus. Certains Zouaves avaient confessé, autour d’un verre de  vin, avoir tué quatre-vingt indigènes.

         II Information judiciaire

Les magistrats reprirent leurs instructions préparatoires, en collaboration avec les gendarmes. Une foule immense était là : des accusés, des victimes, des témoins, des gardes. On aurait dit un vrai carnaval qui ne faisait nullement rire, tant son tragique inouï dépassait l’entendement. La pierre angulaire de cette procédure reposait essentiellement sur la dénonciation publique, décriée en elle-même par les Libéraux, comme étant une perversion de la démocratie. Si elle était autorisée dans son fondement juridique, elle ne garantissait aucunement le droit à la défense de l’accusé.

 

Le procureur de la république Poinsier était en quelque sorte le chef d’une partition gravissime et complexe pour aboutir à la  vérité ou à un semblant de vérité, secondé par d’autres magistrats dont le juge d’instruction, Pheline. Les accusés ou du moins ceux qui furent pris dans le vaste filet du ratissage étaient tous parqués le long du mur de clôture, sous haute garde des tirailleurs, les armes au poing. Ils étaient convoqués par petits groupes par les enquêteurs dans une grande salle où ils devaient subir la  confrontation avec des témoins ou des victimes elles-mêmes.

 

Par chance pour eux, ils passaient à un double interrogatoire mené par le juge d’instruction Pheline, dont la fonction organique n’était nullement aisée, d’autant plus qu’’elle  évoquait le rôle d’inquisitoire de l’Ancien Régime. En fait, son statut était de grande complexité : il était officier de police judiciaire et à ce titre, il relevait de l’autorité du parquet ; d’autre part, il était magistrat du siège et avait le pouvoir d’incarcérer préventivement les suspects. Il agissait sur réquisition du procureur dont il avait à rendre compte de tout et de rien. Cela l’incommodait très fortement. Son instruction préparatoire sacrifiait les intérêts des prévenus, alors qu’il cherchait à chaque interrogatoire à obéir à son  intime conviction. Cette revendication de conscience professionnelle créait sourdement des conflits d’autorité avec le parquet, qui priorisait la répression prompte.

 

Le juge d’instruction Pheline poursuivait sa mission de recherche de la vérité avec une méthodologie positive. L’ampleur des interrogatoires exigeait de lui un sens du dévouement à tous les instants. Il craignait d’accuser un innocent par oubli, par inadvertance, par ressentiment au sang des Européens qui avait coulé. Il s’attirait de ce fait les foudres de la population européenne du village, ainsi que de gros titres dans la presse coloniale qui ne voyait nullement l’utilité d’un tribunal pour juger les rebelles, déjà qualifiés de fauves fanatiques. Deux jours plus tard, il remit son rapport au procureur.

 

Le filet opéré par les forces militaires avait révélé ses limites et surtout ses incompétences et ses aveuglements. Sur les quatre cents accusés, seulement 188 individus furent inculpés. La marge d’erreur admise était totalement dépassée et cela dénotait absolument toute mesure de circonspection. Cela prouvait qu’il frappait les tribus et surtout les  terrorisait. Et pourtant, le colonisateur avait à faire à un peuple dominé et insoumis dans l’âme, malgré toutes les horreurs et les tyrannies qu’il subissait.

 

Le juge d’instruction estimait avoir fait honnêtement son devoir. Pour autant, sa tâche n’était pas encore achevée. Les inculpés avaient été incarcérés à la prison Montpensier de Blida. Le magistrat Pheline fut amené à installer son cabinet à la prison même dès le premier juin.  Il restait encore un volumineux travail à accomplir. Vers le début du mois de juillet, il avait enfin terminé son travail d’information judiciaire définitive. Le nombre des accusés, qui devaient payer à la société, était encore revu à la baisse. A la fin du mois d’aout, le procureur avait fait incarcérer 137 dont 125 furent mis en accusation à la chambre de la cour d’assises d’Alger. Les autres, au nombre de 51, furent mis en liberté.

          III. L’opinion publique

                  a coloniale.

