Nostalgie
Qui es-tu sentiment violent dans ma chair,
Présent dans mes fibres, de jour et de nuit,
Auteur de ravage, le trouble de mes airs,
Le geôlier de ma vie, fauteur de mes ennuis ?
Ton pouvoir destructeur entaille tout mon corps,
Ta pérennité hardie ne connait point de fin,
Ton usure continue me renvoie à mon sort,
Ton mal est si profond qu’il corrompe mon sein.
Ne vois-tu le torrent de mes yeux abimés
Creuser mes joues roses en sillons émaillés,
N’entends-tu mes soupirs tristement alarmés,
Ressens-tu mon besoin d’y aller sommeiller ?
Perçois-tu ma chanson dans mes cordes vocales,
Plaintives, vibrantes, qui gardent son amour,
Un amour à peine éclos, mais déjà épanoui,
Gravé en poème, sublimé pour toujours ?
O regrets meurtriers ! Ma vie est un désert,
Venteux et aride, brulé par le soleil,
Soumis à l’abandon, désolé et amer,
Privé de ses oasis aux couleurs vermeilles.
, Vous saignez mon âme et desséchez mon cœur,
Mes rêves sont obscurs, mes espérances vaines,
Mes convictions mortes, envolées, mes humeurs,
Je pleure en silence au roseau de la peine.
Je pleure en silence au roseau de la peine,
Que puisse renaitre le phœnix de ses cendres,
Survoler les prairies et les vertes plaines
Que puisse renaitre de mon cœur cet amour.
Temps passés et perdus, sans espoir de retour
Desserrez vos étaux, brisez votre carcan,
Mon présent est en vous, lugubre trophée lourd,
Dites-lui mes pensées, lui, cet être manquant,
Qui, dans mon présent vint, comme un doux zéphyr,
Bercer mes feuillages, ressusciter ma rose,
Désaltérer ma soif, dessiner l’avenir,
Chanter ma romance, par ses rimes et sa prose.
Mal du pays, douloureux, relâche ton étreinte,
Sois là, sans m’étouffer, sois l’ami de toujours,
Le confident serein, abreuve-moi d’absinthe,
Et que lui, boive de sa coupe en gage de l’amour.
extr les vagues poétiques
Voyageuse
Sur le quai bruyant, je te vis dépaysée
Ta valise à la main et ton sac à la main,
Tes yeux derrière un triste écran,
Un nuage qui te cachait le monde
Vision fomentée d’un chagrin d’amour
Un amour dissipé, illusion morte.
Dans ta quête de nouveaux horizons,
Ta recherche de nouveaux espaces,
Tu traçais ton chemin, éprouvée de phobie
Injectée dans ton cœur par l’homme,
Malin félin, redoutable lion, prédateur
Qui voyait en toi la proie idéale
Pour assouvir ses appétits charnels.
Tu me vis souriant, avenant attentif.
L’heure au top, ses aiguilles croisées,
Le train pressant te conviait à monter.
Nos regards se croisèrent par instinct,
Comme ces aiguilles d’horloge murale
Qui sonnèrent le départ du cheval de fer,
Parti sans nous, notre destin ailleurs.
Main dans la main, toutes deux frileuses,
Murmure au murmure, mélodie secrète,
Cœur près du cœur, battant la chamade,
Ame confiée à l’âme, béatitude reconnue,
Nous prîmes le chemin de l’amour,
Ses secrets gardés dans la vigilance.
Fascination souveraine du moment
Vivra-t-elle dans les lendemains inconnus ?
Fera-t-il date ce coup de foudre survenu ?
A cœur sensible, esprit prémonitoire.
Alors viens ! Ne crains rien, l’amour est là
exytr les vagues poétiques édition Almoutaqaf
Colloque international
Sur la littérature francophone maghrébine
A l’université Hadj Lakhdar de Batna
Du 10 au 11 novembre 2014
Thème :
La condition humaine symbolique et signification dans le portrait de Djillali Boukadir dans le roman Marguerite de Ahmed Bencherif
La littérature, c’est projeter sa vie vers l’autre, la vie des autres vers l’autre ; elle est essentiellement humaine, dans ce sens qu’elle exprime nos forces et nos faiblesses, nos pulsions et nos désirs ; c’est présenter notre personnalité comme reflétée par un miroir parfait en surface et une sonde introspective dans notre moi profond. C’est notre cœur, notre âme qui parle tour à tour. C’est dire une fusion ou même une confusion de passions et de spiritualité, autrement dit une sagesse donc une forme de la raison. Elle a recours au langage pour s’exprimer, exprimer, éblouir, transporter dans l’imaginaire. Ecrire c’est parler de soi ou des autres, utiliser un style, employer des règles, des principes, une grammaire, une orthographe, un plan. Donc c’est quelque chose de normative qui s’impose. Ecrire, c’est laisser un relief de sa propre culture. Cette écriture est confrontation en double communication avec soi-même et autrui.