L’insurrection dura seulement douze heures et son bilan en termes de victimes n’était pas catastrophique, quoique l’on déplorât des pertes humaines. Elle serait passée inaperçue, si elle avait été jugée dans sa dimension réelle. Cependant, elle était la première prise d’armes après trente ans de trêve insurrectionnelle. Elle fut une explosion de colère dans un ciel serein qui remit en cause la conviction coloniale que la résistance armée était bel et bien finie. Elle devait normalement frapper de fort impact les esprits. Il y eut en effet une panique indescriptible et monstre, suivie d’une grande phobie, comme on n’en avait jamais vue auparavant. Les maires de toute la région dramatisèrent l’insurrection en déclarant à la presse coloniale qu’elle se propageait dans les villages proches et toucherait Orélansville, Tènes, Blida. Dans le même temps, ils réclamèrent des armes au gouverneur général et l’armement des milices pour protéger les colons. La presse fit de ces insurgés des fanatiques, des fauves assoiffés de sang. Cette panique toucha le sommet de la colonie et troubla le gouvernement général qui préconisait des mesures de sécurité draconiennes. Son conseiller aux affaires indigènes, Luciani, proposa de construire des réduits fortifiés et des lignes spécialisées du Télégraphe, de renforcer les garnisons en effectifs supplémentaires, pour répondre à l’urgence du spectre des insurrections qui se réveillait. Quant au gouverneur général, Jonnart, il rendit compte au gouvernement à Paris que cette révolte était due aux errements suivies en matière de colonisation, puis dans un deuxième rapport, il dit que la révolte était une explosion de fanatisme. Il se plia à cette deuxième analyse qu’avaient présentée les colons, auxquels il était inféodé. Les colons étaient sur pied de guerre. Ils réclamaient le lynchage des insurgés, s’en approprièrent  des troupeaux en violation de la loi. Un climat de grande tension prévalait et juger les insurgés dans la colonie, c’était la justice expéditive assurée par la peine capitale pour tous. Mieux, ils exigèrent d’appliquer la responsabilité collective à tous les gens séditieux. Toutes ces revendications étaient publiées, commentées, soutenues par la presse coloniale dont plusieurs organes étaient diffusés en France.

 

b. métropolitaine.

 

La presse métropolitaine réagit promptement et donna le ton de sa ligne éditoriale par rapport à cet événement, que les grands organes exploitaient en en faisant désormais leur cheval de bataille. Les titres étaient frappants : « la révolte de Marguerite est une colère de désespoir ». L’opinion métropolitaine découvrit avec effroi le drame colonial, sur les oppressions et les exactions qui frappaient les musulmans français. La ligue des droits de l’homme en était scandalisée. Les intellectuels et les libéraux en étaient révoltés. Toute la France en était ébranlée. Elle découvrit l’internement administratif en violation du Droit Public français et le séquestre, vieilles pratiques de l’empire romain. Elle évalua l’effet désastreux de la succion fiscale permanente, sur le degré de la misère noire. Elle eut honte de cette déshumanisation voulue qui frappait le monde indigène auquel la politique coloniale suivie avait enlevé tous les moyens de survie.

Alors le gouvernement fit connaitre sans tarder sa position et le ministre de l’intérieur instruisit le gouverneur général d’approfondir l’enquête. Quant au ministre de la justice, il ordonna que cessât le viol de la personnalité qui était exercé sur Mabrouk qui subissait en prison des séances expérimentales d’hypnose. Ce sentiment de solidarité se manifesta davantage, quand les prisonniers de Margueritte, furent transférés à la prison de Montpellier pour être jugés. Toute la France, pouvoir et société civile confondus, exprimait sa désapprobation vigoureuse pour ce régime de non droit auquel était soumis les colonisés. Les prisonniers leur paraissaient comme des parias. Ils étaient quasiment vêtus de haillons, très maigres, exsangues, sans aucune lueur d’espoir dans leurs yeux. Alors les femmes de Montpellier (à qui je rends un vibrant hommage), se portèrent au secours de ces miséreux d’outre- mer, d’outre- tombe. En effet, c’étaient des morts vivants que leur destin exhumait. Ces femmes leur portèrent des vêtements, de la nourriture presque au quotidien, leur donnèrent de l’argent, leur mandatèrent des avocats. C’était un élan de générosité et de solidarité exceptionnel. Elles leur parlaient les jours de visite, les regardaient, pleuraient à chaudes larmes sur leur sort. Elles étaient si présentes dans leur soutien que certaines d’entre elles furent interpellées par la justice.

 

IV. Le procès

 

  1. la  chambre d’accusation

 

Les cent vingt-cinq insurgés furent mis préventivement en prison à Alger. En fait, la procédure était seulement d’apparence légale. Ils étaient en sursis de la condamnation de mort. Les colons, qui s’avouèrent vaincus pour leur fort désir de les lyncher eux-mêmes sur la place publique, s’inclinèrent devant l’autorité judiciaire qui voulait faire juger les rebelles par un tribunal, conscients que celui-ci se prononcerait pour la peine capitale, ce dont ils étaient intimement convaincus. Ils étaient les maitres, les seigneurs de la colonie auxquels les administrations et l’appareil judiciaire étaient inféodés. La cour d’assises d’Oran, qui avait prononcé la peine capitale en 1900 contre un musulman du nom de Chaabani, avait été déboutée par la cour de Montpellier, suite en pourvoi en cassation. Celle-ci avait réformé cette peine capitale en huit mois de prison.

 

b. La défense

 

Dès les débuts du mois de septembre, Maitre L’Admiral avait pris attache avec la cour d’assises qui lui avait permis en conformité du droit de prendre connaissance du dossier judiciaire. Il se doutait bien que la défense des insurgés était à haut risque et qu’il pourrait enregistrer un échec cuisant préjudiciable à sa carrière. D’autres accusés l’avaient mandaté pour les défendre dont Mabrouk.  De sa défense, il  n’en récolterait que l’échec dont il ne se relèverait que par miracle. Le miracle existerait-il ? Alors, le meilleur moyen d’échapper à cette épée de Damoclès demeurait dans la délocalisation du procès. Il entreprit donc de rédiger un mémorandum dans ce sens pour la Cour de Cassations à Paris.

Dans son mémorandum, Maitre L’Admiral avait mis l’accent sur l’état d’esprit de vengeance dont se prévalait le parti colonial qui voulait un châtiment expéditif et exemplaire à l’encontre des accusés, en dehors même du Droit Pénal et de sa procédure et les priver de leur droit le plus élémentaire à la défense. Il démontra qu’en Algérie, toute l’administration y compris la Justice était inféodée au parti colonial. Et faire juger les prévenus par la justice de la colonie était tout simplement les jeter en pâture. Il releva également que l’opinion publique coloniale voulait un lynchage sur la place publique et que la haute magistrature de la France se devait d’éviter des dépassements pareils, inutiles et dramatiques. Il fournit de même le cas de Benchaabane qui avait été condamné à la peine capitale par la cour d’assises d’Oran et qu’après pourvoi en cassation sa peine a été commuée à huit mois de prison par la cour d’assises de Montpellier. Ainsi conçue, sa démarche était typiquement révolutionnaire et il l’assumait.

Des mois passèrent dans une attente effroyable pour les accusés dont le sort était suspendu à un fil d’Ariane et Maitre L’Admiral croyait fortement à cette voie autour de laquelle, il avait bâti toute sa stratégie de défense. Pour lui, c’était un jeu de dés dont il attendait le résultat. Car, il y avait beaucoup d’audace pour affronter frontalement le parti colonial qui était très puissant et avait des relais parlementaires non moins puissants. La machine judiciaire était en marche et plus rien ne pouvait l’arrêter.  Au mois de janvier 1902, la cour d’assises d’Alger avait bénéficié des travaux d’aménagement qu’elle escomptait. Le problème de l’espace ayant été réglé, elle se préparait pour tenir le procès dans son propre siège. A ce titre, elle avait arrêté la liste du jury et le compte à rebours avait commencé.

c. Le procès

 

Le procès s’ouvrit le 11 décembre 1902 à la cour d’assises de Montpellier. Il avait été fortement médiatisé et avait soulevé des passions phénoménales, autant que l’affaire Dreyfus. Il était donc très attendu et tous venaient voir ces hères qui devaient être jugés, et que la presse avait présentés comme le produit de la détresse humaine. Mais tous n’étaient pas présents, dix-sept d’entre eux périrent dans la prison d’Alger. Parmi les vivants, il existait 80 malades dont quinze vieillards, un aveugle. Autre preuve que l’information judiciaire avait été bâclée dans la colonie. L’état misérable et fragile des inculpés, qui passaient au box des accusés, provoquait l’émoi du public dans un palais de justice archicomble. Eux-mêmes étaient fortement impressionnés par la propreté des lieux, la tenue des hommes et des femmes, les robes noires, et surtout ne croisèrent aucun regard hostile. Ils semblaient étrangers dans un pays, et étrangers à ce qui se passait. Ils ne voyaient pas comment justifier leurs actes vis-à-vis de la société, cette société qui les avait opprimés, écrasés, déshumanisés. Tous ces éléments leur intimaient de se taire et de regarder ces interminables audiences dans une passivité extrême. Ce procès était monstre. Outre les accusés, au nombre de 107, 85 témoins entre colons et musulmans étaient présents, 50 avocats, le représentant du gouverneur général.