La littérature est souvent de culture plurielle, en un seul style d’écriture. C’est le cas de la littérature maghrébine d’expression française. Dans la littérature maghrébine, le pluriel s’impose, c’est le nous, c’est toute la société qui est visible dans la trame romanesque, d’où s’explique la multitude des personnages et une pluralité des héros. Ce n’est pas la ville urbanisée, modernisée, cultivée et partant espace de l’individu agissant. L’individu est donc histoire en propre qui se distingue de la société, une forme d’égoïsme. Mais c’est le village, le douar, la ruralité qui manque cruellement de tout : ni école, ni viabilisation. C’est le groupe social, la tribu, la fraction mais jamais l’individu agissant. Nous relevons ce caractère dans les moissons en la forme du volontariat bénévole, cette Touisa ; on va encore payer le taleb l’imam sur fonds privés par cotisation. Donc il existe toute une échelle de valeurs où l’individu a été formé et donc pour le cas c’est l’écrivain.
Cette littérature procède à la fusion du Maghreb et de la langue française qui sont deux univers différents. C’est le lieu des métissages des cultures, le lieu des ouvertures et des accès offerts par la langue française, le lieu de coexistence de deux cultures qui dialoguent, s’entrechoquent,
D’un point de vue historique, il existe une littérature maghrébine depuis 1945.on distingue aussi une disjonction de trois ensembles de textes avec perméabilité. C’est avec les relations politiques et diplomatiques avec la France que l’on peut distinguer ces trois types de mouvements littéraires :
- les littératures nationales produites en arabe classique, berbère ou dialectal échappent à l’influence française.
- les textes qui s’inscrivent dans une logique coloniale écrits par des Français pour un public français.
- les textes se réclamant d’une identité maghrébine produits par des Maghrébins d’abord engagés au moment des luttes pour les indépendances qui vise un public français dont il fallait attirer la sympathie ; aujourd’hui cette littérature est devenue classique et figure parmi les programmes scolaires. Elle a survécu à l’arabisation dans les trois états. De nos jours elle s’adresse à un public maghrébin plutôt que français , installant un nouveau dialogue entre les deux rives.
Les auteurs se servent de la langue française parce que l’histoire de leur pays l’a voulu. Le français est la deuxième langue elle est enseignée à l’école et au lycée , elle a ses programmes radio télévisés, employée dans les administrations du Maghreb dans les trois pays sauf qu’en Algérie elle n’est pas consacrée langue officielle mais elle possède quasiment la même place. La langue française ouvre une large audience sur le monde que la langue arabe.
Le débat critique est souvent biaisé et obéit à une forme de passion, loin de la sérénité avec l’ex colonisateur : les conflits refoulés, tour à tour l’attirance et la répulsion, les désirs camouflés sont en jeu dans le rapport avec lui. De plus, l’affirmation de soi est sans cesse convoquée, comme si elle était constamment contestée par l’ex colonisateur, qui l’est en fait- dans son subconscient.
La colonisation avait produit un phénomène d’acculturation. Cela avait posé une question essentielle ou disons existentielle : fallait-il écrire avec la langue du colonisateur sans être aliéné. Cette question ne cessa de hanter nos écrivains. Le système colonial diffusait sa langue, sa culture par la presse, l’administration, la justice en dressant de solides barrières pour la langue arabe et berbère, par la fermeture des écoles, des séminaires, des universités traditionnelles. Il visait tout simplement l’assimilation des populations maghrébines pour les intégrer dans un ensemble de francophonie encore en formation. Sa tâche n’était pas aisée cependant, car les langues locales étaient solidement enracinées dans les trois sociétés qui avaient produit quand même un modèle de civilisation arabo-musulmane.
Alors c’est avec la langue du colonisateur que nos écrivains s’étaient exprimés. Ils ont composé des textes de dimension littéraire et identitaire complexe.