 

d. La plaidoirie ou leçon d’humanisme

 

Le champion du procès était incontestablement maitre Ladmiral, un guadeloupéen commis d’office, lui-même colonisé et assimilé français, qui défendait entre autre le chef insurgé, Hamza (Yakoub) . Encore à ses débuts, il se révéla par un plaidoyer ardent dont l’éloquence n’était pas dénuée d’humanisme, et donna une véritable leçon d’histoire de la colonisation dans ses segments les plus tragiques. Il fit connaitre le code de l’indigénat, son caractère extra légal, son tribunal incarné par l’administrateur, ses jugements sans appel et sans défenseur. Il dévoila les pouvoirs exorbitants du gouverneur général  qui déportait les musulmans. C’est-à-dire, il révéla un code en situation de non droit, d’où la rage ressentie et exprimée par les défenseurs de la ligue des droits de l’homme. Il donna un véritable cours sur le séquestre qui permettait de racheter les terres des Indigènes, les ventes par licitation, la succion fiscale, les amendes forestières, le pouvoir exorbitant des trois conservateurs des forêts. Ses révélations scandalisèrent le public dont faisaient partie des dizaines de journalistes, des caricaturistes, des photographes. Le procès prit donc sa véritable dimension universelle humaniste, qui allait peser de son poids énorme sur le verdict. A l’audience, Hamza déclare bravement qu’il était le seul à assumer l’insurrection et que ses camarades n’y étaient pour rien.

 

Le procès fut clos le 8 février 1903, après 40 journées d’audience. Le verdict tomba comme un désaveu à la politique coloniale d’oppressions et d’exactions suivie envers les Indigènes et provoqua en retour une désapprobation active des colons qui avaient espéré la peine capitale pour les rebelles. En effet, il avait été clément et, je dirai impartial, par l’acquittement des uns et la condamnation à la prions pour les autres : 81 accusés furent acquittés ; Mabrouk, Hamza et deux autres furet condamnés à perpétuité, 20 autres écopèrent entre 5 et 15 ans de prison, avec interdiction de séjour. Mabrouk et Hamza moururent deux années plus tard en prison à Alger.

Les acquittés furent à leur retour déportés dans le Sersou, leurs terres et leurs biens confisqués suivant arrêté du gouverneur général qui leur avait octroyé chacun trois has.

 

e.Le  verdict

 

La cour d’assises de l’Hérault condamna les douze prévenus aux travaux forcés, pour meurtre, tentative de meurtre, en ce huit février 1903, donc, jugés en droit commun, comme de  vulgaires criminels. Pourtant, ils avaient été qualifiés en tant que rebelles, ou  insurgés, notamment par la presse. Leurs avocats n’avaient pas réclamé un pareil statut pour les accusés, quoiqu’ils eussent dénoncé le régime colonial inique qui les avait poussés à prendre les armes. Les rebelles eux-mêmes ne s’en réclamèrent pas. Bien des choses furent gardées au secret, comme les quatre décès survenus à la prison de Montpellier et dont le procureur général n’avait pas mené d’enquête pour en qualifier la nature entre meurtre ou suicide.  Le doute restait aussi fort probable que leurs parents n’eussent pas été avisés. Il s’agissait des accusés qui portaient les numéros : 69, 71, 77 et 118.

 

Les douze bagnards de Margueritte avaient écopé des peines lourdes comme suit :

 

1        Yakoub Mohamed ( accusé numéro 1) aux travaux forcés à perpétuité.

2        Taalibi Hadj  BEN  Aicha ( accusé  numéro 2) aux travaux forcés à perpétuité

3        Bourkiza Mohamed Ben Sadok ( accusé numéro 3) aux travaux forcés à perpétuité

4        Taalibi Miloud ( accusé numéro 4) 15 ans de travaux forcés et 5 ans d’interdiction de séjour

5        Abdallah El Hirtis (accusé  numéro 5 ) aux travaux forcés à perpétuité

6        Hennour Kouider ( accusé  numéro  12 ) 6 ans de travaux forcés et 5 ans  d’interdiction de séjour

7        Hamadi Mohamed ( accusé  numéro 17 ) 5 ans de travaux forcés et 5 ans d’interdiction de séjour.

8         Benyoucef Salem  ( accusé numéro 18) 5 ans de travaux forcés et 5 ans d’interdiction de séjour.

9        Hamadi Mohamed ( accusé numéro 20) 7 ans de travaux forcés et 5 ans d’interdiction de séjour.

10    Abdallah Otman ( accusé  numéro 21) 5 ans de travaux forcés et 5 ans d’interdiction de séjour

11    Amar Otman Abdellkader ( accusé  numéro 49) 5 ans de travaux forcés et 5 ans d’interdiction de séjour.

12    Bouaziz Mohamed  Ben Youcef ( accusé  numéro 53 ) 5 ans de travaux forcés et 5 an s d’interdiction de séjour.

 

Leur condamnation aux travaux forcés entrainait obligatoirement leur incarcération au bagne de Guyane. Ils étaient donc des transportés, au regard du droit pénal, et à  ce titre, ils se différenciaient des déportés qui, eux, avaient un statut politique et pouvaient être incarcérés à l’ile du Diable, sans exécuter les travaux forcés.  Ils n’étaient pas des criminels et furent traités et jugés comme tel. Et cela, ils ne pouvaient pas l’assimiler, ni même concéder à leurs juges le droit de les juger. Leur silence en était la plus grande des illustrations et la meilleure preuve.

 

Dans leur salle commune, ils furent réveillés le premier jour du mois de mars à trois heures du matin, ayant été avisés la veille de leur départ pour l’ile Saint-Martin-Ré. Une demi-heure plus tard, ils embarquèrent dans un wagon cellulaire de dix-neuf places, gardés par la même escorte, en direction de La Rochelle, en Charente-Maritime. Le wagon cellulaire était blindé, sans confort aucun. Les nouveaux arrivés découvrirent le vrai monde pénitentiaire. Ils eurent à faire en  premier aux surveillants et aux gardes dès leur entrée dans la prison. Ils les trouvaient durs, inflexibles, insensibles au drame d’autrui. A la place de leurs noms, ils avaient un   matricule, qu’ils porteraient désormais au bras gauche. Dès cet instant, ils perdirent leur appartenance au genre humain.

 

Au vingt du mois de décembre 1903, ils furent rassemblés, dès le début du jour, comme à l’ordinaire, avec les codétenus, dans la cour sous une haute surveillance de gardiens, qui étaient au nombre de cinquante. Ils restaient en colonnes de quatre rangées, ne parlaient pas, regardaient seulement droit devant eux. Les gardiens chefs communiquaient avec eux en arabe, car ils l’avaient appris au cours de leur longue carrière à mater les forçats. Le directeur se présenta devant eux et il leur annonça que leur départ pour aller purger leur peine était prévu dans les quinze jours qui suivraient.

Le quatre janvier de l’an 1904, le dépôt bagne s’était réveillé dans un boucan énorme, inhabituel. C’était le grand jour que tous attendaient avec enthousiasme. Paradoxalement, les forçats semblaient heureux de partir aux centrales de leur bagne en Guyane où ils devaient tous exécuter des travaux forcés pour une durée minimale de cinq ans et maximale à perpétuité. Car, le rêve les berçait d’envisager l’évasion ou ‘La Belle’ comme l’avaient baptisée les forçats. C’était  leur espoir qui leur permettrait de refaire leur vie au  Brésil ou en Argentine, sous l’anonymat le plus complet.

 

Deux heures plus tard, la porte de la citadelle s’ouvrit. Ordre fut donné pour le déploiement. Les transportés sortirent en ordre serré,  sac au dos, qui était très lourd,   béret incliné,  moustaches rasées,  en tenue de prisonniers. Ils étaient mêlés, presque fusionnés par un même destin, Français ou Arabes d’Algérie. Le convoi était déjà en disposition : les relégués formaient la tête, les transportés, en dernier. Il était quadrillé par un dispositif répressif impressionnant, composé par quarante surveillants, cent tirailleurs sénégalais, cinquante gardes républicains et la garnison locale de gendarmerie.

 

Le vapeur, La Loire, ancrait à l’ile d’Aix. Il était gigantesque, solide et puissant, de hauteur impressionnante. Il faisait cent quinze mètres de long, seize mètres de large, neuf mètres de creux et jaugeait  5500 tonnes. Il  naviguait à une vitesse de treize nœuds. Il disposait de trois ponts, l’un pour les condamnés, le deuxième pour les passagers et le troisième pour le commandant. Il était également équipé d’un hôpital à l’arrière, doté d’appareils de levage et d’éclairage électrique complet, ainsi que de quatre grandes chaudières. Il avait à son bord dix embarcations et une chaloupe, en prévision des aléas de sauvetage. Ses passagers libres y trouvaient le meilleur des conforts, tel le fumoir, le salon et la salle à manger, en plus des loges de première classe. Les forçats étaient mis dans des cales qui étaient appelées usuellement des bagnes dont elles ne se différenciaient pas  beaucoup, fermées par des grilles.

 

Le 19 janvier, La Loire était arrivée aux iles du salut apparaissaient. C’était la Guyane. Elle comptait cinq mille colons, au moment où elle était devenue la terre du bagne des forçats.  Quatre jours plus tard, Cayenne ouvrait ses portes. Elle était la capitale de la Guyane, siège du gouverneur général, qui plus qu’ailleurs, avait des allures d’un petit roi.