Keira
O Keira ! Ecoute mon appel dans la nuit
Solitaire et vide, monotone et triste,
Sous un ciel sombre sans lune qui reluit
Sans constellations brillante, filante.
O Keira ! Ecoute mon appel émerger
De mon coeur oppressé par l’atroce langueur,
De mon moi qui reste, sur ta beauté, figé,
Ensorcelé à fond par tes attraits charmeurs.
Qu’il souffre loin de toi, loin de ton haleine !
Grâce ! Viens dans mes bras et guéris sa douleur
Par simple caresse, viens curer sa peine.
L’étreindre dans tes bras, lui prodiguer bonheur.
Nous irons par l’oued, au milieu des roseaux,
Des lauriers, tamaris, des ronces et palmiers
Entre la dune d’or et les jardins si beaux
Plantés de figuiers, de géants pommiers.
Qu’elle est belle ta voix, douceur et harmonie,
Legs d’une légende encore vierge
Qui cache les amours, par les dieux, bénis
Vécues ardemment, sans voile, ni cierge
Nous irons nous marier sous nos beaux peupliers
Sur un tapis de fleurs odorantes et gaies,
Non loin de la vigne verte et du figuier
Fêtés par un concert de chants du merle et du geai.
Le printemps arrive, témoin de notre sacre.
L’automne n’est pas loin, témoin de notre serment.
O saisons lointaines ! Pitié de ma vie acre !
Pliez les jours et les nuits ! Hâtez l’évènement !
O Keira ! Trouve-moi le séjour pour rester,
Rester à tout jamais dans tes bras accueillants,
Par les jours joyeux, par les nuits veloutées,
Evoluer toujours autour de ton rayon.
Toi qui parus en ce printemps fleuri et verdoyant,
Comme un soleil d’été aux aurores,
Ou la lune rousse dans un ciel attrayant,
Un jardin bien tenu embaumé de flore,
Toi qui soufflas de loin un espoir recherché
De saison en saison, qui m’avait ébloui,
Qui avait ranimé mon tonus relâché,
Sous le poids du doute, quand tout semblait enfoui.
Quelle dîme payer ? Seul mon cœur prend valeur.
Je t’en fais le présent le plus cher de ma vie,
Tu sauras le combler de havre et de bonheur,
Et en toi lui créer l’adorable logis,
Le dernier refuge dans l’attrait des splendeurs.
Que c’est beau, quand l’oiseau entre dans ma chambre
Au lever du jour frais, me lance ton anneau,
Quand il revient le soir me parfumer d’ambre.
Il n’en est d’égale grâce, toujours de renouveau.
Le sais-tu seulement ? Mon art reste rivé.
Il reste suspendu à tes lèvres fines
A ta main si douce, aux jours radieux rêvés,
A ton corps harmonieux, à ta belle mine.
Chante mes berceuses pour tes nuits blanches,
Suis mon chemin sans heurt, tu auras le havre
Pour dormir jusqu’au tintement des cloches,
Te lever bien fraîche et avec le sourire.
T’en souvient-il de ces confidences
Pour voir ton bambou, les deux rochers sur mer
Au jour qui ne vint pas ? C’est une souffrance
Pénible à supporter, d’un goût très amer.
Ah ! Quelle tristesse ! Tu étais si déçue,
Quand tes amies te firent le faux-bond
Par mauvais présage de nouvelles reçues
A propos de la vie, qui, brève se morfond.
Dessein différé ! Quel malheur sans égal,
Quand l’absurde contraint à fuir les contrées.
Je fus autant peine et, de langueur, pale,
Mais heureux de goûter au symbole caché.
Tristesse d’automne, quand les feuilles tombent,
Le ciel est noir, chargé de nuages,
L’éclair s’énerve, le tonnerre gronde,
Des estivants grisés désertent les plages.
C’est la mélancolie, on promène son spleen
Dans les rues engorgées de flaques d’eau sale.
Des passagers pressés moisissent en ligne,
Soucieux et grincheux, encombrés de malles.
Les oiseaux étoffent vaillamment leurs nids,
Le laboureur range ses outils usagés,
Les migrateurs volent dans l’azur bruni,
Traversent mers et océans sans danger.
En haut du minaret, la cigogne blessée
Attend sa guérison pour claquer ses ailes,
Survoler les prairies rouges ensemencées,
Conquérir de nouveau le ciel.
.
Elle essaya en vain, quand sortit l’automne.