 

Les fils de Margueritte et d’autres bagnards y débarquèrent le matin de  bonne heure, transportés à bord de plusieurs chaloupes, qui pendant une traversée d’une heure presque, risquaient à tout moment de s’envaser. Sous escorte militaire, ils furent dirigés vers le pénitencier. Ils marchaient en colonne, sous une bonne escorte de gendarmes et de militaires, sous l’œil médusé de quelques Amérindiens, de Chinois, de créoles, de Français, trop habitués à voir débarquer ces  convois de forçats qui de loin les terrorisait. Hamza ( Yakoub ) et son lieutenant ( Taalibi ) moururent dans les deux mois qui suivirent leur  détention à Cayenne.  Aucun des transportés des Righa ne sortit vivant et ne put aller au terme de sa peine pour bénéficier d’un séjour dans la liberté égal à sa durée de détention et se refaire une vie.

 

                                                                                     Naama   le    07/09/2019

 

                                                                                     Ahmed Bencherif,

                                                                                     Auteur de Margueritte

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Bibliographie

-          Les Musulmans Français et la France

1871-1919

Robert-Charles Ageron

 

-          Qui se souvient de Margueritte

Laadi Flicy

 

-          Marguerite tome 1 2008

Ahmed Bencherif

 

Marguerite tome 2 2009

Ahmed Bencherif

 

-          Margueritte Algérie 26 avril 1901

Christian Pheline

 

-          Regard critique sur l’essai de Christian Pheline

Ahmed Bencherif

 

-          Margueritte revisitée 26 avril 1901 tome 1

Ahmed Bencherif

 

-          Margueritte revisitée 26 avril 1901 tome 2

Ahmed Bencherif

Margueritte revisitée 26 a vril 1901 ahmed bencherif

21 août, 2019
Marguerite t/1; t/2 | 2 réponses »

C’est avec un immense plaisir que je porte à la connaissance de mon lectorat en général et les chercheurs qui s’intéressent à l’histoire coloniale de l’insurrection de Margueritte , appelée aussi Ain-Torki que mon oeuvre Margueritte en deux tomés a fait l’objet d’une troisième édition qui complète l’histoire des insurgés de Margueritte et leurs séjours successifs dans les prisons et le bagne ; Au mois de septembre, j’entamerai une série de conférence vente -dédicaces a Alger, Ain-Defla, Chelef, Tizi-Puzou, Naama

au plaisir de vous rencontrer

le juge d’instruction Pheline Blida Ahmed Bencherif

12 mai, 2019
Marguerite t/1; t/2 | Pas de réponses »

Le juge d’instruction Pheline poursuivait sa mission de recherche de la vérité avec une méthodologie positive. L’ampleur des interrogatoires exigeait de lui un sens du dévouement à tous les instants. Il craignait d’accuser un innocent par oubli, par inadvertance, par ressentiment au sang des Européens qui avait coulé. Il restait neutre et affrontait souvent le procureur Poinsier qui lui reprochait de la lenteur dans le traitement de l’affaire qui était déjà à sa sixième journée d’interrogatoire. Il demeurait néanmoins imperturbable. Car toute incarcération relevait de son autorité judiciaire. Il s’attirait de ce fait les foudres de la population européenne du village, ainsi que de gros titres dans la presse coloniale qui ne voyait nullement l’utilité d’un tribunal pour juger les rebelles, déjà qualifiés de fauves fanatiques.

 

Il travaillait plus de douze heures par jour, faisait chaque jour la navette entre Blida et Margueritte, délaissait carrément son foyer dont seule sa femme s’en occupait. Il tenait plusieurs débats avec le parquet qui lui semblaient harassants et terriblement ennuyeux. Poinsier ambitionnait une promotion et n’hésitait pas à léser les droits des accusés. Pheline était légaliste et il n’avait jamais voulu bruler d’étapes dans sa vie. Il œuvrait intelligemment et par désintéressement. Deux jours plus tard, il remit son rapport au procureur.

 

Le filet opéré par les forces militaires avait révélé ses limites et surtout ses incompétences et ses aveuglements. Sur les quatre cents accusés, seulement 188 individus furent inculpés. La marge d’erreur admise était totalement dépassée et cela dénotait absolument toute mesure de circonspection. Cela prouvait qu’il frappait les tribus et surtout les  terrorisait. Et pourtant, le colonisateur avait à faire à un peuple dominé et insoumis dans l’âme, malgré toutes les horreurs et les tyrannies qu’il subissait.

 

Le juge d’instruction estimait avoir fait honnêtement son devoir. Il n’en tirait aucune vanité, n’attendait aucune récompense. Il n’était pas l’homme à courir derrière les honneurs. Pour autant, sa tâche n’était pas encore achevée. Les inculpés avaient été incarcérés à la prison Montpensier de Blida. Le procureur Poinsier les avait rassemblés tous dans la cour pour prise de photos d’identité. Le photographe, un artisan privé, avait ramené tout son équipement pour s’acquitter de cette tâche. Il mit sont appareil photo sur un trépied. Les prisonniers ne le prirent guère pour un canon. Ils n’en furent point émus et ne montrèrent aucune phobie, ni pensèrent à leur mort imminente et violente. Ils en étaient conscients et ce n’était pas pour rien qu’ils pourraient implorer la pitié de leurs gardes. Cette opération s’était passée le plus normalement du monde.

 

Le magistrat Pheline fut amené à installer son cabinet à la prison même dès le premier juin.  Il restait encore un volumineux travail à accomplir. Dans sa tâche, il était toujours secondé par des adjoints. Il interrogeait les prisonniers qui souvent  brouillaient dans leurs déclarations ou se contredisaient. Vers le début du mois de juillet, il avait enfin terminé son travail d’information judiciaire définitive. Le nombre des accusés, qui devaient payer à la société, était encore revu à la baisse. A la fin du mois d’aout, le procureur avait fait incarcérer 137 dont 125 furent mis en accusation à la chambre de la cour d’assises d’Alger. Les autres, au nombre de 51, furent mis en liberté.

Margueritte revisitée 26 avril 1901 T2 ahmed bencherif

1 février, 2019
Marguerite t/1; t/2 | Pas de réponses »

Hamza avait passé quatre années d’enseignement à la zaouïa de Meliana dont les vacances annuelles n’excédaient pas dix jours, en période unique. Il avait mûri et grandi, cloîtré dans le pensionnat et illuminé par les études qu’il suivait passionnément, avec un esprit critique qui avait suppléé à sa curiosité naturelle et une détermination qui avait remplacé précocement son rêve. Car la jeunesse est un beau jardin, hélas, aux moissons brèves. On pense à perpétuer son nom en faisant des enfants, à travailler pour vivre, à faire fortune et tous les hommes sont, sur ce plan, du même limon et la nubilité est là, pour leur rappeler cette amère vision et les placer involontairement sur ce même chemin que suivit la procréation. Rares sont ceux qui vivent sur cette terre, exclusivement pour leur cause : ils sont des fous, des inconstants, des pécheurs, des bons à rien et leurs allégations ne sont jamais prises au sérieux par les gens. Hamza appartenait à ce genre d’hommes qui vivaient pour leurs idées et les défendaient vaillamment.

 

Meliana était une commune de plein exercice et, à ce titre, son centre urbain était habité majoritairement par une population européenne. Hamza y rencontrait tous les jours des Français et si l’habitude de les voir en permanence devait se traduire normalement par de l’accommodation, elle avait mu en xénophobie et donc en perception nationaliste. A l’école, il s’était bâti la réputation de rebelle parmi ses camardes dont certains partageaient ses convictions. Il se procurait aussi des journaux clandestins qui l’édifiaient savamment sur la question nationale et la nécessité d’abattre l’état colonial dont la dimension devenait de plus en plus horrible et intenable. Il avait une sublime admiration pour la ville dont le tiers seulement des terres agricoles furent dépouillées par le conquérant, contrairement aux localités voisines, lesquelles furent saignées à blanc. La baraka du saint y veillait, ainsi que la menace constante du baroud de la puissante tribu des Beni Menacer qui avait plus d’une fois mis en péril la sécurité.  Il sut qu’elle rayonnait de culture et avait produit de grands lettrés au 13 et 14ème siècle, tels que Ahmed Ben Othmane Elmeliani, poète et écrivain, Ali Ben Othmane Ben Moussa Elmeliani, théologien, Ali Ben Mekki Elmeliani, théologien et juriste.

 

Il sortit major de promotion, par excellence, dans les derniers jours du mois de juin, titulaire d’un diplôme qui lui permettait d’accéder à une chaire de prédicateur et une grande fête fut donnée, par sa famille, pour cette heureuse élévation intellectuelle. Il avait repris son train de vie habituel, partagé entre le magasin et la mosquée où il dispensait bénévolement des cours. Sa forte personnalité s’était davantage affirmée et il avait repoussé gentiment le vœu cher à son père pour le marier à cet âge et lui assurer une existence rangée. Il avait autre chose à faire que de s’emprisonner dans la prétendue cage d’or et se il proposait de former un réseau clandestin pour la rébellion. En effet, son projet insurrectionnel, auquel adhérait pleinement son ami et camarade de promotion, Ali, devenait irrévocable, une question de vie ou de mort. Son retour avait coïncidé avec la saison estivale, en l’an mille huit cents quatre-vingt-dix-sept.