Les gens étaient surpris de la voir tous les jours
S’ébattre sans succès pour joindre la faune,
Résignée de fixer son nid dans le bourg. .
Le pieux muezzin montait jusqu’au dôme,
Gravissant les marches raides et longues,
La soignait, lui donnait les grains et le chaume,
Adoucissait en eau tiède sa langue.
L’échassier trouvait dans ce lieu sain des forces
Pour tenter sa chance une nouvelle fois,
Par un ciel doux, pur et sans averse,
Planer dans les airs, se poser sur le toit.
Quelques jours plus tard, l’ambiance était multiforme au marché des fruits et légumes. Des fellahs, des laitiers et des montagnards vendaient leurs produits dont ils vantaient les qualités, en chantonnant indéfiniment, en interpellant chaque passant, en l’accrochant quelques fois. Astuce, savoir faire, manque de dignité ? C’était la coutume des ambulants, acquise au fil du temps dont ils tiraient le plus grand profit, sans état d’âme et sans complexe. Leur lexique était si recherché que d’aucuns n’y restaient insensibles. Il était soigneusement élaboré, richement imagé, malgré l’indigence intellectuelle de ses promoteurs ou de ses utilisateurs : « glands chauds pour les nuits d’hiver, herbes potagères pour la ménagère, plantes médicinales de virilité ». Les vendeurs étaient charmants, sympathiques, souriants en permanence. C’était leur caractère naturel qui leur permettait de commercer en plein air, dans la confusion des bruits, avec des clients diversifiés, peu exigeants, marrants qui complétaient ce décor burlesque unique.
Une peau blanche était là. Elle emplissait son petit couffin en osier qu’elle portait au bras : persil, radis, poireaux. Mais, elle se pavanait, se dandinait, promenait sa belle croupe plantureuse, exhibait les deux grappes rondes et pointues de sa poitrine, souriait malicieusement, faisait l’œil doux ou dardait de son regard, mâchait ses lèvres. Les hommes la suivaient des yeux, ne la quittaient pas, restaient suspendus à ses attraits, s’imaginaient avec elle, dans son petit studio qu’elle occupait dans une petite rue discrète du village. Elle incarnait la sensualité ce dont chacun en raffole ici-bas, elle faisait oublier la notion du péché, le jour de la résurrection. Chaque partie de son corps envoûtait et si les oiseaux avaient une capacité d’assimilation, ils s’y percheraient, la croyant un succulent mûrier.
Lolita, c’était son nom, un nom facile à prononcer, à retenir, comme de l’eau, trois syllabes qui sortent de la bouche comme un chant mélodieusement passionnant, s’insinuent à travers l’intelligence, se logent dans l’instinct, enflamment le désir, font bondir l’agonisant sur son séant. Elle était jolie, pleine et vivait amoureusement son trentième printemps. Elle s’installa depuis six mois dans le village et faisait fructifier, dans sa loge, son unique capital, son trésor caché. Elle sélectionnait ses partenaires et, pour sauver les apparences, fixait des rendez-vous, au lieu de se faire accompagner. Elle croisa Hamza qui circulait entre les allées. Elle le vit pour la première fois et l’eut dans sa chair. Elle s’arrêta en face de lui, posa sa superbe forme, cligna de l’œil. Il l’ignora, passa son chemin.
Hamza continua sa petite vadrouille et vit, dans la petite foule, son ami, Mabrouk, occupé à vendre des glands. Il le rejoignit aussitôt, content de masquer la gêne qu’avait laissé en lui Lolita. Les deux jeunes gens se saluèrent amicalement, s’interrogèrent des yeux sur leurs préoccupations d’avenir et dirent en même temps : « Et alors ? ». La question resta sans réponse. Ils comprirent qu’il n’y avait rien de neuf. « Cette fille est un scorpion, au venin mortel, dit Mabrouk. Elle ira tout droit en enfer avec tous ceux qui tombent sous son hypnose et partagent sa couche ». Son voisin intervint sans être convié et dit : « C’est une jument qui s’emballe en piste ». L’allégorie significative révolta Mabrouk dont les traits se durcirent et les yeux giclèrent du sang.
- Quelle impudeur, dit Mabrouk. Quelle mauvaise éducation ! Tes paroles pécheresses te mèneront dans les chaudrons de la géhenne ; tu es homme corrompu par le diable.
Sa réaction prompte et vigoureusement moralisante sidéra le voisin. Celui-ci comprit machinalement qu’il avait à faire à l’un de ces gens bornés qui s’abreuvaient d’un Islam pur, à ses premières origines, et qui croyaient que l’humain devait se comporter en ange, ignorer ses désirs, bloquer les sphères de son imagination, taire les pulsations de son cœur, soit vivre dans un monde vertueusement idéalisé. Il savait que ces apprentis soufis ne comprenaient pas grand-chose ni à la religion, extrêmement tolérante, ni à la vie et renonça à lui montrer le semis de sa colère.
Hamza ne fit aucun commentaire, par crainte de jeter de l’huile sur le feu entre les deux antagonistes dont il ne pouvait prévoir les réactions. Il ne tenait pas à arbitrer une épreuve entre l’intolérance aveugle de l’un et la passion débridée, de l’autre. Les deux personnages manquaient d’éducation, la plus élémentaire : Mabrouk s’incarnait en censeur de mœurs avec brutalité, le voisin avait fait irruption dans une discussion sans être convié. Il dit calmement à son ami que la nature des hommes était complexe. En rencontrant son ami, Mabrouk n’avait plus envie de faire encore le marchand de fruits forestiers. Il ramassa deux ou trois tas de glands invendus et les mit dans son sac. Il l’offrit à Hamza et le pria de l’accepter, en soulignant que tous les gosses en raffolaient. Le modeste présent fut accepté sans formalisme.
Les jeunes se retirèrent à l’écart pour discuter librement de leurs préoccupations. Mabrouk était moins enthousiaste que la dernière fois : l’action future était gigantesque et lui paraissait quasiment impossible. Il dit que la voie du baroud était semée d’embûches et de danger. Hamza le regarda avec perplexité et lui demanda s’il se rétractait. « Me rétracter, moi, répliqua-t-il ? » Il ne se rétractait pas ; la préparation matérielle s’avérait ardue et longue, exposée à de multiples aléas. Il n’avait pas flanché ; il doutait du succès de leur entreprise qui lui semblait suicidaire. Il s’agissait d’acheter clandestinement des armes à feu qui transiteraient par des frontières étroitement surveillées par la cavalerie. Hamza le rassura en disant que les fournisseurs travaillaient aussi dans l’anonymat total, reliés les uns aux autres par une longue chaîne qu’il était difficile de remonter. Il ajouta qu’il faudra prendre contact avec les gens de Oued Souf qui ramenaient des articles prohibés, tels que les journaux égyptiens ou tunisiens qu’il avait l’habitude d’acheter à Meliana.
- Puisque tu dis que tout se passera bien, commençons à travailler au plus tôt, dit Mabrouk. Tu devras d’abord connaître les adeptes de la confrérie religieuse et je te propose de venir chaque vendredi prendre part à la cérémonie religieuse.
- Oui, je viendrai sans faute. A plus tard.
- 1. Psychologie de la conquête française
La marine algérienne partout imbattable en Méditerranée ou en Atlantique, était crainte par les autres puissances navales des États unis d’Amérique, de l’Angleterre, de la France et de bien d’autres. Les combats qu’elle menait attestaient sa bravoure, son amour pour le danger, son gout pour le risque. Mais elle devenait trop problématique, trop inquiétante pour la sécurité navale que pour l’évolution logique dans laquelle étaient engagés tous ces états adverses. Cette fois, il fallait employer les grands moyens. Allait-elle encore gagner ses paris et survivre à toutes ces guerres navales qu’elle avait menées ?