 

Vint le quatorze juillet et le village explosait de joie qui retentissait dans la plaine et les coteaux. Les rues étaient pavoisées de drapeaux bleu, blanc, rouge ; la place publique ressemblait à un grand palace, la tribune abritait les officiels chichement vêtus, les tambours battaient, les attractions se multipliaient, les bars ne désemplissaient pas, les barbecues fumaient, les cadeaux foisonnaient partout, les costumes masculins et féminins scintillaient neuf, le ballast reluisait de propreté, les sourires conquéraient tout l’espace public. L’enthousiasme s’affichait partout, on le ressentait très fort, on le vivait intensément, on s’en enivrait sans alcool, on sautait d’exultation, on dansait sans orchestre, on plaisantait, on flattait les femmes sans les charmer, on se complimentait, on rendait de vibrant hommage à cette journée de gloire gravée dans la mémoire de chacun, on se recueillait au monument des morts avec la plus grande émotion et la plus transparente sincérité.

Margueritte revisitée 26 a vril 1901 t/2. ahmed bencherif

24 janvier, 2019
Marguerite t/1; t/2 | Pas de réponses »

Tous les regards étaient braqués sur la cour : l’opinion publique métropolitaine et la presse attendait les révélations de cette rébellion. Elle allait juger un procès hors norme, le premier peut-être par le  nombre très élevé de personnes qui allaient défiler à la  barre : 107 prévenus, 50 avocats, 93 témoins, 2 interprètes judiciaires. Le gouvernement général était lui aussi pressenti comme témoin. Et donc, il suivait tout ce qui se passait là-bas, loin de sa zone de compétence, loin de son pouvoir. La cour devait aménager ses salles pour permettre à tous d’avoir la parole, de répondre au mieux. C’était en effet une grande troupe qui donnait une certaine connotation politique au procès. Les magistrats buchaient le dossier, s’instruisaient sur les concepts de politique coloniale, tels le séquestre et la licitation, lesquels étaient de grande complexité et surtout d’aberration certaine. Car, chez eux, en France, la propriété privée était sacrée et puissamment protégée par le droit.

 

Dès les premiers jours d’incarcération des prisonniers, un mouvement de solidarité s’était matérialisé à leur endroit, principalement par les femmes de Montpellier. Plusieurs d’entre elles leur rendaient visite et leur apportaient de quoi manger. Elles leur offraient des vêtements chauds contre le froid cuisant d’hiver. Certaines exigeaient des greffiers de leur communiquer les coordonnées des avocats mandatés, parfois elles se chamaillaient avec eux et finalement elles obtenaient gain de cause. Puis, elles prenaient contact avec les défenseurs, payaient leurs honoraires. Ce mouvement avait touché également d’autres régions de la France, comme Lyon dont une femme avait donné 200 francs à un avocat pour défendre un accusé de son choix. Cet élan n’avait rien  d’exotisme, ni d’admiration pour des insurgés. Mais, il s’était manifesté par charité chrétienne envers des gens dont la misère faisait honte à l’empire dit civilisateur français. Certaines eurent des démêles avec la police et furent placées en garde à vue. Elles restèrent toutes dans l’anonymat et les annales n’ont point rapporté leurs noms. Gloire à Elles ! Toute la gloire à Elles !

 

 

Le quinze décembre 1902 s’ouvrit le procès. Une foule immense était venue voir  ces insurgés en blanc qui avaient porté atteinte à l’ordre colonial établi. La présence féminine sortait de l’ordinaire, tant elle était très nombreuse et visiblement fortement intéressée. Elles étaient de tout âge entre  vingt et quarante ans, de toute beauté,  blonde ou brune, mouchoir à la main, pour essuyer de larmes hasardeuses, bourse également ouverte pour venir en aide à leurs favoris accusés. Les hommes, quant à eux, venaient suivre un procès de grande envergure qui ne manquait pas d’interpellation sur le plan philosophique, en matière de droits de l’homme dont les ligues se trouvaient encore à l’état embryonnaire. Il y avait parmi eux beaucoup d’intellectuels et d’hommes politiques. Des journalistes et des photographes étaient aussi en grand nombre, venus alimenter leur chronique judiciaire.

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