La navigation fructifiait pendant presque trois siècles, sur les côtes, au nord et au sud de la Méditerranée, pour le commerce d’esclaves, capturés lors des guerres ou de razzias qu’opéraient les nations d’Espagne, du Portugal, de la France, de l’Angleterre, de Malte et des états italiens, la Régence d’Alger, de Tunis et de Tripoli. Ni les chrétiens ni les musulmans n’en réchappaient. Des milliers d’hommes et de femmes étaient réduits à l’asservissement et ne rachetaient leur liberté qu’à un prix fort astronomique. Leur seul tort était de se trouver sur le chemin de ces corsaires, maitres des mers. Tous ces états la pratiquaient sans honte ni vergogne. C’était une barbarie qui ne disait pas son nom. Cependant au 19e siècle, les sociétés commençaient à s’émanciper. C’est ainsi que les chefs d’État concernés, du moins européens, avaient tenu le congrès de Vienne le 7 juin 1815. Les travaux avaient abouti à redessiner la carte de l’Europe : des territoires sont retranchés ou rajoutés à des États. Outre ce fait majeur, des résolutions furent adoptées. Elles allaient révolutionner le monde. La traite des noirs fut abolie et la captivité des chrétiens par les États nord-africains fut carrément interdite sous réserve de représailles. De plus, la liberté du commerce fut adoptée et donc la piraterie devenait un fléau à combattre. L’État le plus visé était naturellement la Régence d’Alger dont la force navale était encore très puissante et pouvait contrecarrer les mesures prises par le congrès. Donc, il était impérieux aux nations d’Europe d’affaiblir ou rendre hors d’état de nuire cet ennemi redoutable qu’était la Régence d’Alger qui investissait de grandes dépenses de son budget dans la construction aéronautique et l’emploi d’une nombreuse armée de janissaires, non moins redoutable. De ce fait, elle avait de plus en plus besoin d’esclaves chrétiens pour galérer sur ses vaisseaux en haute en mer en bravant tous les dangers naturels ou les attaques de puissances ennemies.
Les bombardements du 27 aout 1816
Depuis trois siècles, la Régence d’Alger pratiquait ce commerce à haut risque et plein de dangers pour perquisitionner les vaisseaux de commerce qui naviguaient même en haute mer, pour s’assurer que ceux-ci ne représentaient aucun péril pour sa marine de guerre ou marchande. Les corsaires algériens avaient acquis une forte réputation en Méditerranée et en Atlantique. Cependant, ils traitaient leurs victimes avec une injustice avérée et des humiliations répétées. Plusieurs guerres navales les avaient opposés aux nations européennes, mais jamais ils ne furent détruits. Ils subissaient des dégâts, certes importants, mais ils parvenaient vite à réparer les dommages occasionnés soit à leurs vaisseaux soit aux fortifications portuaires.
Le dey Hadj Ali ne réchappait à cette règle générale du corsaire brave et intrépide, opiniâtre et impitoyable. Il commettait des injustices flagrantes à l’égard des chrétiens que sa flotte capturait en haute mer dont les captifs étaient astreints à galérer et les femmes étaient vendues au plus offrant. Sa barbarie farouche faisait sa triste réputation. Ces iniquités généraient de forts ressentiments et entretenaient un climat d’hostilité à son endroit par les chancelleries d’Europe. C’est ainsi que le 2 juillet 1815, le ministre turc de la Marine signalait au sultan Mahmoud les mauvais traitements que le dey infligeait aux chrétiens. Il ajoutait que l’amitié qui existait avec l’Europe s’était transformée en querelle et en agression. Donc, il était quasiment en état de guerre ce qui perturbait la navigation et le commerce maritime. Sa folie des grandeurs engageait à brève ou longe échéance les Algériens dans une guerre ouverte. En effet, en aout 1814, l’amiral britannique William Sidney Smith fait appel à l’Europe pour mettre fin à la piraterie des états barbaresques. En réplique, Hadj Ali encouragea Rayes Hamidou à multiplier les attaques contre les Européens et ses voisins. Le 23 mars 1815, Hadj Ali fut tué et remplacé par Omer. Celui-ci se lança évidemment dans la course, alors que le consul Deval en fit un rapport élogieux qu’il avait adressé à son ministre.
La marine britannique réagit sans tarder. Une expédition est lancée, sous le commandement de l’amiral lord Exmouth, conjointement avec la flotte hollandaise qui était sous les ordres de l’amiral Von Capellen. Bientôt ces deux forces navales arrivèrent devant Alger le 27 aout 1816. Lord Exmouth signifia au dey Omer un ultimatum d’une heure pour signer la paix et libérer tous les captifs chrétiens sans rançon. Le dey et son cabinet refusèrent. Les deux flottes se rapprochèrent des forts du port, sur le pied de guerre et la menace affichée notoirement. Cependant, elles étaient à bout portant de l’artillerie des défenses d’Alger. Mais le dey Omer préfère attendre au lieu de donner l’ordre à ses mortiers d’attaquer. Il perdit ainsi l’effet de surprise que recherche toute armée pour s’assurer sa suprématie. La bataille éclata et au bout d’une heure, les fortifications d’Alger étaient anéanties. Elle dura 11 heures 23 minutes, faisant un désastre. La défaite de la Régence était alors actée. Le dey Omer accepta de signer la paix aux conditions exigées. Ainsi, 1 200 captifs chrétiens furent libérés sans rançon, évaluée à 2 millions de riyals français
De la nuit
Quel beau séjour dans les nuits longues
Quand âme ne vive, ne respire,
Que se tuent les mauvaises langues,
Epuisées tout le jour de médire.
Que vienne le temps de communier
Sous le ciel constellé ou gris sombre
Quand soufflent les brises raréfiées
Que tombe la rosée sans nombres.
Eté, printemps, automne et hiver
Le désir est toujours conquérant,
Tendre ou Violent, mais téméraire,
Berceur d’évasion et suggérant,
Puis soufflant chaud enfin affolant
Moissonnant les beaux champs de l’extase,
Sous l’ardeur des cœurs pris dans l’élan,
Quand la passion survoltée embrase.
Alors c’est la promesse de l’amour
Couronné de bonheur fastueux
Conçu sans magie par tes atours,
D’inégal panache somptueux.
Doug, le village
Au sud du royaume des Maures, dans l’atlas saharien, le Mons Malethubalus (le mont des ksour), forme la frontière entre les terres fertiles du nord et les immensités désertiques du Sahara. Il est puissant et généreux, densément boisé sur ses hauteurs, gorgé de sources dont les eaux pures vont se perdre dans les lits des oueds qui traversent de nombreuses vallées ou encore échouer dans les marécages disséminés çà et là, sur des centaines de lieues au sud-est. Son altitude dépasse deux-mille-deux-cents mètres et Il est d’accès difficile. Il représente un retranchement idéal, en cas de danger imminent. C’est aussi la frontière entre les terres fertiles du nord et le Sahara, de nombreuses tribus Gétules vivaient. Les chasseurs cueilleurs étaient leurs ancêtres. Ils avaient évolué au fil des âges, depuis la préhistoire, environ quatre à cinq-mille ans, avant notre ère, dans un environnement hostile au milieu de grands fauves et de pachydermes avec lesquels ils se disputaient la vie. Ils avaient en outre laissé à la postérité de mémorables témoignages sur leur existence, qu’ils avaient sculptés sur les roches, au moyen d’outils primitifs, dont l’inventaire exhaustif n’a pas été établi entièrement.
Au nord du bassin-versant, la montagne bleue se dressait majestueuse et imposante, avec des parois raides, favorable à l’ascension, marquée de dépressions abruptes où tombaient, de façon torrentielle, les eaux pluviales de saison. Son sommet, qui dépassait les deux mille mètres, semblait toucher le ciel. Ses bois étaient étagés et plus on montait, plus ils étaient épais et denses, parfois inextricables, par un tapis broussailleux de romarin, d’alfa, de palmiers nains. Le chêne vert, le genévrier et le pin les peuplaient essentiellement et en faible partie le châtaignier, le caroubier et même le pommier sauvage. Son gibier était composé de mouflons, insuffisant cependant pour nourrir tous les grands prédateurs en grand nombre et dont la mobilité rendait la chasse aléatoire.
Sur plusieurs éminences, étaient construits des groupes de tumuli, en dalles, les unes posées sur les autres, qui faisaient huit mètres de diamètre et un mètre et demi de relief. C’étaient des sépultures familiales, comme il y en avait partout dans toute la région ou encore sur les Hauts plateaux et plus au sud. Malgré, ces grandes dimensions, la hauteur des chambres funéraires n’atteignait pas un mètre. Au fil de l’évolution des mœurs du peuple Gétule, elles avaient succédé aux Basina que l’on retrouve dans certains endroits dans le Nord du pays. Les premiers tumuli remontent au troisième millénaire et leur développement avait été réalisé à deux-mille ans avant notre ère, en rapport avec l’accroissement de ces populations et de leur niveau d’émancipation. En effet, il y a vingt-deux-mille ans, toutes ces tribus s’étaient notablement. Elles parlaient leur langue berbère dotée de son alphabet propre et qu’elles partageaient avec l’ensemble des populations de l’Afrique du nord. Néanmoins, l’écriture n’était pas vulgarisée et restait du domaine de quelques érudits ou des rois. C’était le cas, des tribus du Mons Malethubalus dont celle de Doug. Elles sont semi-nomades, semi-sédentaires.
Sur les contreforts de la montagne, sillonnés de talwegs, situés à mille-trois-cent mètres d’altitude, le village Gétule, Doug, s’étendait sur un immense site, d’Ouest en Est. Il comptait plus d’une cinquantaine d’habitations, distantes les unes des autres, alignées sur plusieurs rangées, comme si les concepteurs avaient voulu tracer des boulevards infinis. Leurs matériaux étaient faits de troncs d’arbres, de branches, de roseaux, de terre glaise, de peaux d’animaux sauvages ou domestiques.
Le village se réveillait aux premières aurores, comme à son accoutumée et toute la vie renaissait avec un beau sourire et une promesse de bonheur et de paix. Le soleil sortait lentement de son disque jaunâtre. Ses rayons, sans grande fluorescence, éclairaient à peine l’horizon. Déjà, les chaumières dégageaient les fumées qui s’élevaient vers le ciel en spirales, sans cesse tourmentées par le souffle d’une légère brise. Les sanglots d’un bébé martyrisaient le silence auroral, alors que sa mère dormait du sommeil du juste. Un mari grondait sa femme qui tardait à lui servir son petit-déjeuner. Un vieillard appelait de toutes ses forces sa bru pour l’aider à sortir de la hutte. Les gens se levaient par un grand bruit, toujours pressés à vaquer à leurs occupations.
Ratissages
Pour rassurer les colons, les autorités civiles et militaires avaient décidé une opération militaire punitive de grande envergure dans le Zaccar le jour même. Elle était justifiée par l’état d’esprit phobique des populations européennes et une grande fierté des indigènes d’être encore capables de prendre les armes et conquérir des droits que la paix ne leur avait pas octroyés. Le général Paul Alphonse Grisot avait été requis par le gouverneur général Jonnart, en santé déclinante, sur le point de démissionner. L’armée est plus que jamais requise à frapper fort et vite. Elle doit enlever toute velléité aux indigènes de penser révolte, de prendre les armes, de vouloir vengeance. Elle doit non seulement les impressionner, mais aussi les terroriser longtemps.
Une force considérable est déployée. Ses effectifs donnent une impression de terreur et prédisent que les représailles devaient être terribles. Ils signifient en clair qu’ils sont sur le pied de guerre, contre une population désarmée et isolée. C’est la formation d’une puissante colonne qui se met en mouvement pour s’engager dans les hostilités, comme pendant la guerre de conquête. Le haut commandement du 19e corps est décidé a réprimer de la plus atroce façon. C’est le retour aux méthodes de la terre brulée du maréchal Bugeaud. Le 28 avril, deux jours seulement après l’écrasement de la révolte, 1 200 soldats stationnent le long de la voie ferrée qu’ils surveillent, 800 autres partent ratisser dans la montagne du Zaccar où se sont réfugiés les rebelles :
- Un bataillon du régiment des Zouaves d’Alger
- Deux compagnies de tirailleurs d’Orléans ville
- Un escadron des chasseurs de Blida.
Au total, deux mille soldats, entre Zouaves, Tirailleurs, sont sous le commandement du général Octave Gilet. Trois torpilleurs appareillent pour surveiller les côtes de Cherchel. Est-ce que les craintes du commandement étaient justifiées pour mener la guerre aussi sur mer ? Aucune donnée historique n’est disponible ni pour infirmer ou confirmer sa justification. Toutefois, nous avançons avec la plus grande réserve que le commandement militaire craignait l’implication de la tribu des Benimenaceur qui avait assiégé cette ville en 1871 pendant un mois (25).
Ces forces considérables paraissent incroyables, telles rapportées par ce journal métropolitain. Cependant, un embrasement de la région n’était pas exclu par les autorités coloniales, d’autant que l’Angleterre et la France se livraient une guerre sourde et ce fait n’était un secret pour personne. Les forces engagées dans le Zaccar, soit 800 soldats, sous le commandement du lieutenant-colonel Pierre Léré, sont également citées par Christian Pheline dans son ouvrage (26). Ils ont pour directives de ramener les individus âgés de 15 à 65 ans. Ils se rabattent sur un douar de 3200 âmes, de tout âge. Ils pillent et saccagent les gourbis, violent des femmes et des filles, tirent sans sommation. Ils ont tué des indigènes. Mais combien ? Le saurait-on jamais ? En tout cas, les Zouaves s’enorgueillissaient d’avoir tué quatre-vingts indigènes. Il faut souligner avec amertume qu’aucune enquête n’avait été menée sur les abus et les crimes commis par ces soldats endurcis et aguerris contre des populations paisibles. L’opération dura plusieurs jours et s’était soldée par des centaines d’arrestations.